Le ministère de l’Intérieur mime la Cour suprême
Alors que BBY est privée de ses remplaçants aux prochaines législatives, Yaw va devoir compter sur ses remplaçants, du fait de la disqualification de ses titulaires.
Ousmane Sonko l’avait dit. C’est arrivé. La dernière erreur commise par l’équipe de campagne de Yewwi Askan Wi risque de coûter très cher à ladite coalition. En lieu et place des titulaires, les amis de Khalifa Ababacar Sall vont devoir compter sur une équipe de remplaçants composée uniquement de suppléants pour défendre leurs couleurs à l’Assemblée nationale. Conformément aux dispositions relatives à la loi électorale, le ministère de l’Intérieur a rendu public, hier, l’arrêté portant publication des listes électorales pour les Législatives de juillet 2022.
En termes plus simples, aucun des leaders investis sur la liste des titulaires ne sera député dans la prochaine législature, si la décision prise par le ministère de l’Intérieur est confirmée par le Conseil constitutionnel. Et la première victime de cette décision, ce n’est personne d’autre qu’Ousmane Sonko qui se trouve à la tête de cette liste déclarée irrecevable. Dans le même lot, il faudra mettre des ténors comme Aissatou Mbodj alias Aida Mbodj, députée sortante, Cheikh Tidiane Youm, Coordonnateur du Pur, El Hadj Malick Gakou, Déthié Fall (mandataire et député sortant)… Il faudra ajouter à la liste les mécontents qui ruaient déjà dans les brancards pour fustiger leur place sur la liste : Serigne Mansour Sy Djamil, Moustapha Guirassy, Cheikh Tidiane Dièye… À leur place, il y aura directement leurs suppléants dans l’ordre de leurs investitures.
En fait, il est reproché à la coalition de l’opposition d’avoir déposé une liste incomplète de titulaires. Suite à la notification par le ministre de l’Intérieur qu’il existait un candidat inéligible sur ladite liste, la coalition avait le droit de procéder à son remplacement. Malheureusement, au moment de passer à l’acte, ils l’ont remplacé par un candidat qui était déjà sur la liste des suppléants. Il s’est alors posé la question de savoir s’ils avaient la possibilité de corriger à nouveau. La commission chargée de la réception des dossiers avait dit niet. Résultat : la liste est déclarée incomplète.
Mais comme dans le cas de BBY, seule la liste concernée (les titulaires) a été déclarée irrecevable.
La chance des suppléants qui deviennent, de fait, les titulaires
Plus chanceuse, la coalition Benno Bokk Yaakaar, elle, pourra compter sur ses titulaires. Mais tous les suppléants sont recalés. Ce sera donc une équipe sans ses remplaçants. Ici, il leur est surtout reproché de n’avoir pas respecté les dispositions sur la parité homme-femme. Si l’on sait que sur la liste des titulaires, il y a beaucoup de ministrables, la question que l’on peut se poser est de savoir quelle serait la conséquence, s’il arrive que BBY arrive à épuiser ses candidats titulaires ? Il faut noter que ce cas de figure est peu probable, parce qu’avant que les suppléants ne viennent, c’est le stock de titulaires qui est appelé en premier lieu pour remplacer les démissionnaires.
D’un point de vue juridique, on peut valablement se demander comment on peut déclarer irrecevable une liste de suppléants ou de titulaires et recevoir dans le même temps la liste ? C’est la grande question que beaucoup de Sénégalais se sont posée à la lecture de l’arrêté du ministre. Aussi bizarre soit-elle, cette position qui consiste à séparer les listes des suppléants et celle des titulaires a été celle de la Cour suprême, lors des élections locales de 2014.
En effet, dans son arrêt n°31 du 24/6/14/J/232/RG/14, la haute juridiction n’avait pas hésité à casser partiellement la décision de la Cour d’appel de Dakar qui, sur saisine de la coalition Benno Bokk Yaakaar, avait déclaré irrecevable la liste d’And Defar Thiès (Idrissa Seck) dans la commune de Fandène. Motif : non-respect de la parité constaté sur la liste des titulaires. La Cour suprême avait alors affirmé : ‘’Il y a lieu de casser partiellement l’arrêt et de limiter l’irrecevabilité à la liste proportionnelle titulaire And Defar Thiès… Par ces motifs, casse et annule partiellement l’arrêt n°43 du 16 mai 2014 de la Cour d’appel de Dakar… Limite l’irrecevabilité à la liste proportionnelle titulaire pour les élections municipales de la commune de Fandène.’’
Les mandataires ont 24 heures pour saisir le Conseil constitutionnel
Hormis ces cas d’irrecevabilité, l’arrêté ministériel a déclaré recevable les listes suivantes : Bokk Gis Gis/Liggey, Naataangue Askan Wi, Alternative pour une Assemblée de rupture, Bunt Bi, les Serviteurs/MPR, la Grande coalition Wallu Senegaal. S’y ajoutent les listes titulaires de Benno Bokk Yaakaar et suppléantes de Yewwi Askan Wi.
À partir de la notification de l’arrêté de publication, les mandataires ont 24 heures pour saisir le Conseil constitutionnel aux fins de contester ledit texte.
Ainsi, dès aujourd’hui, les représentants des listes mécontentes pourront saisir la haute juridiction. Celle-ci doit obligatoirement statuer dans les trois jours qui suivent.
ANALYSE DE LA DÉCISION Pape Oumar Sakho et Youssoupha D. Mbodj vont-ils se dédire ? On peut ne pas partager le raisonnement du ministère de l’Intérieur qui a reçu la liste titulaire de la coalition Benno Bokk Yaakaar, tout en estimant irrecevable la liste des suppléants pour ‘’non-respect’’ de la parité. Cela peut sembler bizarre, mais une telle décision s’inspire d’une jurisprudence de la Cour suprême qui remonte au moins aux Locales de 2014. Ironie de l’histoire, à l’époque, c’est la même coalition Benno Bokk Yaakaar, conduite par le ministre Augustin Tine, qui avait saisi les juridictions pour demander que la liste And Defar Thiès d’Idrissa Seck soit déclarée irrecevable dans la commune de Fandène, pour non-respect de la parité. Dans un premier temps, ils avaient obtenu gain de cause auprès de la Cour d’appel de Dakar. La liste And Defar Thiès avait été déclarée irrecevable dans sa globalité. Saisie par les amis d’Idrissa Seck, la Cour suprême avait cassé, partiellement, cet arrêt de la Cour d’appel, en limitant l’irrecevabilité à la liste des titulaires. Dès lors, les suppléants prenaient directement la place des titulaires invalidés. Ce qui est anecdotique dans cette histoire, c’est que deux acteurs majeurs de cette jurisprudence sont aujourd’hui au Conseil constitutionnel. Il s’agit, en l’occurrence, du président Papa Oumar Sakho (président de la Cour suprême à l’époque, devenu président du Conseil constitutionnel) et de Youssoupha Diaw Mbodj qui en était le procureur général devenu membre du Conseil constitutionnel. La seule différence, c’est que ce qui profitait à l’époque à l’opposition profite aujourd’hui au pouvoir. Pour statuer sur le cas de Benno Bokk Yaakaar, le ministère de l’Intérieur n’a fait que tirer les conséquences de cette décision, aussi bizarre soit-elle. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel va opérer un revirement jurisprudentiel sur cette même question. Cette même logique a aussi été reconduite pour la liste de Yewwi Askan Wi, même si le motif de l’irrecevabilité est nettement différent. En effet, si BBY est sanctionné pour non-respect de la parité sur la liste des suppléants, Yaw, elle, est sanctionnée pour liste incomplète. Pour rappel, après avoir reçu notification de remplacer un candidat inéligible, Yaw a commis l’erreur de le suppléer par un candidat qui était déjà sur la liste des suppléants. La commission en avait pris acte et avait refusé tout autre remplacement. |
MOR AMAR