Que vaut la parole d’un chef de l’État du Sénégal ?
L’attente a été longue. Très longue même. A la fin, la montagne a accouché d’une souris. Grosse déception ! Pour se faire élire président de la république, le candidat Macky Sall avait promis, entre autres, de réduire le mandat présidentiel de 7 à 5 ans, en se l’appliquant à lui-même. Un engagement généreux qui avait à l’époque beaucoup séduit l’électorat et qui a dû peser très lourd sur la balance pour la victoire du 25 mars 2012. Ceux qui doutaient encore de la sincérité de cet engagement qu’ils mettaient sur le compte de promesses électorales, voire électoralistes, en seront pour leurs frais. En effet, une fois élu 4ème président de la République du Sénégal, Macky Sall a réitéré cet engagement, au Sénégal comme à l’étranger, en dépit de l’opposition farouche de quelques francs-tireurs de son camp, qui insistaient notamment sur la nécessité de respecter la Constitution du Sénégal tel que lui, le chef de l’Etat l’avait solennellement déclaré lors de sa prestation de serment, le 2 avril 2012. Mais, rien n’y fait. Le président Macky Sall était résolu de respecter sa parole.
Seulement, à mesure que le temps passe, et que le régime s’englue dans des problèmes insolubles, aggravés par un bilan d’étape indigent qui est loin de lui garantir une réélection à l’occasion de la prochaine présidentielle dont la date probable (2017) est devenue, du coup, trop proche. Dès lors, le président Macky Sall n’arrivait plus à dormir du sommeil des justes. La sagesse wolof dit : « wakh lò kham def lò mën sò teddè nelaw ». Ah ! Si Macky Sall pouvait ravaler ses promesses démagogiques qui lui ont valu plus tard tous ces déboires.
Alors, le président Macky Sall a semblé hésiter et a commencé à faire du dilatoire, à gagner du temps. Mais, c’était pour se compliquer lui-même la vie pour une question, somme toute, pas si difficile à régler. La solution la plus simple était de renvoyer cette question à l’Assemblée nationale où le chef de l’Etat dispose d’une forte majorité, totalement acquise à sa cause et tout à fait prête à voter mécaniquement et massivement, dans le sens souhaité par Macky Sall, tout projet de révision constitutionnel qui proviendrait de l’Exécutif.
Avait-il parlé trop tôt en faisant cette promesse ? Avait-il réellement besoin de prendre un tel engagement pour être élu ? Est-il encore possible de revenir en arrière ? Que signifiera pour lui un non-respect de sa parole donnée ? Les questions et interrogations se sont bousculées dans les têtes. Peut-être que si c’était à refaire, jamais le candidat Macky Sall ne se serait aventuré à engager sa parole, et par ricochet son honneur, de façon si imprudente et rédhibitoire. Comme le pauvre corbeau dans la fable de Jean de la Fontaine (Cf. Le corbeau et le renard), il jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendra plus. Toujours est-il que son parti (l’Apr), la coalition Benno Bokk Yaakaar, l’opposition, la société civile, les juristes, les intellectuels, les religieux ou le Sénégalais lambda sont divisés en deux camps antagonistes : les partisans de la réduction du mandat et ceux qui sont favorables au statuquo, et le maintien du septennat.
Il faut dire que le président Macky Sall a délibérément et sciemment entretenu la polémique autour de la réduction du mandat présidentiel comme s’il voulait occuper les Sénégalais, comme un os à rongé jeté à son toutou, et les détourner ainsi des vraies questions qui les turlupinent au quotidien.
En commanditant un travail à la Commission nationale de réformes institutionnelles (CNRI) du président Amadou Mahtar Mbow, et en ne prenant dans les conclusions de ce conclave que « ce qui l’intéresse », le président Macky Sall n’a fait qu’ajouter à la confusion. C’est dans la même logique de brouiller les pistes que le chef de l’Etat a décidé de soumettre, pour avis, au président de l’Assemblée nationale et au Conseil Constitutionnel, le projet de réformes constitutionnelles en 15 points, rendu public à l’occasion de son adresse solennelle à la Nation du 31 décembre 2015.
En réalité, en faisant tous ces détours et en noyant la question de la réduction mandat présidentiel dans un package qui va être proposé au peuple sénégalais lors du référendum, le président Macky Sall a joué au plus malin avec les Sénégalais. Imaginez, à l’occasion de la consultation référendaire, le dilemme cornélien de l’électeur sénégalais devant répondre globalement par OUI, par NON par ou ABSTENTION devant un paquet de réformes qui comporte 15 questions qui peuvent appeler à des réponses différentes. Et puis, en soumettant au Conseil Constitutionnel, pour avis, son projet de réformes constitutionnelles, le président Macky Sall a suscité un débat sur la conformité ou non de l’avis des « 5 sages ».
Est-il lié oui ou non par l’avis du Conseil Constitutionnel ? Le débat n’a jamais été tranché. Cela dit, l’on a appris avec stupeur, qu’après s’être bien assuré que le document soumis à leur appréciation est bien arrivé sur le bureau du président de la République, le président du Conseil Constitutionnel et quelques-uns de ses collègues ont pris l’avion pour quitter le Sénégal. Effarant ! Ont-ils si peur ou tellement honte de leur « avis » ou « décision » au point de regarder les Sénégalais en face qu’ils ne s’y prendraient autrement ? A y regarder de plus près, si cette information est avérée, cette peur de s’assumer, voire cette couardise s’est traduite par une fuite honteuse (par lâcheté ?) qui ne les grandit pas.
Déjà qu’ils n’avaient pas bonne presse jusqu’ici aux yeux de beaucoup de Sénégalais. Pour avoir tout le temps déclaré qu’elle n’était pas compétente pour moult dossiers qui lui avaient été soumis dans le passé, le Conseil Constitutionnel avait provoqué l’ire d’un certain Talla Sylla, président de l’Alliance Jëf-Jël, qui n’avait pas alors hésité de qualifier les « 5 sages » d’« incompétents ». Après avoir validé la candidature de Me Abdoulaye Wade pour l’élection présidentielle en 2012, ils ont été trainés dans la boue et traités de… « 5 singes » par les activistes du M23.
Cette dérobade des « 5 sages » n’est pas sans rappeler, le 26 août 1958 quand, s’adressant aux porteurs de pancartes de la Place Protêt (actuelle Place de l’Indépendance), le général De Gaulle n’avait en face de lui que le teigneux Valdiodio Ndiaye, pendant que Léopold Sedar Senghor et Mamadou Dia étaient aux abonnés absents.
Maintenant que le président Macky Sall a préféré la loi au détriment de la morale, en habillant en « décision » du Conseil Constitutionnel son « wax waxeet », il a tout simplement choisi de ne pas tenir parole. Il s’est assis de tout son poids sur son engagement. Le président Macky Sall a raté le train de l’Histoire. A dire vrai, il n’avait pas besoin de tout ce juridisme et de ce glissement sémantique qui consiste à passer de l’« avis » à la « décision » du Conseil Constitutionnel. Les milliards qui seront dépensés pour le référendum du 20 mars 2016 pourraient être injectés plus utilement pour améliorer les conditions de vie des Sénégalais. Comme annoncé plus haut, si le président Macky Sall voulait réellement respecter son engagement, il serait passé par l’Assemblée Nationale et le problème serait vite réglé afin qu’on passe à autre chose.
L’Assemblée nationale est suffisamment outillée pour régler les questions posées dans le paquet des réformes constitutionnelles. En faisant du « wax waxeet », il est même plus condamnable que le président Abdoulaye Wade. En effet, en homme averti (qui en vaut deux) Macky Sall savait parfaitement ce qui pouvait l’attendre en cas de rétractation ou de reniement. Il n’a pas retenu la leçon qui a coûté cher à son ex-mentor. Dorénavant, on peut considérer que tout ce que Macky Sall dira, c’est du toc. On peut même, désormais, modifier le vieil adage, en l’adaptant à Macky Sall ; ce qui va donner : « Wakhi Macky Sall dòng diaroul dòor sa dòom » (« Ça ne vaut pas la peine de corriger son propre fils à cause des paroles de Macky Sall »). Aujourd’hui, on est donc fondé à penser que les promesses de Macky Sall n’engagent que lui-même.
Les Sénégalais n’en croiront plus un seul mot, et devront désormais les prendre avec des pincettes car elles sont loin d’être des paroles d’Evangile. Et si le président Macky Sall croit qu’il va s’en tirer à bon compte, il se trompe lourdement. Le peuple Sénégalais, qui peut avoir la rancune tenace, mais qui est très républicain, le laissera terminer son mandat de 7 ans. Après tout, il a été élu pour un septennat. Mais, Macky Sall est guetté par « le syndrome Sarkozy », c’est-à-dire « un seul mandat, puis s’en va ». Il l’aura bien cherché, pour n’avoir récolté que ce qu’il a semé. Seulement, il y a à regretter qu’un message très négatif soit envoyé à la jeune génération, qui constitue l’avenir de notre pays, qui pourrait croire que ce n’est pas très grave de dire une chose, de la crier sur tous les toits, puis de se dédire sans coup férir. Voilà comment on s’arrange pour que pas mal de valeurs cardinales et séculaires f…le camp.
Elu à la magistrature suprême avec l’étiquette d’un président de la République né après les indépendances, ce qui pourrait signifier qu’il devrait avoir les habits d’un dirigeant moderne et progressiste, débarrassé de toutes les scories de la vieille école des dirigeants indépendantistes, le président Macky Sall n’a pas mis beaucoup de temps pour décevoir quasiment sur toute la ligne. Aux contre-performances économiques et bides politiques cristallisées autour d’une traque des biens mal acquis très controversées, le président Macky Sall s’est engagé dans une impasse consistant à faire l’apologie de contre-valeurs comme la transhumance politique (…) Après que le président Abdou Diouf, qui avait pris l’engagement de ne jamais plus se prononcer en politique sur le Sénégal, au lendemain de sa défaite du 19 mars 2000, pour « ne pas gêner son successeur Abdoulaye Wade », est revenu sur sa parole pour soutenir le président Macky Sall chez qui il dit avoir trouvé une vision qui le rassure (contrairement à…), après le triste « wax waxeet » du président Abdoulaye Wade, voilà que le président Macky Sall s’y met à son tour. Désespérant !
Aujourd’hui, que Macky Sall se saborde avec son « wax waxeet », il vient de signer son arrêt de mort politique. Pour compter de 2017, le président Macky Sall n’aura plus la légitimité morale aux yeux des Sénégalais, quand bien même il continuera de garder sa légalité constitutionnelle. Toutes choses étant égales par ailleurs, sa réélection pour la prochaine présidentielle est hypothétique. Les législatives de 2017 sont là pour servir de ballon d’essai. Aujourd’hui, le président Macky Sall a tout l’air d’un chef d’Etat en rupture de ban avec son peuple et qui se contente d’expédier les affaires courantes de la Nations sénégalaise, en attendant de passer la main à son successeur en 2019.
Pape SAMB