La famille de Me Sèye applaudit
La proposition du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar d’abroger la loi Ezzan est très bien accueillie par la famille du défunt juge, Babacar Sèye, dont les assassins ont été libérés par l’ex-président de la République, Abdoulaye Wade, alors que le(s) commanditaire(s) cour(en)t toujours.
Objet de controverse, la loi Ezzan, votée en 2005 sous l’ancien régime libéral, est à nouveau agitée par le groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar. Dans un communiqué rendu public jeudi, Moustapha Diakhaté, président dudit groupe, annonce un projet d’abrogation des ''lois scélérates dont celle portant amnistie du commanditaire et auteurs de l’assassinat de Maître Babacar Sèye''.
L’ancien vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal a, en effet, été tué au lendemain de la publication des résultats des élections législatives de 1993. Si les auteurs de cet assassinat ont été identifiés, condamnés, puis amnistiés, le flou demeure autour du ou des commanditaire(s) de l’un des plus graves crimes de l’histoire politique du Sénégal. Pour Abdy Sèye, fils de Me Babacra Sèye, c’est l’occasion de tirer au clair cette affaire qui aura charrié tant de passions.
''Si la 12e législature propose de revenir sur la loi Ezzan, nous ne pouvons qu’applaudir des deux mains'', confie M. Sèye à EnQuête. ''Maintenant, il faut aller au fond des choses. Autant on traque les auteurs de crime économique, autant on doit traquer ceux qui ont commis des crimes institutionnels, parce que Maître Sèye était une institution de la République'', ajoute l’héritier de l’ancien juge du Conseil constitutionnel. Et en abrogeant la loi Ezzan donc, il pense qu’''on n’aura pas réhabilité la mémoire'' de son défunt père, mais plutôt celle de ''la Justice''. ''Pendant 12 ans, dit-il, on avait affaire à une Justice du gouvernement, aujourd’hui, on a affaire à une Justice républicaine''.
Même si le groupe Benno Bokk Yaakaar n’a pas (encore) pris contact avec la famille du défunt juge, son fils estime que cela ne change rien dans la position des héritiers. ''C’est (l'Assemblée nationale) qui avait souverainement adopté sa loi (Ezzan) au grand dam de la famille, on n’y pouvait rien sinon saisir la société civile. Et c’est cette même Assemblée nationale qui devra décider souverainement de la suite à donner à cette affaire'', déclare-t-il. Aux libéraux qui jugent ''moralement inapproprié'' de revenir sur cette loi Ezzan, le fils de Me Sèye rétorque : ''Est-il normal qu’on tue quelqu’un et dire que le meurtre n’existe pas ? C’est moral ça ?'' Il pense que c’est faire preuve de mauvaise foi que de parler de moral, car ''un crime a eu lieu, les auteurs du crime ont été arrêtés, il reste le commanditaire. Il faut mener une enquête''.
Pour rappel, le juge Babacar Sèye fut assassiné le 15 mai 1993 sur la Corniche ouest de Dakar alors qu'il rentrait chez lui, en provenance de son bureau. Tous les regards menèrent vers le Parti démocratique sénégalais (Pds) alors dans l’opposition, et qui avait contesté les résultats rendus par le Conseil constitutionnel. Plusieurs personnes furent arrêtées dont Clédor Sène, Pape Ibrahima Diakhaté, Assane Diop, identifiés comme les ''auteurs du crime'', Samuel Sarr, Abdoulaye Faye, Mody Sy, Viviane Wade, comme ''complices d’assassinat et d’atteinte à la Sûreté de l’État'', et Me Abdoulaye Wade, comme le ''cerveau'' de l’affaire. Au bout d’un long procès palpitant, les premiers nommés seront reconnus coupables et condamnés (18 ans pour Clédor Sène et Assane Diop, 15 ans pour Ibrahima Diakhaté). Les autres seront libérés ''faute de preuves suffisantes''.
Élu président de la République en 2000 à la faveur d’une alternance démocratique, Me Wade procédera à l’indemnisation de la famille de Me Babacar Sèye à hauteur de 400 millions, selon journaliste Abdou Latif Coulibaly. Cet acte sera suivi de la grâce des auteurs du crime qui bénéficieront - et par ricochet le ou les commanditaire - d’une amnistie grâce à la loi Ezzan voté en 2005.
DAOUDA GBAYA
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