Les risques d’une surpression
Les ressources halieutiques sénégalaises sont l’objet d’une forte pression. En 2013, plus de 440 tonnes ont été débarquées sur plus de 200 sites. 181 000 marins pêcheurs ont été dénombrés en 2014. Cet assaut vers la mer menace la survie des acteurs qui pourraient eux-mêmes se recycler dans des activités criminelles.
Entre la pêche et la criminalité maritime, il existe un lien étroit. Celui-ci a été rappelé longuement à Saly, les 25 et 26 août, à l’occasion d’un séminaire sur la sécurité et la sûreté maritimes dans le golfe de Guinée. Un débat organisé par l’institut d’études de sécurité. En fait, rappellent les intervenants, particulièrement l’expert à l’Union européenne Serges Rinkel, plus les ressources halieutiques se raréfient, moins les pêcheurs ont des revenus et plus ils cherchent une alternative. Cette dernière peut mener généralement à la criminalité qui a la mer comme terrain d’opération.
Il y a donc de quoi être vigilant au Sénégal, si l’on sait la pression exercée sur le poisson et la précarité dans laquelle vivent les pêcheurs. Activité qui jadis nourrissait son homme, la pêche est devenue moins payante au Sénégal. Un des facteurs explicatifs est qu’il y a eu une forte ruée vers ce secteur, avec la sécheresse suivie de l’exode rural. D’après Mamadou Faye, biologiste à la Direction de la pêche maritime (Dpm), le nombre d’acteurs dans ce secteur a connu une montée fulgurante et progressive au fil des années.
Toutes pêches confondues, le Sénégal est passé de 90 600 marins pêcheurs en 1960 à 126 800 en 1980, puis à 163 000 en 2000. En 2014, ce nombre s’est arrêté à 181 200, avec le côté artisanal qui occupe une bonne part. Ce boom a fait que le secteur a été confronté au défi d’une activité sécurisée et responsable. Cette dernière fait appel essentiellement à deux déterminants : la sécurité des navires et le respect de la règlementation. Par rapport à la sécurité du navire, explique M. Faye, il y a la conception, la construction, la mise à l’eau, l’entretien et le carénage.
Le pêcheur doit aussi se conformer aux textes qui déterminent les engins de pêche, les zones autorisées, les espèces cibles… ; à tout cela s’ajoutent les gilets de sauvetage, la qualité et les mailles des filets, etc. Autant de tâches et de connaissances attendues du marin pêcheur. Face à des gens qui ont débarqué un beau jour sans aucune idée des normes, il est évident que les manquements ne peuvent être que nombreux. D’où l’importance de la formation. Les services de l’Etat cherchent encore les voies et moyens. Mais ils butent sur certains obstacles comme le financement, explique-t-on. A ce problème s’ajoute celui de la pêche industrielle où les services de l’Etat ont affaire à des gens qui maîtrisent toute la règlementation mais qui font primer le gain sur les obligations et la responsabilité.
Ainsi, le rapport 2013 de la Dpm indique que les débarquements de la pêche maritime s’élèvent à 441 254 tonnes pour une valeur commerciale estimée à 144 milliards de francs CFA. La pêche artisanale reste la plus importante avec 398 214 tonnes. Celle industrielle pourtant plus souvent décriée s’arrête à 43 040 tonnes, presque 10 fois moins importante que l’activité artisanale. En 2012, les débarquements étaient estimés à 447 961 tonnes pour une estimation à 152 milliards.
Arraisonnements, accidents, disparitions…
Ce dynamisme n’est pas sans conséquences. Les manquements à l’obligation sont souvent importants. En 2015, sur 8 318 pirogues inspectées, 875 ont été arraisonnées. Les principaux motifs se rapportent essentiellement au défaut de permis de pêche et au non-respect du gilet de sauvetage. Il y a aussi le défaut d’immatriculation, l’usage d’engins prohibés et l’incursion dans une aire marine protégée. Pour la pêche industrielle, sur 2 335 navires inspectés la même année, 13 dont 4 étrangers ont été arraisonnés. Là aussi, les motifs vont d’une pêche sans autorisation au maillage non conforme, en passant par obstruction de mailles ou absence de licence à bord. Selon les évaluations, le Sénégal perd environ 150 milliards par an, à cause de la pêche illicite, non conforme ou non déclarée appelée pêche-Inn.
Ces manquements ne mettent pas toujours en danger les ressources. La vie des acteurs est aussi souvent exposée. En 2015, les statistiques de la Dpsp indiquent 63 accidents en mer qui ont eu comme conséquence la perte de 23 vies humaines. Les disparitions se chiffrent à 73 individus contre 383 rescapés. En 2014, il y a eu 59 accidents, 22 vies humaines perdues, 94 disparus et 289 rescapés. En 2013, les accidents étaient de 49, 19 morts et 70 disparitions. Soit un total sur 3 ans de 64 vies perdues et 237 disparus.
Les conditions climatiques sont la principale cause de ces accidents souvent mortels.
BABACAR WILLANE