Le guerrier a rendu l’épée
Hier, le peuple sénégalais a eu la surprise d'apprendre le décès de l'imam Alioune Badara Ndao. L'homme religieux, originaire de Kaolack, a rendu l'âme à l'hôpital Fann de Dakar. À l'annonce de la nouvelle, une pluie de témoignages est tombée et a lavé à grande eau celui qui avait eu des démêlés avec la justice. Au vu des réactions, c'est la chute d'un grand baobab.
La triste nouvelle est tombée dans la matinée d'hier. L’imam Alioune Badara Ndao a pris congé de sa vie. L’annonce du décès du prédicateur et maître coranique de Kaolack s'est répandue comme une traînée de poudre. Sur les réseaux sociaux, dans des lieux publics, les débats ont tourné autour de cette ''grande perte pour la nation sénégalaise''. Alors que le soleil était déjà à son zénith, certains citoyens n'avaient pas encore appris l'information. À Colobane, par exemple, où des vendeurs, interrogés sur le décès de l'imam, sont tombés des nues. ''Ah bon, il est décédé ? Oh ! Quelle perte ! Je viens de l'apprendre'', répond, inquiet, un homme en train de rincer des chaussures dans un seau d'eau. Entendant les lamentations de son camarade, un autre se lève brusquement pour l'interpeller : "Imam Ndao, c'est ça ? J'ai entendu dire qu'il était gravement malade. Ah, c'est dur !"
Les témoignages sont unanimes. Un grand homme qui a marqué son époque s’en est allé. À quelques mètres de la mosquée Massalikoul Djinane, Khadim Sylla a les yeux rivés sur son téléphone. Au même titre que d'autres, le vendeur de livres a eu tardivement écho de la disparition du natif de Kaolack. ''Tout bon musulman doit regretter le décès de cet homme. Son attachement à la foi, à ses convictions religieuses n’est plus à démontrer. Je pleure un homme utile. Mais puisque Dieu en a voulu ainsi, on ne peut que se plier. On n’y peut rien. Mais c'est très dur ! J'écoutais toujours ses enseignements'', dit-il d’une voix étreinte par l’émotion. Pour le ressortissant de Touba, l'espoir est permis pour le défunt imam, vu le travail qu'il a accompli pour le compte de la religion.
De l'autre côté de la mosquée, un homme d'un âge relativement moyen est assis sur un long banc posé à l'ombre d'un arbre. Sous ses pieds, d'autres personnes sont couchées sur une natte. L'homme en question est un enseignant arabe. À la différence de Khadim Sylla, il a été tôt informé de la mort de l'imam Ndao. D'où son silence et son air triste. Abdoul Ahad Diop est un fervent sympathisant du défunt imam. Mais il a fait preuve de courage et a apporté des témoignages dans la plus grande sérénité. ''Dès que la nouvelle m'est parvenue, j'ai pris ma natte et j'ai prié deux rakkas pour le repos de son âme. En vérité, c'était un grand imam. Un homme d'une grande sagesse qui maîtrisait sa religion. À travers ses interventions, il a su montrer son amour pour l'islam, mais aussi pour l'humanité''.
Une vie de combats
De son vivant, l'imam Ndao était connu pour ses luttes contre certaines pratiques considérées comme indécentes, mais surtout pour son engagement à éveiller les consciences. On le voyait dénoncer le système impérialiste occidental et aussi des branches de la société, jugées contraires aux bonnes mœurs. Par exemple, ''la franc-maçonnerie, l'homosexualité et toute pratique de cette nature''. C'est pourquoi M. Diop est convaincu que sa démarche répond à celle du Prophète (PSL) qui consistait à combattre le mal.
''C'est à cause de son engagement qu'il a eu des démêlés avec l'État du Sénégal. C'était un homme suivi et écouté par les jeunes, surtout. Il n'a jamais cessé d'avertir. Il a changé positivement et de façon incroyable la vie de beaucoup de gens. Sans compter les milliers de personnes qu'il a enseignées. Il avait compris les pratiques occultes de l'Occident''.
La dimension de l'homme peut être mesurée à toutes ces larmes qui ont coulé. Certains, tentant de témoigner, craquent sous le coup de l'émotion. Et d'autres l'ont réussi, mais péniblement. C'est le cas de Cheikh Ibrahim Khalil Lô. Le célèbre prêcheur est frappé d'une émotion immense. Il a le souvenir amer ''des fausses accusations'' faites à l'encontre du défunt imam. À peine commence-t-il à s’exprimer que son cœur sanglote. Mais il arrive tout de même à dire le fond de sa pensée : "Pour supporter et endurer toutes ces fausses accusations, il fallait être un Alioune Badara Ndao. Il a porté ces charges sur ses épaules, pendant trois ans. Ils ont voulu ternir son image, mais Dieu l'a élevé plus haut pour le blanchir. Les combats de l'homme ne tomberont jamais dans l'oubli. Il a consacré toute sa vie à œuvrer pour la cause de l'islam et du bien en général''.
Le prêcheur poursuit en soutenant que le saint homme a fait montre de courage et de constance durant toute la période de son combat, quitte à y laisser sa vie. Pour lui, rien n'a pu le déstabiliser ou l'inquiéter.
''Un homme digne qui a fait face à la justice''
Joint par téléphone, Oustaz Mactar Sarr a magnifié l'œuvre et la vie du défunt, avant de revenir sur les moments difficiles que ce dernier a vécus, pendant ses démêlés avec la justice. Le membre actif du mouvement And Sam Jikko Yi (promotion et protection des bonnes valeurs) a salué les prises de position courageuses de l'homme, mais aussi son ancrage dans les valeurs de l’islam : "Il avait les possibilités d'avoir tous les privilèges. Mais il a su garder sa dignité jusqu'à son dernier souffle. Il a mangé à la sueur de son front. Il avait des champs cultivables pour subvenir à ses besoins. Sans oublier ses Daaras. Il s'est aussi illustré à travers ses combats contre l'agenda LGBT.''
Revenant sur le passage de l'homme religieux en prison, M. Sarr évoque sa sortie sur un plateau télévisé : "On ne peut pas ignorer la réalité. L'imam a été torturé dans sa cellule. C'est lui-même qui l'a révélé sur le plateau de Walfadjri. Dans sa cellule, il y avait de la lumière intense 24 heures/24. Aussi, on l'a entendu dire que des gens l'insultaient derrière sa cellule. Mais la chose la plus triste est qu'il a fait savoir que des choses bizarres ont été introduites dans son lieu de détention, à travers des pompages. D'ailleurs, on voyait les mouches chuter et mourir à cause du produit pulvérisé.''
Pour mieux défendre ses arguments, le membre d’Andd Samm Jikko Yi retrace une partie du film. Il cite ainsi un frère du défunt imam, qui avait fait lesdites révélations, à l'époque : "On a aussi vu son frère intervenir à RFM Matin, pendant que l'imam était encore en prison. Ainsi, il avait révélé des cas de torture subis par le saint homme. On l'a fait tourner de gauche à droite. On l'a d'abord amené à Rebeuss. Et de là, ils l'ont transféré à Saint-Louis. Puis, ils l'ont repris pour l'amener au Cap Manuel, avant de finir au Camp pénal. D'ailleurs, c'est à Saint-Louis qu'il y a eu le mystère des mouches, à cause du produit pulvérisé dans sa cellule’’.
Dans une vidéo précédant la mort du maître coranique, Abdou Karim dit Xrum Xaxx avait annoncé que l'homme religieux se plaignait de douleurs musculaires au niveau du bras. C’est pourquoi l'activiste du mouvement Nittou Degg a marqué son étonnement, lorsqu’il a été informé que le malade avait été admis en soins intensifs. Car, à son avis, le maître coranique est arrivé à l'hôpital de Fann sans soucis graves de santé. Sans langue de bois, comme à son habitude, le rappeur soutenait dans la vidéo que l'imam Ndao était bien portant, avant ses déboires avec la justice. Il disait : "Que les Sénégalais soient avertis. C'est à sa sortie de prison en 2018 que la santé de l'imam s'est dégradée. Son emprisonnement illégal est à l'origine de tout.''
Pour rappel, imam Ndao avait été arrêté en 2015 pour ''apologie du terrorisme''. En 2018, il a été relaxé, mais jugé coupable de détention illégale d'arme. Ce qui lui a valu une condamnation à un mois de prison avec sursis.
EL HADJI FODÉ SARR