Focus sur le fonctionnent des Chambres africaines extraordinaires
Le compte à rebours commence aujourd’hui pour l’ex-président tchadien Hissène Habré. C’est aujourd’hui que les activités des Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises vont démarrer. Coup de projecteur sur le fonctionnement des différentes chambres.
En exil au Sénégal depuis son éviction du pouvoir en 1990, l’ex-président tchadien Hissène Habré devra être jugé au Sénégal. Il est accusé des crimes présumés commis sur le territoire tchadien durant la période allant du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. Après l’échec de plusieurs tentatives de la Belgique de l’extrader pour jugement, le Sénégal a finalement reçu mandat de l’Union africaine (UA) de le juger, à travers les résolutions prises à Banjul, le 2 juillet 2006 et à Addis-Abeba le 31 janvier 2012. Il s’y ajoute les obligations découlant de l’article 7 de la Convention des Nations-Unies du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ratifiée par le Sénégal le 21 août 1986.
Un budget de 5,6 milliards F Cfa
Vu la complexité de ce dossier, un budget de 5,6 milliards F Cfa a été mobilisé. Selon ‘’Jeune Afrique’’ (06 janvier), le Tchad est le plus gros contributeur avec un montant de 2 milliards F Cfa déboursés. La presse avance que l’Union européenne et les Pays-Bas ont donné chacun 655 millions F Cfa. L’Allemagne et la Belgique ont contribué à hauteur de 655 millions F Cfa. La France, les États Unis d’Amérique, le Luxembourg et l’Union africaine ont donné respectivement 196,5 millions F Cfa, 500 millions F Cfa, 65,5 millions et 500 millions F Cfa. Aucun montant ne sera déboursé par le Sénégal, nous dit un proche du dossier.
Concernant le volet procédural, l’Assemblée nationale a voté le 19 décembre 2012, le projet de loi autorisant le président de la République à ratifier l'accord entre le gouvernement du Sénégal et l’UA sur la création de quatre Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises pour permettre le jugement de Hissène Habré. A cet effet, le ministre de la Justice a nommé en janvier dernier le magistrat M. Ciré Aly Ba et Mamadou Dia respectivement administrateur et contrôleur interne desdites Chambres, au nombre de deux. Il s’agit de la Chambre africaine extraordinaire d’instructeur et de la Chambre africaine extraordinaire d’accusation. Le dernier acte qui a été posé, avant le lancement aujourd’hui de leurs activités, est le lancement, par le gouvernement du Sénégal, d'un appel d'offres pour la construction d'une nouvelle prison devant accueillir l'ancien Président du Tchad.
Auparavant, il y a eu la désignation des juges devant siéger dans ces deux chambres. C’était lors du Conseil supérieur de la magistrature tenu le mardi 22 janvier 2013. A cet effet, 14 juges sénégalais ont été choisis. Pour la phase d’instruction, six magistrats dont 4 titulaires et 2 suppléants ont été nommés. Les juges titulaires sont Jean Kandé, Souleymane Téliko, Absatou Ly Diallo et Abdoul Aziz Diallo. Les magistrats Barou Diop et Oumar Sall sont leurs suppléants. La Chambre d’accusation est composée des trois magistrats : Assane Ndiaye, André Bop Sène et Lamine Sow, tous précédemment Conseillers par intérim à la Cour d’appel de Dakar. Le magistrat Hyppolite Anquediche Ndèye est leur suppléant. Avocat général près la Cour d’appel de Dakar, le magistrat Mbacké Fall est nommé Procureur général près la chambre africaine extraordinaire. Il a pour adjoints Youssoupha Diallo, Anta Ndiaye Diop et Moustapha Kâ.
‘’Comme dans l’affaire Ino et Alex...''
Concernant la Chambre extraordinaire d’instruction, il faut souligner que celle-ci s’occupera de l’instruction préparatoire. Selon les explications d’un juriste, les juges seront répartis dans plusieurs cabinets d’instruction. Selon un magistrat, ’’il y aura plusieurs cabinets d’instructions, vu qu’il y a trop de victimes’’. Selon lui, l’instruction devra se faire sur échantillonnage, dans la mesure où, toutes les victimes ne peuvent pas être entendues. ‘’Comme dans l’affaire Ino et Alex, plusieurs cabinets seront désignés et ils travailleront en synergie’’, explique-t-il. Pour en revenir aux prérogatives de ces juges d’instruction, il faut souligner qu’ils vont, selon les éclairages d’un magistrat, ‘’poser tous les actes d’instruction nécessaires’’.
Basée à la Cour d’appel de Dakar, la Chambre extraordinaire d’accusation, elle, servira de Chambre d’appel pour les actes qui seront posés par les magistrats instructeurs dans cette affaire. Seulement, ce sera sur la base du réquisitoire introductif du Procureur général qui peut viser une personne et X. ‘’C’est sur la base de ce document que la Chambre extraordinaire d’instruction sera saisie. Donc c’est à la charge du juge d’instruction de les inculper et placer sous mandat de dépôt’’. Le réquisitoire introductif se fera sur la base des résultats d’enquête, de rapports. A ce propos, il n’est pas exclu le concours de la coopération judiciaire internationale pour ficeler le dossier d’autant qu’il y a des dossiers en Belgique, au Tchad. Ainsi de l’avis d’un magistrat, ce n’est pas très approprié de dire ‘’procès de Habré’’. Parce que, dit-il, ‘’on n’ouvre pas une procédure contre une personne. On n’a pas ouvert cette procédure contre Habré mais sur des crimes commis durant son règne’’. Concernant toujours la Chambre extraordinaire d’accusation, son rôle sera de s’occuper de la régularité de la procédure, lorsqu’un acte posé par le juge d’instruction est contesté.
Deux ans d’instruction
Si l’instruction d’un citoyen de droit commun dure six mois, dans cette affaire, les autorités avancent une durée de deux ans. Une situation jugée normale par un magistrat qui s’appuie sur la ‘’complexité’’ de l’affaire. ‘’ Il faut laisser le temps au temps. Il ne sert à rien de se précipiter. Il faut faire les investigations nécessaires, poser tous les actes et voir la régularité des procédures’’. C'est une fois cette étape terminée que deux autres Chambres seront mises en place. Il s’agira de la Cour d’assises et de la Cour d’appel qui seront présidées par un magistrat non sénégalais (Africain) assistés de deux assesseurs sénégalais.
Honoraires des magistrats, le flou artistique
Si dans le montage financier, il est clairement indiqué que l’argent prend en charge le déplacement des victimes, un grand flou entoure les honoraires des magistrats. Interrogés sur la question de la rémunération, certains magistrats pensent que ce n’est pas l’aspect économique qui est le plus important. Ils soutiennent que le plus important, c’est le défi qui leur a été lancé, en tant qu’Africain, s’enorgueillit un juge. ‘’Penser à l’aspect économique, c’est avoir une courte vue de la mission qui nous été confiée. L’important, c’est de servir mon pays, mon continent’’, souligne un autre juge selon qui le défi sera relevé. Parce que, dit-il : ‘’Nous sommes au même niveau de qualification que ceux qui sont au niveau de la Cour de la Haye.’’
FATOU SY
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