Que fait encore l’armée Française au Sahel ?
Depuis le sommet de l’OTAN à Londres, le Président Macron s’évertue à convaincre l’opinion publique Française, africaine et du monde, que l’intervention Française au Sahel ne vise rien d’autre qu’à libérer les peuples du Sahel des djihadistes, à la demande des Chefs d’Etat de ces pays, et pour leur barrer la route vers l’Europe.
C’est pourquoi, il exige des Chefs d’Etat concernés de redire publiquement que c’est à leur demande que la France est intervenue, et non pour des visées impérialistes, et que par conséquent, il leur faudrait faire taire les critiques de leurs citoyens contre la présence militaire française au Sahel.
Une telle justification de l’intervention militaire française au Sahel ne résiste pas à l’analyse de l’historique de celle-ci.
D’abord, la France est intervenue en « République Centre Africaine » (RCA) avec « l’Opération SANGIRIS » pour mettre fin à la guerre que se menaient des groupes armés centre africains pour le contrôle du pouvoir en exploitant les convictions religieuses musulmanes et chrétiennes de la population.
Devant l’échec patent de son intervention qui commençait à s’enliser, la France dut mettre fin à cette Opération, donnant ainsi l’occasion aux nouvelles Autorités de la RCA de solliciter Moscou pour parvenir à rétablir l’ordre et la stabilité en réconciliant les groupes armés dans l’opposition avec pouvoir.
De même, son intervention militaire en Libye contre le régime de Khadafi n’était pas menée contre des djihadistes, mais pour soutenir un soulèvement de l’opposition au nom de la Démocratie entraînant l’assassinat de Khadafi, et la constitution de groupes armés qui se disputent le pouvoir dans ce pays, et la dissémination d’autres groupes armés dans d’autres pays du Sahel dont le Mali où elle a soutenu la création du « Mouvement National de Libération de l’AZAWAD »(MNLA) à Kidal, qui, en alliance avec des groupes armés islamistes considérés de « modérés » par les Autorités Françaises, avait décidé de proclamer , depuis Paris, l’Indépendance de cette partie Nord de ce pays.
Cependant, le MNLA et ses alliés islamistes ne se sont pas entendus sur le partage du nouveau pouvoir de l’Etat de l’AZAWAD qu’ils viennent de proclamer « Indépendant », suscitant une guerre fratricide entre eux, qui s’est terminée par l’expulsion du MNLA vers le Burkina sous le règne de Compaoré, qui l’a accueilli et hébergé dans son pays, avec le soutien de Paris.
Les Islamistes ont ainsi pris Kidal que la France destinait au MNLA pour mieux asseoir la protection de ses intérêts en uranium au Niger, où ses ressortissants qui travaillent pour le compte d’AREVA, sont souvent kidnappés par des groupes armés qui réclament des rançons avant leur libération.
C’est alors qu’est intervenu le sursaut d’officiers de l’Armée maliennes, qui ont renversé le Président de l’époque, écœures qu’ils étaient de voir leurs troupes exterminées au Nord du pays et mises en déroute devant l’indifférence du Président de la République et des Partis politiques les plus influents préoccupés par les préparatifs de l’élection présidentielle en perspective.
Mais plutôt que de se rassembler dans une mobilisation générale pour soutenir l’armée qui vient de prendre le pouvoir pour rétablir l’intégrité territoriale de l’Etat, ils ont préféré, avec le soutien de la France, se battre pour un « retour à la légalité républicaine » en soutenant l’embargo décrété par Paris en instrumentalisant les pays de l’UEMOA.
Cette réaction apatride et politicienne a contribué à affaiblir les Institutions de l’Etat malien et son Armée, facilitant l’avancée, sans résistance aucune, des djihadistes vers Bamako.
Ainsi, pour avoir permis au MNLA d’amputer le Nord du Mali, empêché l’armée malienne de s’armer par un embargo économique et militaire, et de mobiliser son peuple pour rétablir l’intégrité territoriale de leur Etat, Paris est la cause principale de la crise sécuritaire qui sévit depuis lors au Mali et dans le reste du Sahel, et non les djihadistes, qui ont juste saisi l’opportunité que la France leur a offerte.
Par la suite, les nouvelles Autorités Françaises, avec la succession de Sarkozy par Hollande, ont compris à juste raison, qu’il fallait d’abord « libérer le Mali des djihadistes avant de rétablir la légalité constitutionnelle » à travers l’élection présidentielle dont le processus fut interrompu en Mars 2012 par le coup d’Etat des jeunes officiers de l’Armée malienne.
Ce faisant, à la demande du Président de la Transition du Mali, d’une « couverture aérienne » pour permettre à l’Armée malienne de libérer le Nord du pays par son Armée nationale, Le Président Hollande a déclenché « l’Opération Serval » sur air et sur terre, en ramenant à Kidal, dans ses bagages, le MNLA qui y était expulsé par ses anciens alliés islamistes, sous prétexte de le faire contribuer à la lutte contre les djihadistes.
C’est ainsi, d’une façon unilatérale, sans demander l’avis des pays concernés, ni consulter leurs partenaires européens, les Autorités françaises ont décidé de rester dans le Sahel en transformant « l’Opération Serval » qui avait fini de chasser les djihadistes hors du Mali, en une nouvelle « Opération Barkhane » qui étend la présence militaire de la France au Burkina, au Niger et au Tchad.
Ensuite, avec le retour et l’installation des indépendantistes à Kidal où l’Armée française interdit l’Armée malienne de pénétrer, « l’Opération Serval » de tous les espoirs , saluée avec enthousiasme par le peuple malien, vire au cauchemar , quand le peuple prit conscience, que le véritable objectif de cette « Opération » n’était pas seulement de chasser les djihadistes du Nord de leur pays, mais il était aussi d’ériger Kidal en sanctuaire sous le contrôle du MNLA pour servir de bouclier des intérêts français investis dans l’uranium du Niger qui assure 40% de l’électricité de France.
Pour ce faire, la France est parvenue à imposer aux nouvelles Autorités Maliennes, la tenue de négociation de paix avec les groupes armées indépendantistes en favorisant une nouvelle alliance entre le MNLA et des groupes armés islamistes, dits « modérés », pour créer la « Coordination des Mouvements de l’AZAWAD », (CMA).
Ces négociations se sont tenues à Alger, avec des « accords » qui jusqu’ici divisent profondément le peuple malien, dont la plus part y voient la consécration de la partition de leur pays, avec Kidal qui va échapper à l’Autorité leur gouvernement.
Surtout que ces accords imposent au gouvernement Malien de verser 40% de ses recettes budgétaires à la région durant 20 ans, de lui réserver 80% des forces de sécurité reconstituées, 20% des ressources minières qui y sont découvertes, et l’accord préalable des autorités séparatistes pour toute exploitation des ressources minières de la région.
Depuis la signature de ces Accords, et l’arrivée de la MINUSMA ,créée par les Nations Unies pour veiller à leur mise en œuvre, les Maliens ont constaté que la France continuait à empêcher l’Armée malienne et les autorités administratives, à s’installer à Kidal, et à la place du désarmement des groupes armés comme prévu, le peuple malien assistait à leur sur armement au moment où leur propre Armée nationale avait du mal à s’équiper pour assumer ses tâches régaliennes de défense de l’intégrité du territoire national et de la sécurité de ses citoyens.
Le peuple malien en a conclu avec raison, preuves à l’appui, que si vraiment les Autorités françaises voulaient la paix dans le respect de l’intégrité des frontières de son territoire, elles auraient procédé, d’elles même, au désarmement des groupes armés signataires des Accords d’Alger, et l’installation de l’Armée malienne et les Autorités administratives à Kidal.
C’est le maintien par la France de ce statut spécial pour Kidal qui, à la longue, a créé les conditions de l’apparition du terrorisme au Centre du Mali et aux agressions multiples contre les populations et les soldats de l’Armée malienne, en instrumentalisant les communautés de ces localités que l’Administration et l’Armée malienne n’ont plus les moyens et les capacités de matérialiser la présence de l’Etat, et les missions régaliennes qui les incombent.
C’est donc à juste raison, que de plus en plus, les maliens se mobilisent contre la présence militaire et administrative de la France au Mali, où elle occupe les fonctions de Conseiller militaire à la Direction de la Minusma, et à l’Etat- Major de l’Armée malienne, et celle de représentant de la Minusma à Kidal jusqu’à ce que le peuple malien exige son départ, devenu effectif, depuis lors.
Malgré ces positions stratégiques de la France, le manque de coordination dans la lutte contre les terroristes, l’extension des actions terroristes du Nord au Centre du Mali, et des attaques récurrentes des groupes armées contre l’Armée malienne en lui infligeant de lourdes pertes, jusqu’au Burkina et au Niger, ont fini par convaincre les populations du Mali et du Burkina, de l’inutilité de « Barkhane » dans la lutte contre les groupes armés.
Le Président Macron a beau monté sur ses grands chevaux, mais il ne peut plus convaincre qu’il est au Mali pour y chasser les djihadistes, mais, au contraire, les Maliens ont compris, que s’était pour protéger ses intérêts au Niger dont le Président, avec l’appui de son Assemblée nationale, est mobilisé pour soutenir sa présence !
La France a créé le problème, et est en son centre. C’est pourquoi les populations du Mali et du Burkina, considèrent qu’elle ne peut pas faire partie de la Solution.
L’appel à son secours, lancé par le Président Macron, soutenu par le Président du Niger, pour impliquer l’Union Européenne à défaut de l’OTAN comme elle y était parvenu contre la Libye de Khadafi, ou pour impliquer l’ONU à défaut des USA à ses côtés, ne devrait plus tromper personne.
Surtout que cet appel se conjugue avec une volonté manifeste d’humilier le Président du Mali et du Burkina, où les populations sont à l’avant- garde des luttes pour le départ de l’Armée française du Sahel, et que le Président Macron, en les convoquant à Pau, exige de réprimer.
Il est si désespéré, qu’il exhibe le spectre de la Chine et de la Russie pour gagner l’Union Européenne et les USA dans sa lutte pour préserver ses intérêts économiques (l’uranium nigérien) et stratégiques au Sahel (l’aéroport de Tessalit et celui de Kidal en construction par la Minusma sous la présidence de son représentant, qui vient d’être expulsé).
Même les Chefs d’Etat de la CEDEAO en réunion au Nigéria le 21 Décembre se sont abstenus de demander le maintien de « l’Opération Barkhan de la France au Sahel, et se sont contentés de demander de mettre le G5 sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, et de donner à la Minusma une fonction « robuste » pour aider l’armée malienne à assumer ses fonctions régaliennes.
D’ailleurs les USA viennent de publier leur décision de se désengager dans cette « lutte contre le terrorisme au Sahel » menée par la France, mettant fin ainsi au rôle qu’ils avaient dévolu à la France pour le contrôle de ses anciennes colonies.
Ainsi au Mali, l’un des deux piliers de la confiscation de la souveraineté de nos peuples que sont les « accords militaires » avec la France, et sa présence de son armée et de ses conseillers militaires, est fortement ébranlé, alors que le second pilier, constitué par les « accords monétaires instituant la Zone Franc » vient d’être déboulonné à Abidjan avec la création de l’Eco le 21 Décembre 2019.
Ainsi, le système de perpétuation de la domination néocoloniale de la France sur nos peuples voit ses maillons, les plus faibles, sauter en même temps à Abidjan et à Bamako.
C’est pourquoi, tous les pan- africanistes de tous bords, devraient redoubler de mobilisation et de détermination, pour empêcher que les Présidents du Mali, du Burkina et du Niger , ne flanchent à Pau le 13 Janvier, devant la contre- offensive agressive de Macron, qui ne voit que dans leur humiliation et la répression de nos peuples, la survie de son système néocolonial.
Ibrahima SENE PIT/SENEGAL
Dakar le 12 janvier 2020