Bassirou Diomaye Faye sonne l'heure du ménage politique
Face à l’émiettement d’un paysage politique marqué par près de 400 formations, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé, lors de son discours de fin d’année, une réforme ambitieuse. En promettant des concertations nationales inclusives, il entend rationaliser les partis politiques pour restaurer clarté et efficacité démocratiques. Ce projet, largement salué, devra relever les défis du financement opaque et de la fragmentation idéologique, afin de redonner à la politique sénégalaise sa véritable vocation : être le vecteur d’idées et de projets au service de la nation.
Dans son tout premier discours de fin d’année prononcé le 31 décembre 2024, le président de la République Bassirou Diomaye Faye a mis en lumière une problématique qui gangrène le système politique sénégalais : la prolifération des partis politiques. Avec près de 400 formations officiellement enregistrées, il a dénoncé une situation qui, selon lui, nuit gravement à la vitalité démocratique du pays.
"Cette inflation des partis, favorisée par une application trop laxiste des textes en vigueur, a conduit à une fragmentation excessive préjudiciable à une démocratie de qualité", a déclaré le président Faye.
Pour y remédier, il a annoncé la tenue prochaine de concertations nationales incluant les acteurs politiques et la société civile. Ces discussions visent à apporter "plus de lisibilité, de transparence et de rationalisation" au paysage politique sénégalais.
Le président a également rappelé que cette initiative répond aux attentes exprimées par les citoyens lors des dernières élections.
Selon lui, la rationalisation des partis est devenue une nécessité pour garantir une meilleure représentativité et un fonctionnement démocratique plus efficace.
Un problème ancien, une solution ambitieuse
Le Sénégal n’en est pas à son premier débat sur la question. Sous Senghor, le pays comptait quatre partis reconnus. Ce nombre est passé à 45 sous Abdou Diouf, puis à 188 sous Abdoulaye Wade, avant d’atteindre 339 sous Macky Sall. Cette explosion a effacé les clivages idéologiques, favorisant des formations politiques plus motivées par des intérêts personnels que par des projets de société structurants.
La loi n°81-17 de 1981, modifiée en 1989 pour interdire les financements étrangers, demeure le principal cadre réglementaire des partis politiques au Sénégal. Cependant, elle n’a jamais été adaptée aux défis actuels. De nombreuses formations fonctionnent sans tenir de congrès ni fournir de rapports financiers, contrairement aux exigences légales.
Pour le chef de l’État, la rationalisation doit aller de pair avec une réforme du financement des partis et une meilleure organisation des processus électoraux. Parmi les mesures envisagées, il a évoqué l’inscription automatique sur le fichier électoral lors de la délivrance de la carte nationale d’identité, une réforme qui pourrait renforcer la participation des primo-votants.
La société civile et certains partis politiques ont salué l’initiative du chef de l’État, tout en insistant sur la nécessité d’un processus inclusif et équitable. Des experts suggèrent également de renforcer les mécanismes de contrôle pour s’assurer que seuls les partis répondant aux critères définis puissent subsister.
Un paysage politique émietté et des dynamiques électorales contestées
Lors des élections législatives du 17 novembre 2024, le morcellement du paysage politique sénégalais a une fois de plus été mis en évidence. Avec 12 listes ayant obtenu des sièges sur 41, soit près de 30 % de représentativité, le constat est clair : la fragmentation affaiblit la cohérence du système démocratique. Cette situation est aggravée par le fait que ces listes sont elles-mêmes composées de coalitions de partis politiques.
Depuis des décennies, il est devenu rare de voir un parti politique se présenter en solitaire à un scrutin national. La logique des coalitions, bien que stratégique pour maximiser les chances de victoire, complique l’évaluation du poids réel de chaque formation politique.
Les observateurs peinent ainsi à mesurer la représentativité des partis dans un contexte où la multiplication des alliances est devenue la norme. Cet éclatement ne fait qu’alimenter la confusion, créant un paradoxe : alors même que les Sénégalais expriment leur désir de changement et de clarté dans le paysage politique, l’émiettement des forces politiques persiste.
L'élection présidentielle du 24 mars 2024 a également mis en exergue les limites de cette dynamique. Malgré l’instauration du parrainage, qui visait à filtrer les candidatures pour éviter une surenchère électorale, 19 candidatures avaient initialement été validées et 17 sont restées en lice. Parmi elles, seuls deux candidats, Bassirou Diomaye Faye (Pastef) et Amadou Ba (BBY), ont réussi à franchir la barre des 5 % des suffrages exprimés. La majorité des autres candidats n’ont même pas atteint 2 % de l’électorat.
Ce faible score est significatif d’un électorat polarisé autour de quelques formations dominantes, les autres peinant à convaincre ou à se démarquer.
Ce constat pose une autre question fondamentale : dans un système où la plupart des candidatures sont vouées à l’échec, quelle est la véritable finalité d’un tel émiettement ? La réponse pourrait se trouver dans la quête de visibilité ou dans l’espoir de nouer des alliances stratégiques à l’avenir. Mais ces motivations renforcent le sentiment d’inefficacité et d’opacité du système.
Au cœur de la crise des partis politiques, se trouve également la question sensible du financement. Depuis l’indépendance, cette problématique reste marquée par une absence totale de transparence. Les sources de financement, tout comme leur usage, ne sont ni traçables ni réglementées. Généralement, ce sont les chefs de parti ou les cadres influents qui assument les charges financières des campagnes électorales. Ils couvrent les dépenses liées à la logistique, aux déplacements et aux soutiens matériels pour les militants. Cette situation favorise une personnalisation des partis où les ressources dépendent souvent du bon vouloir et de la fortune personnelle des leaders.
Une exception notable a été l’approche adoptée par le Pastef, qui a mobilisé ses militants à travers une campagne de levée de fonds participative à la veille de la dernière Présidentielle. Bien que cette initiative ait été saluée pour sa transparence et son caractère inclusif, elle reste une pratique isolée dans un système globalement opaque.
Une réforme en profondeur des mécanismes de financement des partis politiques pourrait constituer un point de départ pour redonner crédibilité et équité à l’arène politique.
Des enjeux de formation négligés
Un autre défi rarement évoqué, mais tout aussi important, mais isolé, est la formation des membres des partis politiques. Par le passé, les partis investissaient dans l’éducation et la sensibilisation de leurs militants, en particulier les jeunes. Ces sessions de formation avaient pour but de leur permettre de comprendre les enjeux sociopolitiques et économiques, tout en développant des compétences pour engager des débats constructifs et éclairés.
Aujourd’hui, cette dimension éducative semble largement délaissée. La baisse générale du niveau de compétence et de réflexion dans les instances partisanes se traduit par une détérioration de la qualité des débats publics. Au lieu d’être des lieux de confrontation d’idées, les plateformes politiques se sont transformées en espaces d’insultes, d’attaques personnelles et de querelles stériles.
Ce climat toxique contribue à nourrir le désenchantement des citoyens envers la politique.
Deux pistes de réforme pour assainir le système
Pour sortir de cette impasse, deux questions essentielles méritent d’être examinées en priorité, lors des concertations annoncées par le président Diomaye.
Pour le chercheur en science politique Amadou Ann, ‘’il est impératif de mettre en place des mécanismes clairs et rigoureux pour encadrer le financement des partis politiques. Cela pourrait inclure l’obligation de rendre des comptes sur l’origine des fonds, leur usage et la publication régulière de rapports financiers audités’’.
L’analyste met également en évidence qu’un ‘’système de subventions publiques, assorti de critères de performance électorale et de transparence, pourrait être envisagé pour limiter la dépendance aux financements privés et aux pratiques douteuses’’.
S’agissant de la relance des programmes de formation politique, Amadou Ann insiste sur leur importance cruciale : ‘’Il est essentiel de réintégrer la formation dans les priorités des partis politiques. Cette démarche pourrait passer par la création d’instituts ou de centres de formation dédiés où les jeunes militants et les cadres seraient initiés aux principes de la démocratie, à la gestion des affaires publiques et aux enjeux stratégiques nationaux et internationaux.’’
Selon lui, une telle initiative serait une étape clé pour ‘’rehausser le niveau du débat public et restaurer la confiance des citoyens dans les institutions politiques’’.
En annonçant des concertations nationales, le chef de l’État a suscité des attentes élevées parmi les citoyens et les acteurs politiques. Leur concrétisation devra répondre aux aspirations des Sénégalais pour une scène politique transparente, responsable et représentative. Il est nécessaire que ces réformes soient conduites de manière inclusive, en impliquant non seulement les partis politiques, mais aussi la société civile, les universitaires et les citoyens. Cela permettra de garantir que les décisions prises reflètent une vision partagée de l’avenir politique du Sénégal.
En fin de compte, la rationalisation du système politique ne se limite pas à une réduction du nombre de partis. Il s’agit de redéfinir les règles du jeu démocratique pour créer un environnement où les idées et non les intérêts personnels ou les ressources financières déterminent le succès politique. La tâche est immense, mais elle est à la hauteur des ambitions affichées par le président pour un Sénégal plus juste, plus transparent et plus démocratique.
Amadou Camara Gueye