La fin d'une époque
Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé la fermeture de toutes les bases militaires étrangères présentes sur le territoire national dès 2025, marquant une rupture historique avec la France et affirmant une souveraineté renforcée. Cette décision, inscrite dans une dynamique panafricaine, redéfinit les partenariats stratégiques du Sénégal, tout en suscitant des interrogations sur les implications sécuritaires, économiques et géopolitiques de cette transition.
Le mardi 31 décembre 2024, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé la fermeture de toutes les bases militaires étrangères présentes sur le territoire national dès 2025. Cette décision marque un tournant majeur dans l’histoire des relations entre le Sénégal et la France, tout en s’inscrivant dans une dynamique panafricaine d’émancipation vis-à-vis des puissances coloniales.
Ce retrait des forces françaises du Sénégal, tout comme celui annoncé en Côte d’Ivoire par le président Alassane Ouattara, symbolise une redéfinition des rapports de défense en Afrique de l’Ouest.
Cependant, au-delà des implications militaires, cette mesure suscite un débat autour de son impact en matière de communication politique, de coopération sécuritaire et de repositionnement stratégique dans une région confrontée à une menace terroriste croissante.
Avec près de 400 soldats basés au camp Colonel Frédéric Geille à Ouakam, au camp Contre-Amiral Protet au port militaire de Dakar et à l’aéroport Léopold Sédar Senghor, les Éléments français au Sénégal (EFS) sont présents dans le pays depuis 2011. Ces bases constituent un point d’appui stratégique pour la France dans ses opérations en Afrique de l’Ouest, notamment en matière de formation et de logistique militaire.
La décision de Bassirou Diomaye Faye, annoncée à la veille de la nouvelle année, met un terme à cette présence. Dans son discours, le président sénégalais a souligné que cette mesure s’inscrivait dans une nouvelle doctrine de coopération en matière de défense et de sécurité.
"Tous les amis du Sénégal seront traités comme des partenaires stratégiques, dans le cadre d'une coopération ouverte, diversifiée et décomplexée", a-t-il déclaré, fixant pour la première fois une date précise pour le départ des troupes étrangères.
D’ici quelques mois, seules deux bases majeures françaises continueront d’opérer sur le continent : Djibouti, où est installé le plus grand contingent militaire français, et le Gabon, point stratégique en Afrique centrale.
Une communication politique habile
Pour le Sénégal, cette annonce revêt une dimension hautement symbolique. Elle répond aux critiques de plus en plus vives des mouvements panafricanistes et d’une partie de l’opinion publique qui dénonçaient depuis des années une dépendance excessive à l’égard de la France.
Le gouvernement sénégalais, dirigé par le Pastef, avait déjà marqué sa volonté de rupture avec les pratiques héritées de l’époque coloniale. Ce retrait des troupes françaises renforce l’image d’un régime souverainiste, aligné sur les aspirations panafricanistes, tout en désamorçant les critiques récurrentes d’un supposé manque de fermeté vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale.
"Cette décision conforte les principes d’autodétermination et de panafricanisme qui sont au cœur de notre politique", pensent plusieurs militants et sympathisants du parti au pouvoir.
La fermeture des bases françaises au Sénégal survient dans un contexte de recomposition des alliances en Afrique de l’Ouest. Les voisins du Sénégal, notamment le Mali, le Burkina Faso et le Niger, avaient déjà rompu avec la France en actant la fermeture de leurs bases militaires sur leurs territoires respectifs. Pour ces pays, qui forment aujourd’hui l’Alliance des États du Sahel (AES), cette décision sénégalaise est perçue comme une victoire symbolique. "Le Sénégal rejoint enfin les rangs des nations africaines qui privilégient leur souveraineté", a commenté cet analyste géopolitique à Bamako, Ousmane Dao.
Cependant, le Sénégal a également tenu à réaffirmer son attachement à la CEDEAO et à son rôle de médiateur dans les crises régionales. Cette double posture reflète une volonté d’équilibre entre souverainisme et coopération régionale.
Pourtant, selon une étude de l’ARMP en 2022 sur la dynamique des marchés publics, il existe une compétition accrue entre les entreprises internationales, avec une présence de plus en plus marquée des Chinois, qui dominent désormais largement le secteur, reléguant les Français derrière les Turcs, ces derniers ayant su saisir des opportunités sur les chantiers sénégalais.
Ce changement illustre le recul de l’influence française dans son ancien précarré colonial, où elle a longtemps dominé les sphères économiques, politiques et culturelles. La Chine, avec ses investissements massifs dans les infrastructures et son rôle croissant dans le commerce, s’est imposée comme un acteur incontournable au Sénégal.
La Turquie, de son côté, multiplie les partenariats stratégiques, notamment dans les secteurs de la construction, de l’énergie et de l’armement, tout en cultivant des liens culturels étroits.
Quant au Maroc, il renforce sa présence en Afrique subsaharienne à travers des investissements dans les banques, les assurances et les télécommunications, consolidant ainsi une relation historique avec Dakar.
La menace terroriste : une coopération à redéfinir
Si le départ des troupes françaises symbolise une rupture, il ne signifie pas pour autant la fin de toute coopération en matière de sécurité. La menace terroriste reste un défi majeur pour la région, notamment dans le Sahel et à ses frontières Sud.
Le Sénégal, relativement épargné jusqu’à présent, est néanmoins vulnérable face à l’expansion des groupes terroristes. La coopération pourrait donc se poursuivre sous de nouvelles formes, avec une implication accrue d’autres partenaires internationaux ou une refonte des programmes existants.
Le programme Garsi, financé par l’Union européenne pour renforcer la sécurité aux frontières, constitue un exemple de coopération multilatérale que le Sénégal pourrait privilégier à l’avenir. De plus, une partie importante des élites militaires sénégalaises continuera probablement de se former en France, à Saint-Cyr ou à Brest, perpétuant ainsi des liens historiques dans un cadre renouvelé.
Le départ des troupes françaises pourrait également avoir des implications économiques. Les bases militaires étrangères génèrent des retombées locales, notamment en matière d’emplois et d’activités connexes. Leur fermeture pourrait créer un vide économique que le gouvernement devra compenser par d’autres initiatives.
Cependant, cette mesure ouvre aussi la voie à une diversification des partenariats. Le Sénégal pourrait renforcer sa coopération avec d’autres puissances, comme la Chine, la Turquie ou les pays du Golfe, pour combler le vide laissé par la France.
La Côte d’Ivoire emboîte le pas : une surprise stratégique
L’annonce d’Alassane Ouattara concernant la fermeture de la base française d’Abidjan ajoute une autre dimension à cette redéfinition des relations franco-africaines. Le 43e Bima, qui abrite près de 1 000 soldats, est considéré comme un point d’appui stratégique pour la France en Afrique de l’Ouest, en particulier après l’opération Licorne.
La rétrocession de cette base aux forces armées ivoiriennes, rebaptisée camp Général Ouattara Thomas d’Aquin, symbolise une volonté similaire de renforcement de la souveraineté nationale. Pour autant, la Côte d’Ivoire maintient des liens étroits avec la France, notamment dans le domaine économique. La Côte d’Ivoire pourrait s’inspirer de l’exemple du Tchad, qui a récemment rompu ses accords militaires avec la France.
Ces pays, autrefois appuyés par Paris pour résister aux rébellions internes et aux crises politiques, explorent désormais des alternatives pour garantir leur sécurité et leur stabilité.
Cette reconfiguration géopolitique ouvre la voie à de nouveaux acteurs internationaux. La Turquie, par exemple, s’impose avec ses drones Bayraktar, devenus un atout clé pour plusieurs armées africaines. La Russie, de son côté, mise sur ses mercenaires et son matériel militaire, tandis que la Chine privilégie des partenariats stratégiques liés à des investissements économiques et infrastructurels.
Cependant, au Sénégal, cette transition s’accompagne de controverses sur la gestion des contrats d’armement. Des accords passés avec la Russie et la Turquie, comme celui portant sur 45 milliards de francs CFA pour du matériel militaire, ont suscité des interrogations, notamment autour de soupçons de surfacturation, notamment sur des grenades lacrymogènes. Ces affaires alimentent le débat sur la transparence et la souveraineté dans les choix stratégiques du pays.
Alors que le Sénégal amorce une redéfinition de ses alliances stratégiques, la fermeture des bases militaires françaises s’inscrit dans une vision de souveraineté et d’autonomie accrue.
Toutefois, cette rupture ouvre la porte à de nouveaux défis en matière de sécurité et de partenariats internationaux. Si cette décision reflète une volonté d’émancipation, elle exigera une gestion rigoureuse pour équilibrer affirmation nationale et coopération régionale dans une Afrique en pleine recomposition géopolitique.
Amadou Camara Gueye