Publié le 3 Oct 2017 - 20:34
QATAR VS ARABIE SAOUDITE

Le Sénégal à la croisée des tirs

 

Dans l’expression d’une rivalité géographique, Doha et Riyad s’accusent mutuellement de pressions diplomatiques pour mettre au pas les pays moins forts. Le Sénégal est victime de cette instrumentalisation géopolitique qu’il aggrave en voulant contenter tout le monde sans fâcher personne.

 

Karim Wade est en ce moment même l’incarnation de l’expression ‘’patate chaude’’. Incandescent entre les mains d’un chef d’Etat sénégalais qui a pratiquement réussi, avec son exil et l’emprisonnement du maire de Dakar Khalifa Sall, à faire le vide politique autour de sa candidature pour se succéder à lui-même. Une situation initiale que l’élément perturbateur, fils de Wade, élargi de prison en juin 2016 après une condamnation par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), pourrait chambouler. Les deux sorties successives, par presse interposée, d’officiels de ces deux puissances du Golfe montrent que l’argument Karim est utilisé pour contraindre l’Etat du Sénégal à jouer selon leurs convenances.

Mercredi 7 juin 2017, le Sénégal rappelait son ambassadeur accrédité à Doha (Qatar) dans le sillage d’autres pays africains dont les plus radicaux, comme la Mauritanie et le Tchad, sont allés jusqu’à la fermeture de leurs ambassades. Pourtant, la gestion secrète du dossier Karim jusqu’à son exfiltration-exil dans cet émirat supposait une bonne entente entre les deux pays, comme l’a affirmé  du reste le chef de la diplomatie qatarienne dans une interview à ‘’Jeune Afrique’’ publiée ce lundi. ‘‘L’affaire Karim Wade a été traitée comme une affaire humanitaire, avec l’approbation du gouvernement sénégalais. Jamais nous ne serions intervenus sans son approbation’’, a déclaré Mohammed Ibn Abderrahmane Al Thani dans les colonnes de l’hebdomadaire parisien. L’embrouille sur l’axe Dakar - Doha est survenue exactement 17 jours après que le président Sall a répondu à l’invitation du royaume saoudien pour le discours de Donald Trump, le 21 mai dernier, dans la capitale du royaume wahhabite. Le tandem Washington-Riyad n’a jamais fait mystère de son désir de faire rentrer Doha dans les rangs, de le sortir du joug diplomatique iranien. Mais le Qatar n’est pas resté les bras croisés.

Si l’on en croit l’ambassadeur saoudien à Dakar, Abdallah Ahmad Al Abdan, les Qataris auraient promis à Macky Sall de lui retourner son encombrant colis, Karim Wade, pour que Dakar reconsidérât sa position. Sur le plateau de la SEN TV, il raconte que pendant la fête de Korité (NDLR : 27 juillet 2017), une délégation qatarienne était à Dakar, dans la plus grande et totale discrétion, pour négocier un retour d’exil de Wade-fils. Mais la réponse du gouvernement de Macky Sall catégorique est “non”. “C’est la preuve que le Qatar fait de l’ingérence et cherche à exercer son influence sur le Sénégal, comme il le fait avec les autres pays”, a avancé le diplomate sur le plateau. Un moyen de pression idéal qui, pour ce petit émirat, procède de sa tentative de se libérer de ce que les observateurs ont appelé ‘‘Qatar ban’’, une mise à l’écart diplomatique dont le maitre d’œuvre est le quartet anti-terroriste (ATQ en anglais), l’accusant de soutenir financièrement des groupes terroristes, dirigé par l’Arabie saoudite.

Jeu trouble du Sénégal

Si le porte-parole du gouvernement sénégalais pense que l’exilé de Qatar ‘‘est libre d’aller et de venir’’, en réagissant aux propos du plénipotentiaire saoudien, dans les colonnes de ‘’Libération’’, il n’a pas manqué de glisser une mise en garde. ‘‘Moi, ce qui m’intéresse chez Karim Wade, c’est quand est-ce qu’il va restituer au Sénégal les 113 milliards objet de l’amende prononcée par la justice de son pays’’, a déclaré Seydou Guèye. Mais toute cette agitation pourrait être due à la nouvelle attitude adoptée par Karim Wade qui manifesterait de plus en plus son désir de rejoindre Dakar.

Un de ses proches a laissé entendre que ‘‘Karim sait qu’il ne peut mener la lutte par procuration depuis le Qatar et doit nécessairement venir affronter son destin politique ici au Sénégal’’, souffle-t-il en ajoutant que le candidat investi des libéraux ferait fi de toutes les charges indemnitaires découlant de sa condamnation par la CREI. Les réactions du gouvernement sénégalais sont pour le moins timides au  milieu de ces tirs croisés ‘‘qatari-saoudien’’. Déjà, l’annonce du rappel de l’ambassadeur  à Doha pour consultation s’était faite par voie de communiqué, signé par le gouvernement et non par la présidence de la République, avant qu’un autre communiqué du même gouvernement, le 22 août dernier, tout aussi discret, ne demande au Dr Mamadou Mamoudou Sall de regagner le 65 Ibn Almoutas Street à Dafna, Doha.

La déclaration victorieuse du ministre qatarien des Affaires étrangères dans les colonnes de ‘’JA’’ a fait l’objet d’un ‘’démenti’’ en coulisse dont le manque de vigueur et le non-respect du parallélisme des formes affaiblissent encore plus la diplomatie sénégalaise dans ce dossier. ‘‘Dakar a fini par se rendre compte qu’il avait pris la mauvaise décision. Le président sénégalais, Macky Sall, a expliqué à l’émir qu’il avait été trompé et qu’il voulait réinstaller son ambassadeur à Doha’’, a affirmé Mohammed Ibn Abderrahmane Al Thani.

Reste à savoir pourquoi, avec cette affirmation du chef de la diplomatie qatarien, la précision côté sénégalais s’est faite anonymement par voie de presse. 

Soft Power

Le Sénégal, qui a traditionnellement conduit son action diplomatique sur d’excellentes relations avec la France, les USA, le Maroc et l’Arabie saoudite, est en très mauvaise posture dans cette affaire. Riyad et Doha appliquent sans retenue la diplomatie du chéquier envers des pays dont la subsistance dépend, des fois, de ces flux d’argent principalement. Dans l’expression de vieilles rivalités, avec en toile de fond l’Iran, Doha et Riyad s’accusent mutuellement de pressions diplomatiques pour mettre au pas les pays moins forts. Le petit poucet sénégalais est plus victime de cette instrumentalisation géopolitique qu’il aggrave en voulant contenter tout le monde sans fâcher personne. En décidant de faire regagner l’ambassadeur en poste à Doha, Dakar est en train de finir par ce qu’il aurait dû commencer : ne pas prendre parti, quelles que soient les pressions, et se poser en médiateur comme Rabat.

En 2014, Riyad avait réussi à intimider le Qatar, ce turbulent pays émergent sur la scène internationale, en demandant aux pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha, qui soutenait les ennemis stratégiques de l’Arabie saoudite : l’Iran et les Frères musulmans. Une injonction à laquelle s’était finalement pliée le Qatar avant que ne survienne cette grave crise diplomatique. Au-delà de ces tiraillements dans le Golfe, c’est la main active du président américain Donald Trump à donner à l’Arabie saoudite les premiers rôles dans un affrontement souterrain contre l’Iran, qui complique la donne pour ce petit émirat, quatrième producteur mondial de gaz, membre associé de l’Organisation internationale de la Francophonie, et le plus notoire, propriétaire du club de foot de la capitale française, PSG, à travers son fonds d’investissement Qatari Sport Investment (QSI). Et dans cette guerre sourde, pour couper le lien avec l’Iran et isoler enfin la puissance chiite, rien n’est laissé au hasard. Même une remise en question de l’attribution du Mondial-2022.  

OUSMANE LAYE DIOP

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