Publié le 2 Mar 2016 - 04:20

Réponse à ceux qui dénigrent la non appartenance confrérique

 

En proposant une analyse aussi sommaire sur les ressorts de la non appartenance  confrérique, a-t- on pour autant permis une meilleure compréhension du débat sur le radicalisme religieux?

Au lieu de nous aider à comprendre les graves menaces réelles ou supposées d’attaques terroristes, des universitaires tels que Dr Bakary Samb (interview avec le site du  monde Afrique du 10/2/2016)  et du Pr  Abdou Aziz Kébé (courrier international no 1145 du 11/10/2012) véhiculent l'idée qu’une menace imminente pèse sur notre pays avec la présence de l'idéologie dite “salafiste”, laquelle inspire le terrorisme.  M. Samb déclare: “des mouvements animés par l'idéologie “salafiste” contrôlent  les mosquées de l’Ugb et de l’Ucad, contestent les confréries (...) ; qu’il existe des liens entre salafisme et radicalisme, que les confréries doivent se moderniser  pour devenir des remparts contre ce fléau….”

Quant à M. Kébé il dit: “que le salafisme est une déviation, qui invite à un retour nostalgique à un passé mythifié.”

Selon eux, le “salafisme” est pris comme une entité homogène caractérisé par le rejet du “soufisme” et la promotion de la radicalisation.

On peut noter qu’il n’existe aucune nuance  dans leurs propos, certaines complexités sont raccourcies, le soupçon et le discrédit sont jetés sur d’autres musulmans coupables de pratiquer  un islam dit “d’importation”. Il devient  donc urgent sans ostracisme, ni caricature de faire un travail de “défrichage” des logiques et dérives qui nous concernent tous. Pointer du doigt certains musulmans relève d’une manipulation.

Le cadre d’analyse retenu  est difficile à admettre car il ne tient compte que d’une partie de la “réalité” avec beaucoup de faiblesses. Il ne s’agit pas de nier l’existence de pratiques radicalisées mais de rappeler que les études les plus sérieuses montrent que le “salafisme” est multiple dans ses expressions et qu’à l'instar du terme “islamisme” celui de “salafisme “ est devenu un fourre-tout.

Le danger de votre posture est de faire croire qu’une politique éducative  et un tir de barrage idéologique suffisent à résoudre les problèmes liés au radicalisme religieux sans s’occuper des paradigmes qui les nourrissent. Ainsi, vous  exploitez les peurs en vue d’un retour gagnant en termes de célébrité, de reconnaissance, ou d’avantage financier. Le temps est venu de réviser vos théories et  d'arrêter de  conspuer les autres qui ne partagent pas vos analyses. Le moment est venu de nous  proposer une réflexion sereine sur les vraies causes de la radicalisation afin de mieux la combattre. Vous  devez éviter de prendre des postures d’inquisition. Il nous reste à penser ce qui nous lie ensemble sans tomber dans l’autoritarisme intellectuel.

”Salafisme  et “soufisme”: une antinomie?

Votre  vision d’un “salafisme” porteur de violence  est simpliste mais efficace pour faire croire que le “soufisme” en est l’unique rempart. L’islam dit “salafiste” est vu comme dogmatique, littérale et  formaliste qu’il convient d’opposer à un “soufisme” comme humanité de l’islam. Certes il existe une pensée “salafi” qui s’oppose au “soufisme” dans ses pratiques non islamiques, ses excès et déformations contraires au monothéisme. L’islam “confrérique “à mon sens n’est pas une hérésie au sens absolu du terme et l’islam dit “salafi” n’est pas un  “islam nouveau” qui refuse la dimension spirituelle de la foi. Vous en faites   une menace et un ennemi  de l'intérieur. Vous en faites  le “bouc émissaire” tout trouvé  pour mieux l’enfermer dans une “surestimation” de son péril et de sa radicalité assignée. Tout cela   ne correspond pas à la réalité. Le radicalisme religieux n’est pas d’essence “salafiste” et il n’existe pas une définition d’un “salafisme” intangible de vérité.

Quant aux confréries, elles  sont souvent invoquées pour séduire un auditoire. Aussi, vous omettez  de dire qu’elles  font souvent l’objet d’un usage  politique, pour le propre bénéfice de ceux qui en  font recours en cas de difficulté à satisfaire la demande sociale. Vous construisez une  rivalité  entre les confréries et ceux  qui appellent à des réformes radicales  et portent des valeurs à contre-courant des soutiens et alliances opportunistes. Il faut “dévoiler” les manœuvres politiques dont la stratégie est l’effacement des conditions politiques, sociales, et économiques qui favorisent toutes les velléités critiques pour mieux faire place à un essentialisme radical au nom de l'élévation de la “paix sociale” au rang de sacré.

Vous reprochez aux “salafistes” d'être tournés vers le passé. La littérature confrérique   apporte-elle des éclairages et des solutions à nos problèmes actuels ?  L’appartenance confrérique n’est pas un parangon de vertu, pas plus que l’islam dit “salafiste” n’est pas le démon incarné.

La fin ne justifie pas les moyens

Il est très légitime de se demander si le problème sécuritaire est le plus urgent de nos problèmes ? Est-il judicieux de faire du radicalisme dit “salafiste” la principale menace pour notre pays pour tout justifier à son nom ? L’exercice d’un pouvoir politique responsable doit éviter d’augmenter le sentiment d'insécurité de la population de même que l’adoption de réflexes sécuritaires. Les causes de la radicalisation religieuse ne sont pas structurelles. Ni la radicalité dite “salafiste” ni le fanatisme religieux ne suffisent comme explication première. Cette manière de voir vise à dicter les termes du débat public pour masquer ses insuffisances et dérapages. Ainsi on réduit le risque de soulèvement populaire contre la mauvaise gestion du pays. Le radicalisme n’est pas un produit du “salafisme” et n’a pas tout à voir avec lui-même, s’il existe une porosité entre les deux. Le recours au combat armé ne fait pas l’unanimité et constitue  un exemple de  vraie complexité sur la question. La pauvreté, le ressentiment et l’endoctrinement ne suffisent pas à tout expliquer.  La radicalisation et le terrorisme relèvent plus d’un problème de croyance erronée que d’une connaissance authentique de l’islam.

Au final, les rares  travaux consacrés au terrorisme sont très faiblement discutés dans nos pays. Daech et Al Qaida ainsi que leurs filiales sont des mouvements rivaux qui se livrent à une surenchère dangereuse pour nous tous. Le fanatisme “réactionnaire”, les stéréotypes de nos États et de certains “intellocrates” peuvent conduire à l’union de leur force qui est tout à fait possible. La violence rhétorique ne conduit pas à l’action terroriste. Pendant la pénétration coloniale, les confréries étaient le péril islamique de cette période. L’Arabie  saoudite “accusée” d'être un vecteur de tous les terrorismes est une  cible  pour Daech et confrontée de l'intérieur  à des courants qui dénoncent ses liens avec les occidentaux et remettent en cause sa légitimité religieuse. Faire croire qu’on peut ainsi  éliminer le terrorisme est une illusion.

Pourquoi dites- vous des autres sans aucune preuve ce qu’ils ne sont pas ?

L’appartenance confrérique  comme  l'adhésion à une association “a-confrérique”  n’est pas une fin en soi. Il s’agit d’un moyen  qui permet de vivre pleinement toutes les dimensions de l’islam.

Il y a une limite à travailler uniquement sur des représentations et des prétentions à l’exclusion  des données  sur les résultats et les produits.

 Ly Oumar Amadou

Dr en Droit (France)

 

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