Le pouvoir d'achat, cet adversaire coriace du régime de Diomaye-Sonko
Malgré une subvention de plusieurs dizaines de milliards, les tensions persistent sur le marché, affectant sérieusement le panier de la ménagère qui peine difficilement à joindre les deux bouts.
Après avoir réduit l'opposition à sa plus simple expression, Ousmane Sonko et son gouvernement devraient faire face à leur adversaire le plus coriace : le cout de la vie. Ces derniers jours, un renchérissement important et généralisé a été noté sur les prix de certaines denrées de première nécessité. Produits très prisés surtout dans ce contexte de préparation du ramadan et du carême chrétien, le sucre et l'huile ont suscité le plus d'interrogations et d'étonnement. Alors que l'État les avait fixés, il y a quelques mois, aux prix respectifs de 600 F CFA le kilogramme de sucre et 1 000 F CFA le litre d'huile, les consommateurs ont consommé dernièrement des évolutions sensibles.
Selon le président de l'Union nationale des boutiquiers du Sénégal, Omar Diallo, les tensions sont effectives sur le marché et certains boutiquiers sont obligés d'augmenter les prix pour s'en sortir. Il explique : “Par exemple, pour le sucre, c'était fixé à 28 850 F CFA. Là, on l'achète à 29 500 F CFA. Ceux qui ont le courage de l'acheter ne peuvent le vendre au prix homologué qui était de 600 F CFA. Ils sont obligés de vendre à 650 F CFA pour s'en sortir. D'autres ne l'achètent pas, de peur d'être contrôlés et sanctionnés.”
Revenant sur les prix de l'huile, il a informé que les boutiquiers rencontrent les mêmes problèmes. Ils achètent le bidon de 20 l entre 21 000 et 22 500 F CFA à Dakar, jusqu'à 23 000 F CFA dans certaines régions de l'intérieur du pays. “Le prix plafond était fixé à 19 000 F CFA. En le vendant à 1 000 F CFA le litre, on devrait avoir 1 000 F CFA de bénéfice sur les 20 l. Mais là, le litre nous revient à plus de 1 000 F CFA. Ceux qui l'achètent sont obligés de le vendre à un prix plus élevé”, se défend le boutiquier.
Pour sa part, le président de l'Association nationale des consommateurs, Momar Ndao, dénonce une certaine spéculation en cours sur le marché, surtout en ce qui concerne le sucre. “Ce qui se passe est une rétention des produits à des fins spéculatives. Les commerçants le font chaque année à l'approche d'événements comme le ramadan et le carême. Actuellement, il y a bien du sucre disponible. On parle de 15 000 t de la CSS disponible à Dakar et 3 000 t pour les privés. Il y a également 45 000 t stockées à la CSS. On ne peut donc parler de tensions sur l'offre de sucre”, souligne le consommateur.
Quant à l'huile, il croit savoir que c'est surtout à cause des tensions sur le marché mondial. “Au moment où l’on fixait le prix, c'est sur la base d'un prix à l'importation. Si le prix augmente, il faut soit que l'État augmente la subvention soit ajuster le prix. Ce sont des situations qui peuvent parfois se présenter, parce que ce sont des produits que nous importons”, justifie M. Ndao.
Embouchant la même trompette, Omar Diallo, qui a participé aux rencontres récemment organisées par le ministère du Commerce, est revenu sur les raisons de ces hausses. Si pour le sucre il l'impute à la spéculation, pour l'huile, il précise : “On nous a rapporté deux choses. D'une part, il y a le dollar qui a augmenté. Et cela impacte les prix à l'importation. L'autre chose est que les récoltes ne sont pas bonnes en Thaïlande. Du coup, cela affecte leurs exportations et cela a aussi créé des tensions.”
Mais pour le président de l'Union nationale des boutiquiers du Sénégal, le problème de la hausse des prix ne concerne pas que les deux produits objet de toutes les polémiques. C'est aussi nombre de ces produits dont l'État ne se soucie pas de leur fixation et qui sont pourtant des produits de consommation courante. Il donne l'exemple du café : “Le prix a connu une hausse de 8 000 F CFA environ sur le carton. Pour le carton qui coutait 39 000 F CFA, maintenant c'est à 47 000 F CFA. Le stick qui coutait 47 500 F CFA revient à 56 000 F CFA. C'est une hausse importante et personne n'en parle. Les boutiquiers sont souvent critiqués à tort. Je pense que l'autorité doit aussi communiquer sur ces hausses. Parce que quand il y a baisse, on fait beaucoup de tintamarre. Pour les hausses, on les cache.”
À son avis, si des dispositions ne sont pas prises, les prix du café vont à coup sûr flamber. Déjà, le stick qui coutait 50 F CFA est vendu à 75 F CFA dans certaines boutiques.
Pour Momar Ndao, l'État doit élargir les produits administrés. Les produits de consommation courante non administrés sont nombreux, selon lui. “Seuls quelques produits sont homologués. On a l'eau, l'électricité, le téléphone, les honoraires des hôpitaux, le sucre. Il y en a beaucoup d'autres qui sont de consommation courante, mais qui ne sont pas administrés. Les prix sont alors libres et les commerçants font ce qu'ils veulent”. Outre le café, il cite le lait, la viande, le poisson, les légumes et tous les autres produits qui ne sont pas administrés.
L'Ascosen, rappelle-t-il, s'est toujours battu pour la régulation de ces produits.
Depuis l'arrivée du nouveau régime au pouvoir, des efforts importants ont été faits, mais l'efficacité reste encore très douteuse. Au début de l'opération, on avait parlé de 53 milliards F CFA dégagés par l'État pour alléger le cout de la vie aux populations, mais ces dernières peinent toujours à le ressentir de manière sensible.
De l'avis du président des boutiquiers, l'État devrait aller vers des solutions plus structurelles. D'abord, en allant vers l'autosuffisance comme cela a été promis par les nouvelles autorités, mais pour les produits importés, il faut tout faire pour que le marché soit bien pourvu.
En attendant cette autosuffisance, Momar Ndao ne voit pas mille solutions. Primo, il faut que l'État subventionne quand les prix sont à la hausse sur le marché international. Ensuite, il faut veiller à ce que les prix homologués soient respectés. Pour ce faire, il faut le contrôle. Le consommateur de regretter le manque de personnel au niveau du ministère du Commerce. “À un moment, l'ancien régime avait recruté, sur proposition de l'Ascosen, 1 000 volontaires pour assister les près de 300 contrôleurs du ministère. Malheureusement, avec le changement de régime, il y a des évaluations qui sont en train d'être faites - ce qui est normal - sur les performances de ces volontaires, pour voir qui on va retenir et qui on va libérer”.
De l'avis du président des boutiquiers, tout ne peut pas être réglé par le contrôle. Avec le contexte actuel, c'est l'éclosion du marché noir, avec “le grossiste qui va, par exemple, te vendre le sucre à un prix plus élevé que ce qui a été homologué. Parfois, il va refuser de te faire une facture, pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Parfois, le boutiquier refuse d'acheter sans facture. Du coup, ce sont ceux qui sont dans le marché noir qui vont se sucrer”, témoigne le président de l'Union nationale des boutiquiers.