Publié le 19 May 2025 - 20:54
Réconcilier l’école sénégalaise avec elle-même

Pour une unification des daara et du système formel

 

À l’occasion des Assises nationales des daara, il est temps d’ouvrir un débat national courageux sur l’avenir de notre système éducatif. Le Sénégal se trouve à la croisée des chemins, entre la fidélité à ses traditions et l’exigence d’universalité dans l’éducation. Depuis l’époque coloniale, notre pays fonctionne avec un système éducatif bicéphale : l’un formel, structuré par l’État, et l’autre non formel, incarné par les daara, portés par des communautés religieuses et des acteurs privés. Si cette coexistence a longtemps été tolérée, voire tacitement acceptée, les pratiques sociales observées aujourd’hui appellent à une réforme de fond. L’unification du système éducatif ne signifie pas la disparition d’un modèle au profit d’un autre, mais l’émergence d’une école sénégalaise enracinée, inclusive, cohérente avec notre réalité culturelle et nos ambitions nationales.

Un système bicéphale en décalage avec la société

Le système formel, hérité de la colonisation, a longtemps été valorisé comme la seule voie vers la réussite sociale. Pourtant, il peine à répondre aux attentes de nombreuses familles, notamment sur le plan des valeurs, de la discipline, et de la spiritualité. En face, les daara ont continué de jouer un rôle éducatif déterminant, souvent en marge de la reconnaissance institutionnelle. Ce clivage entre deux modèles — l’un "moderne", l’autre "traditionnel" — crée une fracture éducative et culturelle, où des millions d’enfants naviguent entre deux mondes sans véritable passerelle.

Une pratique sociale révélatrice : apprendre le Coran avant l’école

Une tendance forte, et de plus en plus visible dans toutes les couches sociales, vient questionner cette dichotomie : de nombreux intellectuels, fonctionnaires, cadres, et urbains inscrivent leurs enfants dans des internats religieux pour qu’ils mémorisent le Coran avant de rejoindre l’école formelle. Ce choix éducatif, souvent assumé malgré le "retard scolaire" qu’il peut entraîner, révèle une conviction partagée : la maîtrise du Coran et des valeurs religieuses est un fondement éducatif prioritaire. L’école laïque est perçue comme incomplète tant qu’elle n’intègre pas cette dimension essentielle de l’identité des élèves. Cette pratique, loin d’être marginale, constitue un signal fort envoyé à l’État : la demande d’un modèle éducatif enraciné dans les valeurs religieuses et culturelles du pays, tout en restant ouvert au monde.

Une réforme attendue : intégrer, structurer, valoriser

Les Assises nationales des daara offrent une opportunité historique pour bâtir cette école nouvelle. Cela passe par :

- L’intégration des daara dans la politique éducative nationale, avec un statut clair, des normes de qualité, et des passerelles vers le formel.

- La valorisation de l’enseignement coranique et des sciences islamiques dans les curricula officiels, avec une approche pédagogique moderne.

- La formation des maîtres coraniques et leur accompagnement dans l’évolution de leurs pratiques.

- Le développement d’un modèle hybride, où les enfants peuvent recevoir une double éducation sans devoir "changer de monde".

Cette vision n’est pas utopique. Elle est déjà en gestation dans les familles. Il appartient à l’État, avec l’ensemble des acteurs éducatifs, de la structurer et de l’assumer pleinement.

Des daara au cœur de l’école sénégalaise de demain

Les daara ne doivent plus être considérés comme une marge éducative tolérée, mais comme un levier de transformation et de réconciliation du système éducatif sénégalais avec sa propre culture. L’unification des parcours, la reconnaissance des spécificités, et l’intégration des valeurs religieuses ne sont pas des concessions : ce sont les bases d’une école enracinée, souveraine et tournée vers l’avenir.

À l’occasion de ces Assises, faisons le choix du courage : celui d’une réforme profonde, construite non contre l’histoire, mais avec elle, en harmonie avec les attentes de notre peuple.

 

BABA NGOLY ANNE

Inspecteur de l’éducation populaire de la jeunesse et de sports

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