Le Sénégal, un mauvais élève
Amnesty a publié, hier, son rapport 2021-22 sur la situation des droits humains dans le monde. En ce qui concerne le Sénégal, les détentions arbitraires, la suspension de chaînes de télévision, les expulsions forcées sont, entre autres, les aspects dénoncés par le directeur exécutif de la section Sénégal, Seydi Gassama.
Selon Amnesty international qui a présenté, hier, son rapport 2021-22, les autorités sénégalaises ont arrêté de façon arbitraire des personnalités de l’opposition et de la société civile. En effet, le directeur exécutif de la section d'Amnesty International (AI) Sénégal, Seydi Gassama souligne qu’en janvier, Boubacar Sèye, président de l’ONG Horizons sans frontières, a été arrêté de façon ‘’arbitraire’’, à son arrivée à l’aéroport de Dakar. Il a été inculpé de ‘’diffusion de fausses nouvelles’’, en raison d’une interview qu’il avait donnée en octobre 2020, dans laquelle il avait dénoncé le manque de transparence concernant l’utilisation par le gouvernement des fonds fournis par l’UE pour des programmes en faveur de l’emploi des jeunes et de la lutte contre la migration irrégulière vers l’Europe. Il a été libéré à titre provisoire, 20 jours après son arrestation.
De plus, en février, les autorités ont arrêté de façon arbitraire plusieurs personnalités de l’opposition et de la société civile qui avaient critiqué l’attitude du gouvernement dans une affaire pénale liée à une plainte pour viol mettant en cause Ousmane Sonko, président de Pastef (Pastef-Les Patriotes), un parti d’opposition. Parmi les personnes arrêtées figuraient des membres de Pastef, notamment Birame Souleye Diop et Abbas Fall, poursuivis pour ‘’association de malfaiteurs, complicité de diffusion de contenus contraires aux bonnes mœurs, menace de voie de fait et violence’’. Dix-sept militantes de Pastef, dont Maimouna Dieye, présidente du mouvement des femmes de ce parti, ont également été arrêtées et incarcérées dans la prison de Rebeuss, bien que n’étant inculpées d’aucune infraction pénale.
Le militant Guy-Marius Sagna a été arrêté et inculpé d’’’association de malfaiteurs’’, de ‘’participation à un mouvement insurrectionnel’’ et de ‘’menaces de troubles à l’ordre public’’, après qu’il eut accusé la police d’avoir torturé et maltraité des sympathisants de Pastef, arrêtés en février. Toutes ces personnes ont été remises en liberté en avril. En mars, Ousmane Sonko a lui aussi été arrêté de façon ‘’arbitraire’’ et accusé de troubles à l’ordre public, alors qu’il se rendait, en compagnie de ses militants, à une convocation de la justice, dans le cadre de la plainte pour viol. Il a été relâché, six jours plus tard.
‘’Recours excessif à la force’’ par les agents de sécurité
Egalement, Amnesty International dénonce le ‘’recours excessif à la force’’ des agents de sécurité. En mars 2021, ‘’les forces de sécurité ont tué 14 personnes dont trois enfants, quand elles ont tiré à balles réelles pour disperser des manifestations nationales à Dakar, Bignona, Kaolack et Diaobé’’, rappelle Seydou Gassama. Ces manifestations faisaient suite à l’arrestation et l’incarcération d’Ousmane Sonko et avaient, dans certains cas, dégénéré en violences. Au moins, 400 personnes ont été blessées.
En outre, lors des manifestations à Dakar, des individus armés ont prêté main-forte à la police et attaqué des protestataires, dans plusieurs quartiers de la ville. De son côté, le gouvernement sénégalais a indiqué qu’il s’agissait de policiers en civil. ‘’C’est totalement illégal. Les normes de la commission africaine en termes de maintien de l’ordre posent clairement le principe que les personnes qui font le métier du maintien de l’ordre doivent être en tenue et identifiables. Mais, lorsque des policiers se mettent en tenue civile et agissent parfois en tirant sur des civiles, je trouve que c’est totalement irresponsable de la part d’un Etat qui se dit démocratique’’, regrette Seydi Gassama.
La commission indépendante annoncée en avril par les autorités pour enquêter sur les violences commises lors des manifestations n’avait pas encore été mise sur pied. Le président a déclaré en décembre qu’une information judiciaire était en cours. ‘’Nous pouvons dire aujourd’hui que pour les familles qui ont porté plainte, notamment à Dakar, à Sédhiou et à Kolda, aucun acte d’instruction n’a été posé. Donc, les instructions dont par le président de la République ne concernent pas les personnes qui ont déposé les plaintes. En tout état de cause, nous n’accepterons pas que la mort de ces 14 personnes soit passée en perte et profit’’, dit-il.
Le secrétaire exécutif rappelle qu’en 2011-1012, il y a eu une dizaine de personnes qui ont étés tuées au Sénégal ‘’par les forces de l’ordre’’. Sur ces 10 meurtres, il y a eu un procès pour un seul cas : celui de Feu Mamadou Diop. Un an après ces évènements, l’Etat a convoqué les familles et proposé 5 millions à chacune d’elles. ‘’Certaines d’entre elles, sous la pression de certains parents à qui on a dit qu’ils ne peuvent pas se battre contre l’Etat ont accepté de prendre'', a relaté Seydi Gassama. Ainsi, d’après lui, la grande majorité des familles ont refusé de prendre les 5 millions qui ont été proposés par l’agent judiciaire de l’Etat.
‘’Aujourd’hui, la grande majorité des familles des personnes décédées en 2011-2012 n’ont eu ni justice ni indemnisation, dit-il. Pour lui, les agents de sécurité jouissent de la protection de leur hiérarchie. ‘’Nous croyons que l’Etat soit encore dans cette logique de faire en sorte que les membres des forces de l’ordre et de sécurité, qui ont commis ces crimes, puissent être protégés.
Liberté d’expression et de réunion
Amnesty international a évoqué la liberté d’expression et de réunion au Sénégal. En mars, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel a suspendu Walf TV et Sen TV pendant 72 heures, au motif que ces deux chaînes de télévision avaient diffusé en direct des images des manifestations ; le Conseil a considéré qu’en agissant de la sorte, elles s’étaient livrées à une ‘’apologie de la violence’’ et à une ‘’couverture irresponsable de la situation’’. Des protestataires ont, par ailleurs, vandalisé des biens appartenant à l’organe de presse Groupe Futurs média (GFM) et au quotidien Le Soleil, considérés comme ‘’favorables au gouvernement’’. Sur ce point, Seydi Gassama condamne : ‘’Il n’est pas question que l’on catalogue certains médias comme partisans et qu’on n’en fasse des cibles, parce qu’on les considère comme n’étant pas favorable à son camp’’.
En mars également, les autorités ont restreint l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, à l’approche d’une manifestation prévue à Dakar. En juin, relève le directeur exécutif de la section d'Amnesty International (AI) Sénégal, ‘’l’Assemblée nationale a adopté des modifications des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale relatives au terrorisme qui ont gravement restreint les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique’’.
Pour M. Gassama, les actes terroristes, définis de façon trop large, comprenaient des faits liés aux troubles à l’ordre public, l’association de malfaiteurs, des infractions liées aux technologies de l’information et de la communication, et le fait d’’’inciter à la commission d’un acte terroriste’’. Il estime que cette définition pouvait s’appliquer aux manifestations dégénérant en violences, et les personnes les ayant organisées risquent de faire l’objet de poursuites pénales.
Surpopulation carcérale
En outre, Amnesty International (AI) Sénégal a évoqué la question des droits des personnes détenues. ‘’La surpopulation dans les prisons met gravement en danger la santé des personnes détenues. Le système mis en place par les autorités carcérales pour surveiller les cas de Covid-19 a conduit à une telle surpopulation dans la prison du Cap Manuel, à Dakar, que les personnes détenues ne pouvaient même plus s’allonger. Cette prison avait, en effet, été choisie par les autorités pour recevoir, filtrer et placer éventuellement en quarantaine toutes les personnes nouvellement incarcérées, avant leur transfert dans d’autres centres de détention’’, dénonce Seydi Gassama.
Il regrette, aussi, l’attribution de terres à des sociétés privées au détriment des populations. Et souligne que des communautés rurales ont continué de contester leur expulsion forcée, qui visait à libérer des terrains au profit d’intérêts commerciaux. À Dougar (une localité située à l’est de Dakar), 21 personnes ont été arrêtées en mai, lors de manifestations contre l’attribution de 72 hectares à une entreprise privée. Selon les populations concernées, l’indemnité proposée, d’un montant de 100 millions de francs CFA (178 000 dollars des États-Unis) calculée à partir d’une grille d’indemnisation datant de 1973, ne reflétait pas le coût actuel de la vie. Le conflit foncier opposant le milliardaire sénégalais Babacar Ngom et des paysans de Ndingler a aussi été évoqué.
Bonnes notes
Toutefois, en ce qui concerne les droits des travailleurs, Amnesty salue le fait qu’en août 2021, les autorités aient averti les employeurs et employeuses du secteur privé qu’ils ne devaient pas suspendre ou licencier les membres de leur personnel n’ayant pas été vaccinés contre le Covi-19, qualifiant ces sanctions de mesures discriminatoires. ‘’Lorsque les vaccins sont arrivés beaucoup d’entreprises privées ont voulu forcer leurs employés à se vacciner, ce qui est contraire au droit international. Parce que, la vaccination et tous les traitements médicaux doivent être volontaires, sauf dans des cas extrêmes’’, déclare M. Gassama. ‘’Nous avons approuvé, poursuit-il, ces décisions-là qui ont empêché les entreprises de pouvoir sévir contre leurs employés qui étaient réfractaires par rapport à la vaccination''.
Par rapport au droit à la santé, Amnesty note des efforts importants faits par l’Etat du Sénégal. En effet, en mars, le Sénégal a lancé sa campagne de vaccination contre le Covid-19, avec l’aide de l’initiative Covax. La pénurie de vaccins en juillet a coïncidé avec l’arrivée d’une nouvelle vague de contaminations qui a conduit à une augmentation de 44 % des cas de Covid-19. En décembre, 1,9 million de vaccins avaient été administrés et 593 000 personnes étaient entièrement vaccinées, soit 5,6 % de la population.
BABACAR SY SEYE