Publié le 14 Dec 2022 - 16:12
RAPPORT SUR LES TALIBÉS

Amnesty International met à nu le martyre de ces enfants 

 

Dans un rapport qu'elle a produit, Amnesty International s’intéresse au traitement réservé aux enfants talibés qui sont dans la rue. Entre insalubrité, maladies et supplices corporels, ces mendiants vivent le calvaire dans certains Daaras, d'après les révélations faites par l'Organisation non gouvernementale (ONG).

 

Le débat sur la mendicité au Sénégal est loin de connaître son épilogue. Amnesty International revient à la charge, avec un nouveau rapport sur le phénomène. L'organisation déplore l'absence de protection des talibés et demande à l'État de traduire ses paroles en actes. Autrement, respecter les différents engagements pris pour améliorer la situation de ces enfants qui sillonnent les rues pour tendre la main. Ainsi, Amnesty International dénonce des violations et surtout les conditions difficiles dans lesquelles vit cette couche de la population. "Les autorités sénégalaises doivent répondre à leurs obligations et prendre des mesures pour mettre fin aux violations des droits de certains enfants talibés'', souligne-t-elle dans le rapport.

Parlant de violations, l'Organisation non gouvernementale fait cas de l'intégrité physique de ces derniers. ''L’exploitation économique des enfants talibés via la mendicité forcée qui constitue une forme de traite, les châtiments corporels qu’ils subissent et leurs conditions de vie difficiles violent leurs droits à l’intégrité physique, à la santé et à mener une vie sans aucune forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation'', dénonce Amnesty. Qui révèle que des dizaines de milliers d'enfants talibés vivent dans des conditions insalubres et sont exposés à tous les dangers.

Plus de 200 000 talibés, dont 25 % pratiquent la mendicité

Amnesty International va plus loin dans ses dénonciations. Citant une cartographie de l’ONG Global Solidarity Initiative (GSI) publiée en 2018, elle fait des estimations sur les Daaras existant dans le pays et s'intéresse au nombre de talibés qui sont dans la mendicité. ''Il n’existe pas de statistiques officielles, concernant le nombre d’enfants talibés. Toutefois, il est estimé qu’il y a plus de 2 000 Daaras à Dakar, avec un effectif de près de 200 000 talibés, dont 25 % pratiqueraient la mendicité forcée, selon GSI. Il est aussi important de comprendre que les enfants talibés sont confiés parfois très jeunes par leurs familles à des maîtres pour l’apprentissage du Coran. Très présents dans les centres urbains, ils sont souvent forcés de mendier pour leur entretien et celui de leurs maîtres'', renseigne-t-elle dans le rapport.

Malgré ce constat, Samira Daoud, Directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, reconnait les efforts consentis par l'État dans la recherche de solutions. "Le Sénégal, dit-elle, s’est engagé, à plusieurs reprises, à mettre fin à la mendicité forcée des talibés et à améliorer les conditions de vie dans les Daaras. Des efforts ont été faits dans ce sens, mais ils restent insuffisants. Le gouvernement doit agir davantage sur cette problématique, en concertation avec tous les acteurs concernés, afin de mettre fin à la souffrance des enfants talibés''.

''Il y a toute forme d'abus…''

En effet, dans le rapport, Amnesty International montre que les talibés subissent beaucoup de supplices au quotidien, avec comme exemple, le problème de leur santé. L’ONG parle même de traite et cite les propos d'une responsable d'une ONG en charge de la protection des enfants talibés qui dit : "L’insalubrité de nombreux Daaras et le faible intérêt porté par certains maîtres coraniques au bien-être des enfants conduisent à de graves problèmes de malnutrition et de santé. La santé est un gros problème dans les Daaras, en particulier les maladies de la peau et les soins bucco-dentaires. Souvent, ces enfants ont des abcès énormes à la bouche et ne sont pas traités, car il n’y a pas de réel suivi de leur bien-être.''

En plus de ces problèmes d'insalubrité et de santé, le rapport renseigne que des enfants talibés doivent également faire face ''aux mauvais traitements de la part de certains maîtres coraniques ou de leurs assistants''. Ainsi, Amnesty International rapporte une réponse qui lui a été donnée par des maîtres coraniques sur le traitement de leurs talibés. Elle avance : "Des maîtres coraniques ont confirmé que la mise de chaînes aux pieds est une pratique courante et appliquée en particulier aux enfants fugueurs pour entraver leurs déplacements.''

Ainsi, cela a conduit à des drames. ''En janvier 2022, un talibé âgé de 10 ans est mort de blessures au quartier Lansar de Touba, après avoir été bastonné par son maître coranique. Celui-ci lui reprochait de ne pas avoir su sa leçon du jour. Ces violences restent très souvent impunies, du fait notamment du défaut de contrôle des Daaras, de moyens insuffisants pour les services de protection de l’enfance et du statut des maîtres coraniques au sein de la société'', souligne le document.

Sur la même lancée, Amnesty reprend les témoignages d'un ancien talibé qui s'est souvenu de scènes de violence fatales, alors qu'il était encore au Daara. ''Quand j’étais talibé, l’un de mes condisciples, qui était dans le même Daara que moi, bégayait et n’avait pas une bonne élocution. Un jour, alors qu’il peinait à réciter, le maître d’école l’a frappé à la tête avec sa tablette en bois. Il est mort deux jours après. Maintenant que je suis plus grand et que j’apporte des soins infirmiers aux enfants, je pense que ce jeune talibé était décédé d’une hémorragie cérébrale, après les coups'', se rappelle-t-il.

EL HADJI FODÉ SARR

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