Les tenants et les aboutissants d’une pénurie
En plus de la hausse des prix de l’huile, du sucre ou encore de la viande, s’ajoute l’augmentation du coût du poisson. Une situation causée par la rareté du poisson dans la mer. Au quai de pêche de Yoff, des pêcheurs expliquent les raisons de cette pénurie qui rend difficile le quotidien des vendeurs.
13 h. L’environnement est inhabituel, au quai de pêche de Yoff. En fait, des centaines de pirogues sont accostées sur la plage. Les pêcheurs, campés à l’intérieur des carbets, décident d’observer une journée sans mer, ce samedi. Ce, en raison de la raréfaction de poisson. Les seuls mareyeurs qui commencent à débarquer ont effectué le voyage la nuit. Un retour décevant, trouver la chair précieuse s’apparentant à chercher une aiguille dans une botte de foin. Derrière une rangée de pirogues, des pêcheurs gîtent sous l’ombre d’une cabane.
Lamine Mbengue, le chef du groupe, est en train de découper des fils de pêche. La soixantaine dépassée, ce piroguier aux lunettes noires fumées et au bonnet sur la tête confirme la pénurie du poisson en mer. Pour lui, ceci peut être expliqué par la migration des bêtes. “Ce qui se passe, au fait, c’est que la plupart des poissons qui étaient tout près de la plage ont migré. Cela est dû, d’une part, par l’attitude des piroguiers qui font usage du fil de nylon. Parce que ces genres de fils font 500 m et seuls les 100 m suffisent pour attraper la quantité nécessaire de poisson. Maintenant, au moment de remonter le filet, ces pêcheurs sont obligés de découper le fil en deux, parce que c’est trop lourd. De ce fait, seule une partie du poisson est embarquée. Le reste est donc abandonné dans la mer. Au fil du temps, ces bêtes vont se décomposer et deviennent polluantes”, révèle Lamine.
Il poursuit : “Comme vous le savez, le poisson n’aime pas l’impureté. Quand il sent une odeur nauséabonde, il est obligé de migrer dans des zones très lointaines. C’est pour cela que la plupart des poissons ont disparu dans cette partie de la mer”, élucide-t-il.
Le pêcheur révèle, d'autre part, que la rareté peut être causée par des facteurs naturels. Pour lui, le climat joue un rôle déterminant dans l’absence du poisson en mer. À l’en croire, certains produits se font rares pendant l'été. “Les poissons se produisent par période. Certaines espèces deviennent trop nombreuses pendant la saison sèche, car la mer est froide. C’est le cas du ‘cof’ (mérou), du ‘padess’, du ‘jay’ ou encore du ‘yabooy’ (sardinelle). Mais dès qu’arrive l’été, ces catégories de poisson se raréfient considérablement. Ils vont migrer au fond des récifs où la température est plus froide. De ce fait, seuls les thons, les espadons et les albacores deviennent disponibles sur cette plage, car ils peuvent supporter la chaleur ”, fait-il savoir.
Migration des poissons, des propos repris par Mamadou Ndoye, trouvé sur les lieux. Filets de pêche entre ses doigts, l’homme au teint café au lait estime que d’autres raisons peuvent justifier la pénurie de poisson. D’après lui, la surpêche exercée par les chalutiers appauvrit la mer en espèces et contribue à la réduction du repos biologique des poissons. “Vous savez, les chalutiers ont pêché tous les petits poissons, ici. Le plus écœurant, c’est qu’ils sélectionnent les bons et jettent les mauvais. C’est du pur gâchis. S’ils laissaient les petits poissons en vie, il n’y aurait pas eu de pénurie. Malheureusement, ces bateaux vivent de la surpêche”, se plaint Mamadou Ndoye.
“Les bateaux nous portent préjudice...”
À Yoff, Mamadou Ndoye n’est pas le seul à déplorer la puissance des chalutiers. La quasi-totalité des pêcheurs considèrent que ces bateaux portent un coup dur à la pêche artisanal. À l’intérieur d’une bâche située à l’entrée du quai de pêche, se trouve près d’une dizaine de pêcheurs. En attendant le thé en cuisson sur un petit fourneau, ces mareyeurs épiloguent encore sur les temps forts de leur dernière journée passée en mer. Parmi eux, figure Mara, assis sur un morceau de brique. Lunettes noires fumées bien ajustées, le quadragénaire à la casquette blanche estime que trouver du poisson résulte de naviguer dans d’autres mers. “C’est à cause des bateaux. Ils ont bradé toute la mer. Nous ne parvenons plus à pêcher convenablement. Nous sommes obligés de naviguer à plusieurs kilomètres. Aux larges de Ouakam, de Dakar ou de Kayar, par exemple. C’est dans ces seuls endroits où le poisson est disponible. Les bateaux constituent le véritable problème dans la mer. Ils ont pollué tout l’océan”, déplore Mara d’une voix rauque.
Lui emboitant le pas, Pape, ombragé par une grande pirogue, renchérit. “Les bateaux nous portent préjudice. Là où les pirogues attrapent un ou deux ‘jay’, les bateaux raflent tout en un seul coup de filet. Nous sommes alors obligés de naviguer à 30 ou 60 km, rien que pour trouver du poisson”, peste l’homme à l’âge avancé.
Ainsi, pour Pape, l’heure est venue pour que l’État mette un terme à l’attribution des licences de pêche aux bateaux. Il déclare : “Le gouvernement est responsable de ce fléau, car c’est lui qui donne des licences de pêche à ces grands bateaux. C’est la raison pour laquelle il n’y a presque plus de produit dans la mer. Nous demandons au gouvernement de mettre fin à ce phénomène”, fulmine-t-il.
RARETE DU POISSON Les vendeurs tirent le diable par la queue La pénurie de poisson en mer pousse les mareyeurs à hausser les prix du produit. Un fait qui impacte les vendeurs qui s’activent au quai de pêche de Yoff. Si les uns peinent à écouler leurs marchandises, d’autres préfèrent fermer boutique. “À ce moment-là, il n’y a pas de poisson dans la mer. Cela nous impacte beaucoup, car les mareyeurs haussent les prix. Il faut débourser plus de 2 000 F pour avoir du poisson. Le ‘sëdd’ seulement coûte 3 500 F”. Ces propos sont ceux d’un vendeur croisé au bord de la mer. Celui-ci vient d’acheter du poisson auprès de deux pirogues qui viennent d’accoster. Caisse sur la tête, le commerçant à la tenue bleue et aux pieds nus doit maintenant passer au plus dur. Écouler sa marchandise dans un marché marqué par une absence des clients. Sous l’abri d’un parapluie, Thérèse tourne la tête depuis un bon moment de gauche à droite. Crevettes et crustacés sur sa table, la vieille dame au teint noir et aux lunettes garde également des poissons au froid dans une caisse marée. Mais pour elle, l’absence de poisson en mer instaure un véritable calvaire chez eux. “La situation est difficile. Nous achetons le poisson à des prix impossibles. La caisse que vous voyez-là, elle coûte 35 000 F. De plus, aucun client ne vient acheter. Donc, on ne peut que hausser le prix. C’est la seule issue pour s’en sortir”, pleure-t-elle. Précarité de la situation, un fait ayant incité Ndoye à fermer boutique. Trouvé en face du hangar du quai, le vendeur est assis sur un banc, l’air désespéré. S’exprimant d’une voix frêle, il déclare : “Il n’y a pas de poisson dans la mer. Seules certaines espèces sont disponibles, mais se vendent à des coûts exorbitants. Personnellement, je ne peux pas acheter ces poissons. Vous imaginez, le kilogramme de ‘cof’ (mérou) coûte 5 000 F !. La dorade vaut 3 500 F. Quand je l’achète, je ne vais plus pouvoir le revendre. Les clients vont tout simplement bouder. C’est pour cela que j’ai perdu ma journée d’aujourd'hui”, regrette Ndoye. |
Moustapha Diakhité (stagiaire)