Une divergence de vision
Le 14 octobre 2024, la vision Sénégal 2050 a été officiellement présentée au Grand Public. Il est notable que l’opposition, plutôt que d’engager un débat de fond sur la pertinence, la viabilité et la capacité de l’Agenda de Transformation Nationale Sénégal 2050 à restructurer l’économie sénégalaise au cours des 25 prochaines années, s’attarde sur une supposée similitude, voire un plagiat, avec le plan Sénégal Emergent.
Ce constat a conduit à la rédaction du présent article, qui a pour objectif de mettre en avance les distinctions fondamentales entre les deux visions de développement, notamment en matière de structure économique et d’équité territoriale. L’approche adoptée consiste à identifier les limites du PSE dans les secteurs stratégiques, afin de démontrer la pertinence accrue de l’Agenda Sénégal 2050, à la lumière des indicateurs de performance et de leur évolution attendue.
Le point de divergence intrinsèque entre ces deux plans stratégiques réside dans leurs visions globales.
Le Plan Sénégal Émergent (PSE), lancé en 2014, mise sur une croissance rapide impulsée par la modernisation des infrastructures. Cependant, cette croissance, fortement basée sur des financements extérieurs et une participation majoritaire d’entreprises étrangères, a révélé des limites significatives. Ce modèle de développement exogène et extraverti a généré certaines lacunes structurelles dans l’économie sénégalaise avec des secteurs stratégiques du développement insuffisamment renforcé.
En réponse à ces défis, l’Agenda Sénégal 2050 adopte une vision plus endogène, axée sur l’autonomisation économique, l’équité territoriale, le renforcement du capital humain, la valorisation des ressources locales par une industrialisation sectorisée et la capacité des acteurs locaux à porter le développement. Cette approche endogène est arrimée à une série d’indicateurs de performance à moyen et long terme.
LE PSE c’est une agrégation de Financements exogènes massifs, conduisant à un surendettement croissant, sans impact significatif sur l’économie réelle du Sénégal car les entreprises étrangères ont la plus grande part des travaux.
Le financement des grands projets du PSE - à l’exemple du Train Express Régional (TER), du Stade Abdoulaye Wade, et de l'Autoroute Ila Touba - a reposé de manière significative sur des investissements directs étrangers (IDE), des prêts internationaux, ainsi que sur des Partenariats Public-Privé (PPP). En effet, des bailleurs de fonds tels que la France, la Chine, la Banque mondiale, et la Banque africaine de développement ont largement financé les projets d'infrastructure majeurs.
La participation de l’Etat au financement des projets est évaluée à 43.4% pour le PAP 2 (2019-2023) et 53.4% pour le PAP 3 (2024-2028).
Cette forte dépendance aux financements extérieurs a conduit à un endettement croissant qui fragilise l’économie sénégalaise face aux fluctuations des marchés financiers internationaux. La réactualisation de la dette publique du Sénégal l’évalue à plus de 80% du PIB (juillet 2024): un niveau d’endettement totalement en porte à faux avec les critères de convergence de l’UEMOA.
Figure 1: Plan de financement PSE PAP 3 2024-2028
Dans le même sillage que le financement, la réalisation des grands projets du PSE a largement impliqué des entreprises étrangères, en particulier dans les secteurs des infrastructures, de l’énergie, et des transports au détriment des entreprises locales. La faible implication des entreprises sénégalaises dans ces grands projets a limité la création d’emplois locaux et la montée en compétence des acteurs nationaux. Bien qu’ayant intégré des technologies importées, en particulier dans les secteurs de l’énergie (centrales solaires construites par des entreprises européennes) le transfert de compétences aux acteurs locaux a quasi inexistant, créant une dépendance accrue vis-à-vis de l'expertise externe pour la maintenance et la gestion de ces infrastructures. De plus, les bénéfices économiques tirés de ces projets ont souvent été rapatriés à l’étranger.
Aux antipodes du PSE, L’Agenda Sénégal 2050 met l’accent sur la mobilisation des ressources locales, en réduisant la dépendance aux investissements étrangers. L’objectif est de financer les projets structurants par des mécanismes internes, tels que l’épargne nationale (y compris l’épargne de la diaspora sénégalaise) et la fiscalité renforcée, tout en favorisant des partenariats avec des acteurs privés nationaux et régionaux. Le coût global de financement de la Stratégie Nationale de Développement 2025-2029 (qui est une déclinaison quinquennale de l’agenda Sénégal 2050) est évalué à 18496 Mds avec une contribution du secteur public à hauteur de 69% comparé à 53,4% dans le PSE (PAP 3). De plus, une implication soutenue du secteur privé national est attendu dans le financement des projets à hauteur de 2616 Mds minimum (soit 14%).
Figure 2: Plan de financement Agenda Sénégal 2050 (2024-2028)
Contrairement au PSE, l’Agenda 2050 place les entreprises sénégalaises au centre de la réalisation des projets d’infrastructures et de développement industriel.
Par ailleurs, pour les projets nécessitant une implication étrangère, l’Agenda 2050 propose de renforcer le transfert de compétences en favorisant les collaborations avec des universités locales et des centres de recherche, afin de garantir que le savoir-faire technologique reste dans le pays.
Le PSE se caractérise par une priorisation des investissements allant à l’encontre des principes de l’émergence : l’éducation et la Santé reléguées au second plan, une industrialisation stagnante et une agriculture sous-développée.
Investissements disproportionnés par rapport aux secteurs prioritaires
Bien qu’elles soient des symboles de modernité, Les infrastructures, qui ont capté une grande partie des investissements du PSE et qui en sont le marqueur visuel, ont eu un impact limité sur le quotidien des Sénégalais en bute à des défis colossaux dans les secteurs de l’éducation et de la santé.
Par exemple, le budget alloué au TER est estimé à près de 2 milliards d’euros, alors que des milliers d’écoles sénégalaises manquent de ressources de base (infrastructures, équipements, enseignants qualifiés). De même, les services de santé restent sous-financés, avec des hôpitaux souvent mal équipés et un accès limité aux soins dans les zones rurales.
Le constat est d’autant plus alarmant que les impacts réels sur la population sont discutables. (Les infrastructures comme le TER profitent principalement aux populations urbaines et aux classes sociales les plus favorisées, alors que l’impact sur l’emploi local reste marginal, la majorité des bénéfices étant captés par des entreprises étrangères.)
Industrialisation stagnante :
Toujours dans la logique d’investissement sur des infrastructures de prestige, Le PSE n’a pas suffisamment financé des projets de développement industriel. Par conséquent, la part de l'industrie dans le PIB reste modeste (la contribution du secteur secondaire au PIB stagne autour de 25 % depuis près d’une décennie de mise en oeuvre du PSE). Le Sénégal continue de dépendre largement des importations pour de nombreux produits manufacturés accentuant ainsi le déséquilibre économique avec une balance commerciale largement déficitaire (d’environ 4000 milliards Fcfa en 2024).
Figure 3: Répartition sectorielle du PIB
Agriculture sous-développée :
Malgré le fort potentiel agricole du Sénégal, ce secteur stratégique n’a pas bénéficié d'investissements prioritaires. Les projets liés à l’agriculture, bien que présents dans le PSE, (exemple : Prodac) ont été dévoyés, anéantissant toute perspective d’une autosuffisance alimentaire, et accroissant la vulnérabilité d’une grande partie de la population rurale aux crises alimentaires. Les investissements dans les infrastructures agricoles (irrigation, mécanisation) ont été limités en comparaison à ceux alloués aux secteurs du transport et des infrastructures urbaines.
Les effets du PSE sont palpables. Les retombées directes pour la population sénégalaise, notamment dans les secteurs de l’emploi et des services sociaux de base, sont faibles. L'accès limité à l’éducation de qualité et aux soins de santé dans certaines régions continue de freiner la progression des indicateurs de développement humain (IDH de 0,517 et 162e mondial en 2023 contre 0,49 en 2012 et 169e mondial).
En réponse aux limites du PSE en termes de priorisation des secteurs d’investissement, l'Agenda Sénégal 2050 propose de réorienter les priorités d'investissement vers des secteurs stratégiques tels que l'éducation, la santé (Capital Humain), l’industrialisation et l'agriculture (la compétitivité économique). Cette approche vise à renforcer l’endogénéisation de l’économie Sénégalaise tout en s’assurant que les investissements profitent directement aux populations, notamment en termes de création d’emplois et d’amélioration des conditions de vie.
L’agenda Sénégal 2050 érige l’Éducation comme priorité nationale : Le plan prévoit d'augmenter les investissements (avec 10% des investissements publics pour l’horizon 2025 2029 alloués à l’éducation) pour améliorer les infrastructures scolaires, recruter plus d'enseignants qualifiés et réduire les inégalités entre les zones urbaines et rurales. L’objectif est de baisser le taux de déperdition à l’école primaire à 10% en 2050 (contre 65% en 2024 après une décennie d’application du PSE) et de former des jeunes capables de contribuer à l’innovation et à l’industrialisation du pays (plus de 5 millions de professionnels formé en 2050).
Toujours dans l’objectif de densification du capital humain, l'Agenda 2050 vise une amélioration significative des services de santé : Il prévoit des investissements soutenus dans les infrastructures de santé, avec un accent sur l’accès universel aux soins dans les zones rurales. Il s'agit de moderniser les hôpitaux, de former le personnel médical et d'améliorer l'accès aux médicaments essentiels, dans le but de réduire significativement les inégalités d'accès aux soins. La couverture maladie Universelle passera de 53,6% (2024) à 100% en 2050 et la mortalité maternelle de 216 décès pour 100000 naissances vivantes (2024) à 70 en 2050.
Industrialisation et transformation des ressources locales
Contrairement au PSE, l'Agenda Sénégal 2050 se réconcilie avec les principes de base du développement économique en misant sur l’industrialisation endogène comme moteur de croissance. L’agenda Sénégal 2050 met l'accent sur le développement industriel local en s'appuyant sur la transformation des ressources locales. Le plan prévoit une augmentation de la part de l’industrie dans le PIB à 35-40 % (contre 22% dans le PSE), en promouvant des secteurs comme l’agro-industrie et la transformation des matières premières. Il favorise une implication accrue des entreprises sénégalaises dans les projets industriels et technologiques, avec des initiatives de formation et de transfert de compétences pour renforcer l'innovation nationale.
Autosuffisance alimentaire et renforcement du secteur agricole
Pour transformer, il faut produire. L'Agenda 2050 mobilise des Investissements stratégiques dans l’agriculture pour atteindre l'autosuffisance alimentaire en augmentant les investissements dans l’irrigation, la mécanisation et les infrastructures agricoles. L’Agenda 2050 a pour objectif de booster la productivité agricole et de réduire la dépendance aux importations alimentaires en intégrant des technologies modernes et en formant les agriculteurs.
L’Agenda prévoit également de renforcer la résilience des communautés rurales face aux changements climatiques, en diversifiant les cultures et en promouvant des pratiques agricoles durables.
Idy n’avait pas totalement tort : « La vision du PSE s’arrête à Diamniadio ».
La part dominante des projets du PSE aussi bien en termes de coût d’investissement que d’envergure s’est principalement concentrée autour de Dakar et des grands centres urbains. Le déséquilibre des investissements entre les zones urbaines et rurales a renforcé les disparités régionales et n’a pas permis une distribution équitable des bénéfices économiques à travers le pays.
La prépondérance de Dakar sur les autres régions s’est également fait ressentir sur les infrastructures de transport développées sous le PSE qui ont certes contribué à améliorer la connectivité entre Dakar et d'autres grands centres (Mbour, Touba …). Cependant elles n’ont pas permis de créer un réseau intégré à l’échelle nationale. Les limites relevées sur le maillage des infrastructures de transport ont freiné la création de véritables pôles économiques en dehors de Dakar et quelques zones urbaines.
Il ressort de cette analyse que le déficit en termes de maillage territorial découle d’une absence de stratégie globale clairement établie dans le PSE (PAP 1, 2 et 3) pour le développement de pôles économiques régionaux. Ce qui a limité les opportunités de croissance pour les régions hors de Dakar. En conséquence, la concentration des activités économiques dans la capitale a continué de creuser l'écart entre les différentes régions. A titre d’illustration, la région de Dakar, qui représente 0,3% du territoire, capitalise 46% du PIB national. Le PSE a échoué à assurer une décentralisation de l’activité économique du Sénégal.
L’Agenda Sénégal 2050 rétablit l’équilibre en intégrant dans sa stratégie une meilleure répartition territoriale des investissements par la promotion de huit pôles économiques de développement. Chaque pôle sera dédié à des secteurs clés adaptés aux spécificités locales, tels que l’agro-industrie adossé à 5 agropoles (Est, Centre, Ouest, Nord et Sud), la pêche et l’aquaculture dans les zones côtières, l’industrie minière et extractive dans les zones minières ou encore les énergies renouvelables dans les régions ensoleillées et venteuses. Cette approche favorise une croissance endogène en capitalisant sur les forces régionales.
Figure 4: Pole économiques Agenda Sénégal 2050
La création des centres de croissance régionaux s’appuie sur un réseau de transport intégré, catalyseur de la croissance endogène. Le maillage efficient des infrastructures avec 850 km de corridor fluvial, 1500km d’autoroute, 2000 km de voies ferrées, des ports) permet une valorisation équilibrée du territoire national en reliant les différents pôles économiques. Le maillage est conçu pour faciliter les échanges commerciaux entre les régions et pour réduire leur dépendance respective vis-à-vis de Dakar.
Le développement d’infrastructures de transport bien intégrées sera donc un levier clé pour stimuler l’économie régionale, en facilitant l'accès des produits locaux aux marchés nationaux et internationaux. Cela permettra de désenclaver les zones rurales et d’accroître leur participation à l'économie nationale.
Figure 5: Evolution de la répartition territorialisée du PIB et de la population.
Impact Attendu des Pôles Économiques et du Réseau de Transport Intégré
L'impact réel des pôles économiques de développement et du maillage d’infrastructures de transport sera significatif pour l’économie sénégalaise et les conditions de vie des populations :
- Inégalités territoriales : La création de pôles économiques et le développement d'infrastructures de transport permettront de réduire les disparités entre les régions, en favorisant un développement équilibré. Les zones rurales pourront ainsi bénéficier d’infrastructures de qualité, ce qui améliorera l’accès aux services de base et stimulera l’emploi local.
- Croissance régionale : En reliant efficacement les pôles économiques aux marchés nationaux et internationaux, le Sénégal pourra développer une croissance endogène qui reposera sur la valorisation des ressources locales et la participation accrue des régions au développement économique global.
Qualité de vie : L'accès amélioré aux services de santé et d'éducation dans les régions reculées permettra de réduire les inégalités sociales et d’accroître le capital humain, contribuant ainsi à une croissance plus inclusive avec un IDH cible de 0,581 en 2029 et une intégration du top 100 à l’horizon 2050.
A la lumière de ce qui précède, il est notable que le Plan Sénégal Emergent (PSE) et l’Agenda Sénégal 2050 sont deux plans stratégiques de développement fondés sur des visions opposées. L’endogénéisation de l’économie sénégalaise, épine dorsale de l’agenda Sénégal 2050, en fait un plan de transformation nationale unique. Cette approche vise à renforcer l’impact direct de la croissance économique sur le quotidien des Sénégalais, en privilégiant le développement à partir des ressources internes.
Dr. Mamadou D. NGOM
Chef d’entreprise : Fondateur MIGC et Lamane Sarl
Membre du MONCAP Diaspora (Infrastructures & Transports)
m.doudoungom@gmail.com">mailto:m.doudoungom@gmail.com">m.doudoungom@gmail.com
www.linkedin.com/in/ngomamadou/">https://www.linkedin.com/in/ngomamadou/">www.linkedin.com/in/ngomamadou/">https://www.linkedin.com/in/ngomamadou/