Publié le 18 Feb 2016 - 22:36
POLITIQUES CULTURELLES AU SENEGAL

La politique senghorienne, la plus forte

 

Depuis les indépendances, différentes politiques culturelles ont été développées au Sénégal. L’expert en politiques et stratégies culturelles Moustapha Tambadou les a présentées hier, au cours d’une conférence tenue à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan).

 

Les politiques culturelles au Sénégal, de Senghor à Abdoulaye Wade, se suivent mais ne se ressemblent guère. Beaucoup de gens pensent que celles menées sous le magistère du Président poète est la meilleure de toutes. Invité hier à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), l’ancien secrétaire général de la commission sénégalaise à l’Unesco Moustapha Tambadou a présenté chacune des politiques menées jusque-là, au cours d’une conférence.

‘’Léopold Sédar Senghor a défini sa politique culturelle comme fondée sur la dynamique de l’enracinement et de l’ouverture’’. Senghor pense ainsi parce qu’il est l’un des pères de la Négritude. Car, explique le conférencier, ‘’la négritude est à la fois retour à soi et ouverture à l’autre. Ce qui donne sa richesse, ou sa complexité, supplémentaire au champ ainsi balisé, c’est que, dans l’optique senghorienne, la notion d’ouverture exprime également une démarche attendue de l’Occident prié de recevoir et respecter les cultures africaines’’. Cette pensée est accompagnée d’acte afin de la concrétiser. 

C’est ainsi qu’est organisé en avril 1966 le premier Festival mondial des arts nègres. A cette occasion sont construits le théâtre national Daniel Sorano ainsi que le musée dynamique. Toujours dans la logique de la pensée senghorienne, est construite la Manufacture nationale de tapisserie devenue actuellement les Manufactures sénégalaises des arts décoratifs (MSAD). Une école d’architecture et d’urbanisme est créée ainsi qu’une école nationale des arts. Cette dernière, ‘’destinée à devenir le vivier d’institutions comme Sorano ou le musée dynamique, ainsi que les Nouvelles Editions Africaines se voulant un moyen de diffusion d’une littérature illustrant les canons nègres, sont à ranger parmi ces réalisations’’, se souvient M. Tambadou. Senghor était aussi l’un des grands bâtisseurs de la francophonie, a-t-il tenu à rappeler.

Léopold Sédar Senghor pensait que ‘’la culture est au début et à la fin de tout développement’’. Mais certains n’y croyaient pas. C’est ainsi que beaucoup considèrent que ses successeurs n’ont pas fait mieux que lui. Reprenant les propos du chercheur Ndiouga Benga, Moustapha Tambadou soutient : ‘’Sous Diouf et Wade, la générosité culturelle fit face à la réalité économique, caractérisée par la raréfaction des ressources. La scène culturelle se caractérise, à partir des années 1980, par l’informel, l’esprit de débrouille (…), la démultiplication et la déterritorialisation des initiatives culturelles.

La culture s’installe dans la rue et les bidonvilles’’. Sans mécénat culturel, les acteurs ne pouvaient qu’avoir recours à l’entrepreneuriat privé. Et tout n’a pas été facile, surtout pour le successeur de l’enfant de Joal. ‘’Le premier successeur de Senghor, Abdou Diouf, a été, selon Ndiouga Benga, le plus gêné par l’ombre envahissante de son prédécesseur. Au point, apparemment, d’échouer à poser les repères d’une politique marquée de sa propre empreinte’’, indique M. Tambadou. C’est pour cela qu’il avait tenu à l’époque d’accompagner la charte culturelle qu’il avait élaborée par une forte campagne médiatique.

Cependant, ‘’inexplicablement aucune tentative véritable de mise en œuvre de la charte, du moins comme source référentielle  revendiquée, n’a suivi l’entreprise une fois que la phase d’élaboration s’est achevée’’, souligne-t-il. Pour asseoir une bonne politique culturelle, le Président Diouf avait alors organisé deux colloques dont l’un portait sur les convergences culturelles au sein de la nation sénégalaise et l’autre sur ‘’culture et économie’’. Sur un autre registre, le directeur des arts, Abdoulaye Koundoul, a évoqué l’organisation de la première biennale de l’art contemporain (Dak’Art). C’est avec lui aussi qu’ont été acquis les sites de la Maison de la culture Douta Seck et Keur Birago qui est le siège de l’association des écrivains du Sénégal.

Abdoulaye Wade, lui, sous son magistère, a  activé le Fonds d’aide à l’édition. Il a construit aussi la Place du souvenir africain, le Grand-théâtre, etc. c’est avec lui aussi qu’a été ressuscité l’organisation du grand prix du Chef de l’Etat des Arts et des Lettres. La société de gestion collective a aussi été créée à travers une loi. Wade a ainsi globalement essayé de donner corps aux ‘’ambitions inassouvies’’ de Senghor.

‘’Diouf n’a pas mal tenu l’héritage de Senghor’’

La politique culturelle de Diouf a été présentée comme ‘’catastrophique’’. Un avis que ne partage pas le chercheur Dr Ibrahima Wane. Prenant part hier à la conférence qu’animait l’expert en politique et stratégies culturelles Moustapha Tambadou, à l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), il a dit qu’il n’est pas d’avis que Diouf a mal tenu l’héritage de son prédécesseur. ‘’Il faut nuancer’’, tempère Wane. Car, considère-t-il, ce jugement est ‘’excessif et à la fois simpliste pour ne pas dire faux’’. A l’en croire, ‘’ce qui a desservi Diouf, ce sont des actes malheureux, maladroits et catastrophiques comme la fermeture du village des arts. 

Ces actes n’ont pas eu l’effet économique escompté’’, explique-t-il. Et ils ont fait ombrage à sa politique culturelle. Aussi, ces défauts notés ont été malgré tout des ‘’actes positifs’’ puisqu’il a poussé les acteurs culturels à se prendre en charge. Ils ont compris que ‘’l’action culturelle ne peut pas seulement dépendre du ministère’’.  Aussi, a-t-il précisé, le contexte dans lequel était élaborée la charte culturelle ne permettait pas de la dérouler. C’était entre 1987 et 1989 quand il y a eu l’année blanche au Sénégal et les évènements en Mauritanie. Seulement, des éléments de la charte sont revenus à plusieurs reprises et à différents niveaux.

B.BOB

 

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