Pour une prise en charge socialement acceptable des asymptomatiques et cas contacts de la COVID-19 au Sénégal
L’augmentation significative des personnes testées positives au COVID-19 ces dernières semaines au Sénégal illustrée avec une expansion géographique du virus, les régions touchées passant de 7 à 11. Cela s’est accompagné par un nombre important de des contacts suivis dans le cadre de la surveillance épidémiologique (5226 en fin avril 2020).
Tenant compte de la stratégie de dépistage plus agressif du MSAS et de l’existence de cluster de contamination (une personne qui contamine plusieurs autres), il faut s’attendre à une majoration de ces statistiques. Par ailleurs, les cas des porteurs sains du virus (déclaré positif mais ayant manifesté peu ou pas de symptômes), appelés cas asymptomatiques ont bouleversé aussi bien les discours et perceptions de la maladie, que ses modes de prise en charge.
Si ces deux catégories (cas contacts et asymptomatiques) sont distinguées par l’épidémiologie, elles ont un rapport (discours, comportements) similaire à la maladie d’un point de vue anthropologique : soit les individus ne pensent pas être malades parce que n’ayant pas encore développé les symptômes (asymptomatiques) soit ils sont suspectés, mais ne peuvent être déclarés comme tel tant que le test n’a pas été positif (cas suspects). Dès lors, il est utile de s’intéresser de plus près à la gestion de ces groupes qui sont de potentiels véhicules de transmission de la maladie.
1. Une évolution vers une gestion extra-hospitalière des cas asymptomatiques qui interroge …
Les cas asymptomatiques ont été jusqu’il y a quelques jours, hospitalisés et pris en charge gratuitement par l’État. Cette stratégie a été critiquée, certains spécialistes s’interrogeant sur la pertinence d’’interner dans les hôpitaux, ceux qui ne présentent aucun symptôme de la maladie. Pour d’autres, l’accroissement du nombre de cas positifs faisait craindre un déficit de lits, pouvant impacter sur la prise en charge des autres pathologies. Enfin, certains patients concernés ont commencé à remettre en cause leur détention dans un centre de traitement, alors qu’ils pensent ne pas être malades « car ne développant pas les symptômes » (un discours qui se comprend si on se réfère à la communication qui établit la maladie à partir de symptômes observés). Ces personnes acceptent difficilement de rester en isolement, avec le stress.
Dans ces conditions, le MSAS a proposé de passer à une gestion extra-hospitalière consistant à prendre en charge toute personne âgée de moins de 50 ans testée positive du COVID-19, présentant peu ou pas de symptômes et ne souffrant d’aucune maladie chronique, dans des structures aménagées, avec une équipe médicale déployée en permanence. Il s’agit du hangar des pèlerins de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor, de la base aérienne de l’Armée de Thiès et du Centre des Armées de Géréo. Il faut saluer cette dynamique qui va permettre de décongestionner les hôpitaux en les réservant aux personnes plus symptomatiques, d’assurer la continuité des soins pour les autres maladies.
Cette externalisation est en train d’être mise en place. En attendant, il est important de tenir compte du déni de la maladie par la plupart des cas symptomatiques et de s’assurer que l’offre de prise en charge soit aussi bien symptomatique, que psycho-sociale. En contestant leur maladie, certains en arrivent ainsi à remettre en cause le schéma classique qui voudrait qu’une maladie soit liée à des signes visibles ou ressentis (symptômes). Il s’agit de savoir comment persuader quelqu’un qui n’a pas les symptômes, qu’il souffre du COVID-19 et l’amener à l’accepter d’être hospitalisé. Pour la plupart d’entre eux, le déni cache aussi une peur de la stigmatisation à laquelle n’échappent souvent pas ceux qui ont été reconnus comme porteurs du virus. Au-delà du confort des lieux de séjour, la préparation cette catégorie de cas positifs à la perspective de l’hospitalisation, ainsi que la communication permanente avec les internés, s’avèrent nécessaires si on veut mieux gérer les voix de récrimination qui se font de plus en plus entendre.
Dans cette perspective, il est nécessaire d’avoir au niveau des sites, la présence physique (et pas seulement par téléphone) des équipes de psycho-sociologues, assistants sociaux, spécialistes de la promotion de la santé, pour pouvoir régulièrement discuter avec ces personnes, écouter leurs préoccupations, leur apporter un accompagnement social au quotidien, et de manière personnalisée. Ils n’ont pas seulement besoin de médicaments pour traiter la maladie, ils ont besoin de gérer leur stress, des inquiétudes et frustrations, d’un accompagnement facilitant leur séjour en hospitalisation et aussi leur retour en communauté. L’accompagnement psycho-social par téléphone assuré par l’équipe de la Direction de l’Action sociale du MSAS est nécessaire, mais doit mieux intégrer une présence physique au niveau des centres de prise en charge, pour mieux répondre aux besoins des asymptomatiques et personnaliser la relation de soins.
Par ailleurs, certains spécialistes des épidémies sont dubitatifs par rapport à la nécessité et la pertinence d’hospitaliser tous les cas asymptomatiques, considérant que ce sont des cas simples, à faible risque et pour lesquels l’isolement en institution n’est pas nécessaire, mais il est surtout recommandé de réduire au minimum les contacts sociaux, en respectant une distance de 1,5 m. Ces acteurs militent plutôt pour la responsabilisation des communautés associée à un suivi périodique à domicile, lorsque les conditions de vie et d’existence le permettent. Même s’il y a un risque que les asymptomatiques non hospitalisés puissent se déplacer et contaminer d’autres personnes, il faut leur faire confiance, leur demander de s’isoler et leur donner des consignes afin qu’ils puissent se prendre en charge eux-mêmes.
Cela s’accompagne de leur sensibilisation ainsi que celle de leur entourage sur la nécessité de porter des masques et d’éviter tout contact avec les autres. Cette approche, utilisée dans certains pays africains (comme le Kenya) montre qu’il est possible de ne pas généraliser l’hospitalisation des cas positifs, mais de personnaliser, de tenir compte de la hiérarchisation de la gravité et surtout de compter sur les capacités des acteurs à s’auto-isoler. Au-delà de la peur de la transmission communautaire, il est utile que les sénégalais apprennent à gérer et vivre avec les épidémies, plutôt que de les infantiliser, sous prétexte de leur irresponsabilité largement relayée et débattu dans l’espace médiatique surtout en temps d’épidémies.
2. Discuter de la faisabilité et de l’acceptabilité sociale de la quarantaine des cas contacts dans des sites dédiés
Au Sénégal, un contact est toute personne qui a été exposée à un cas confirmé de COVID-19, ne présentant aucun symptôme (3 jours avant et pendant la phase symptomatique en général, 7 jours après le début des symptômes). Une fois identifiée à partir du listing fait par les cas positifs, les personnes contact sont informées par l’équipe du district sanitaire de référence, qui vient les chercher pour les amener en quarantaine dans des structures hôtelières (Dakar) ou des réceptifs dédiés (dans les régions), à la charge de l’État du Sénégal. Au niveau des réceptifs hôteliers de Dakar, c’est la Croix-Rouge qui s’occupe de la gestion et du suivi des contacts, avec un personnel réduit de l’hôtel. Par ailleurs, l’équipe de l’action sociale, en particulier la cellule psycho-sociale est impliquée à travers des appels téléphoniques pour écouter, accompagner ces personnes et réduire leur stress. Il y a aussi une prise en charge financière, matérielle donnée à leurs familles, lorsqu’elles en expriment le besoin (payer des factures, donner la dépense quotidienne etc.)
En définitive, la stratégie adoptée par le Sénégal est donc de mettre en quarantaine les personnes suspectes à des fins de prévention ou de guérison. Celle-ci est inédite si on la compare à la manière dont les cas contacts ont été suivis dans le pays durant l’épidémie d’Ébola. Comme en Guinée, ils ont été isolés à la maison pendant 21 jours, avec un appui matériel et financier (kits alimentaires du PAM). Un système de surveillance communautaire a été mis en place afin de les suivre tous les jours, ainsi que leurs éventuels déplacements. Actuellement, d’autres pays africains, ont opté pour des mesures d’isolement à domicile pour les cas contacts de COVID-19 et le renforcement des mesures barrières destinées à prévenir une éventuelle transmission du virus au sein de la famille. Au Sénégal, sans discuter de l’utilité épidémiologique de ce système de confinement, il nous semble essentiel d’aborder la question de la faisabilité et de l’acceptabilité sociale d’une telle mesure, à partir de l’expérience existante, de l’évolution de la situation et des constatations faites au niveau des sites dédiés.
Aujourd’hui, le séjour des personnes contact dans les réceptifs hôteliers de confinement reste difficile à accepter pour la plupart d’entre elles, avec principalement des questionnements et des remises en question de leur statut de contact (certains pensent qu’ils ont été amenés dans ces endroits par erreur et assurent ne pas avoir été en contact avec la personne testée positive). Cela nous amène à questionner la manière dont l’évaluation du risque a été ou non prise en compte dans la décision du confinement. En général, le risque d'infection associé à un contact dépend de son niveau d'exposition (risque élevé, modéré, faible) au cas probable ou confirmé de COVID-19, qui, à son tour, déterminera le type de la conduite à tenir (quarantaine ou isolement à domicile). Au Sénégal, il semble que si cette évaluation du risque a été faite, elle n’a pas toujours servi à orienter le type de prise en charge pour chacun des cas.
A notre connaissance, la plupart des contacts ont été mis en quarantaine, qu’importe leur niveau d’exposition au risque. Cette pratique est justifiée par les équipes par les équipes médicales comme une manière de se prémunir du risque d’erreurs, face au doute relatif à la véracité des déclarations des cas confirmés positifs portant sur la nature des contacts avec leur entourage. Si une telle démarche peut être (ou non) épidémiologiquement justifiable, elle s’est avérée socialement inacceptable, d’où les récriminations et les comportements pouvant plutôt les exposer au risque de transmission dans ces lieux de quarantaine.
En effet, les conditions d’habitation et du séjour dans ces hôtels suscitent actuellement beaucoup d’inquiétudes, car pouvant créer plus de potentiel de transmission qu’on voulait éviter. Dans ces endroits, les personnes n’observent pas la distanciation sociale, se fréquentent dans les chambres, partagent leurs biens ou alimentation, s’échangent des cuillères pour manger, se touchent et se réconfortent mutuellement. En raison de ces attitudes, plusieurs hôteliers ont fustigé cette forme de « bamboula » dans leurs établissements, donnant l’impression de clubs de vacances. Cette proximité physique et sociale expose à un risque réel de contamination des personnes qui auraient pu y échapper si elles étaient isolées à domicile. S’il en est ainsi, c’est principalement en raison de l’insuffisance du personnel de prise en charge de la Croix-Rouge à Dakar (par exemple 4 bénévoles engagés pour une centaine de chambres) et du personnel hôtelier réduit au minimum (pour des raisons de sécurité).
Dans ces conditions, les confinés ont l’impression d’être laissés à eux-mêmes, une situation lue comme une manière de protéger le reste de la population du risque d’infection qu’ils représentent, sans beaucoup se soucier de leurs conditions d’existence, de leurs besoins. La communication interne avec les internés reste dérisoire, ce qui les pousse à externaliser leurs ressentis et contestations par le biais d’enregistrements audio qu’ils envoient à leurs familles ou guides religieux. Il ne fait pas de doute que cette situation crée une inquiétude et peut expliquer (en partie), la perte de confiance et les défiances communautaires de plus en plus notées, face aux équipes qui vont chercher les personnes à amener en quarantaine dans ces sites (Village de Thor-Diender, Yeumbeul, Keur Massar etc.)
Par ailleurs, le modus-operandi utilisé pour aller chercher les personnes listées comme contacts et les envoyer en quarantaine crée les conditions de leur stigmatisation et celle de leurs familles (maisons indexées Keur Corona) alors qu’elles sont justes suspectes. En effet, l’arrivée des équipes médicales avec les véhicules, ambulances devant les maisons en pleine journée, crée de grands rassemblements de foules, ce qui fait que tous les voisins sont au courant (certains confondant le statut de suspect avec celui de cas positif). Nous considérons qu’il y a une possibilité de mieux humaniser cette approche afin de préserver la dignité de ces personnes dans leur milieu de vie, en pensant à la manière dont elles vont être accueillies à leur retour de quarantaine.
Un aspect important de l’acceptabilité de la quarantaine concerne l’accompagnement psycho-social des individus qui ne sont pas malades, forcés de s’isoler, alors qu’elles ont des activités professionnelles, des responsabilités socio-familiales à gérer. Dans ce cadre, il faut saluer le travail de la Direction de l’Action sociale du MSAS, en termes d’accompagnement psychologique et financier des confinés et de leurs familles, comme évoqué plus haut. Toutefois, il semble que de telles interventions soient plus concentrées et visibles à Dakar, où il y a certes plus de cas confirmés. Cependant, dans les régions, les besoins existent et beaucoup reste à faire dans ce domaine.
Les personnes qui ont eu du mal à accepter la quarantaine ou à y rester ont aussi évoqué les risques de famine de leurs familles. Il est socialement peu acceptable de venir retirer quelqu’un de son milieu familial sans tenir compte de sa situation socio-familiale, des besoins de leurs familles. Se pose ainsi à ces individus le choix à faire entre rester en quarantaine pour éviter une éventuelle transmission de la maladie aux autres ou ne pas observer la mesure pour ne laisser sa famille mourir de faim. Comment assurer la compassion ou le souci d’autrui lorsque sa vie ou celle de sa famille est en danger ?
Par ailleurs, si un dispositif d’appels téléphoniques en faveur des cas contacts a été mis en place par la cellule psycho-sociale et leur permet ainsi d’avoir une oreille attentive à leurs préoccupations, questions et besoins, cela ne remplace pas leur présence physique souhaitée, qui rassure, personnalise la relation de soins. La réponse d’assistance matérielle, financière ou l’accompagnement par téléphone ne répondent pas toujours aux besoins des personnes en quarantaine, qu’il faut prendre le soin de bien étudier et comprendre. En se focalisant sur l’expérience de gestion des épidémies, il est établi que les personnes en isolement ont 3 types de besoins : fonctionnels, émotionnels et sociaux et relationnels.
La réponse actuelle de la cellule psychosociale prend en charge les besoins fonctionnels (argent, dépense quotidienne pour la famille) émotionnels (discussions et accompagnement individuel), mais adresse insuffisamment le dernier type de besoin. Le cas contact aspire surtout à éviter ou enlever les étiquettes et stigmates sociaux, retrouver sa place et renouer un lien social apaisé avec sa famille, son entourage, son quartier et les groupes sociaux d’appartenance. Pour cela, les appels téléphoniques sont appréciés pour exprimer un mal-être face à l’isolement, la stigmatisation, mais ne permettent pas de réduire celle-ci.
C’est pourquoi nous pensons qu’aux travailleurs sociaux, assistants sociaux et sociologues qui composent en général cette cellule, il faut adjoindre des psychologues sociaux, agents de promotion de la santé (Health promotion), des psychologues conseillers pour mener une intervention directe au niveau des sites de confinement afin de satisfaire les besoins d’accompagnement des confinés et faciliter leur séjour, dans l’attente d’une libération. Dans les cas où ils sortiraient de la quarantaine ou leur isolement se passerait à domicile, ces psychologues sociaux ou agents de promotion de la santé peuvent compter sur les acteurs communautaires (CVAV, AVEC, APDC, ASC, bajenu gox etc.) pour préparer et faciliter le retour en communauté et la restauration du lien social. C’est important de comprendre que si ces personnes ont besoin d’une aide financière (en raison de leurs pertes de ressources dues à l’arrêt temporaire de leurs activités professionnelles), elles ont surtout besoin de faire oublier leur statut de suspect et de retrouver une certaine normalité de la vie quotidienne.
En définitive, tenant compte de ces considérations et du contexte de transmission communautaire soutenue, qui s’exprime aussi sous forme de clusters (augmentant ainsi le potentiel de cas contacts) et qui s’observe à partir des marchés, des lieux publics (rendant difficile leur listing exhaustif), la stratégie de quarantaine de ces suspects dans des réceptifs dédiés s’avère de plus en plus difficilement faisable et peu acceptable socialement. De manière pratique, les ressources financières mobilisées pour payer le séjour de quarantaine dans les hôtels auraient pu être engagées pour le renforcement du système de santé et de soins sénégalais qui en a besoin pour être plus fort et se préparer aux prochaines épidémies. A l’opposé du confinement forcé dans ces endroits, nous pensons qu’il faut développer une stratégie de réduction des risques qui fasse confiance en la capacité des populations pour préserver leur santé et qui leur permette d’apprendre à vivre avec les épidémies.
3. Mettre en avant le risque épidémiologique ou faire confiance et responsabiliser les communautés ?
Ces développements antérieurs nous permettent de constater que le fait de confiner la plupart les cas contacts dans des sites dédiés, sans tenir compte de leur niveau d’exposition au risque, ou hospitaliser les cas asymptomatiques (dans des structures extra-hospitalières) renseigne sur une mise au-devant (certes nécessaire, mais trop importante) du risque épidémiologique, justifiant l’imposition d’un ensemble de normes afin de rompre la chaîne de transmission dans les communautés. Cette approche biosécuritaire décline une grammaire impérative, autoritaire de la réponse politique aux épidémies, qui ne reconnaît pas les « capacités d’acteurs » des communautés à identifier le risque et à adopter des attitudes de sa gestion.
Ce qui est frappant avec le COVID-19, c’est qu’avec la peur de la nouveauté, la réaction des gouvernants a été plus intense que le mal lui-même. Au Sénégal, le caractère nouveau, de cette maladie, peu connue sur le plan scientifique l’incertitude qui entoure sa gestion, a influencé la perception et la fabrique des risques (objectifs et subjectifs) par les autorités politiques et sanitaires, amplifié les réactions de peur (Paul Slovic, Social Theories of risk, 1992).
Celles-ci les ont obligées et poussées à justifier des mesures inédites, en créant une psychose collective (communication de peur) pour que les individus s’y engagent et les respectent. Avec le confinement des contacts au niveau des réceptifs hôteliers, tout se passe comme si la grande majorité des citoyens était inconsciente, incapable, irresponsable et qu’il fallait leur imposer une certaine violence structurelle pour arriver à rompre la chaîne de transmission du virus. Toutefois, s’il est vrai que certaines habitudes observées au cours de l’épidémie sont à déplorer, le traitement médiatique qui en a été fait a contribué à leur donner une trop grande ampleur. En revanche, au quotidien, nous avons surtout vu et entendu des sénégalais inquiets, ayant des ressources, des réponses et des capacités d’agir, mais aussi porteurs d’enjeux et d’ambition de guérison, voulant contribuer significativement à la rupture de la chaîne de transmission. L’histoire de cette personne, guérie du COVID-19 (habitant à Niary Tally, Dakar) illustre très bien cette volonté et capacité de s’auto-isoler à la maison :
J’ai contracté le virus au boulot. En effet, un de mes collègues a été porteur puis dès que nous l’avons su, nous nous étions dits de faire le test à notre tour. Donc je suis un cas contact. Je n’allais plus au boulot, je suis resté chez moi tout en mettant un masque et en m’isolant du reste de la famille. Après les premiers doutes, j’ai appelé les services du ministère de la Santé et de l’Action sociale pour signaler ma situation. Lorsqu’ils ont su que mon entreprise a eu d’autres cas, ils sont venus. Le test a été effectué et 48 heures plus tard, les résultats sont tombés : j’ai été diagnostiqué positif au Covid-19. Par la grâce de Dieu, je n’ai contaminé personne. Les tests effectués sur ma famille se sont avérés négatifs. En réalité, lorsque je sortais de ma chambre, je mettais un masque, lorsque j’entrais je me désinfectais les mains. Je ne partageais plus rien avec personne, que ce soit des assiettes, du thé etc…
Par ailleurs, le récent exemple d’ECOBANK-TOUBA, où un cas confirmé de COVID-19 a été détecté, démontre qu’il est difficile de connaître tous les cas contacts pour les isoler et qu’il est nécessaire de faire confiance et de compter sur les capacités des sénégalais à s’auto-isoler. En effet, le service médical du district de Touba, en collaboration avec les autorités de l'établissement financier, a placé tous les employés, les agents de sécurité, le personnel de nettoyage en quarantaine. Toutefois, face à l’incapacité de lister les clients ayant été exposés, la Banque a fait un communiqué pour conseiller à tous ceux qui ont fréquenté ses locaux entre le 15 et le 29 avril 2020 de s'auto-isoler pendant 14 jours. Face à l’incertitude, il est possible de compter sur les populations pour s’isoler à domicile et réduire les risques, en portant les masques, en adoptant les gestes barrières, la distanciation physique. Comme le soulignent Girard et Le Gall (Libération, mai 2020) « réduire les risques, c’est accepter le fait que les individus s’exposent à des dangers divers, par nécessité ou par choix, et les outiller pour composer avec, notamment en leur donnant les moyens de se protéger. »
Le travail de reconnaissance des capacités des populations est d’ailleurs aujourd’hui une nécessité si on veut que les sénégalais apprennent à vivre avec le virus, face à l’utopie du risque zéro, dans un contexte d’incertitude ou de non maîtrise du temps pendant lequel l’épidémie va durer. Cela requiert que le dispositif de lutte contre le COVID-19 s’engage aussi auprès des communautés, par le biais d’une socialisation et d’une humanisation de son approche, à aller au-delà de la souveraineté politique ou biomédicale. Dans ce cadre, la présence des sciences sociales appliquées, dans le champ des épidémies, aux côtés des équipes épidémiologiques est nécessaire. Il est utile aussi que la recherche scientifique réinterroge les objets, les pratiques, les évidences du dispositif technique de l’urgence sanitaire de façon symétrique et réflexive, ce qui n’est pas purement négatif, mais produit de la science utile pour éclairer l’action publique socialement et culturellement acceptable (Faye, 2017).