La niche du secteur informel plus intéressante que l’exploitation des hydrocarbures ?
Malgré l’argent qu’ils font miroiter aux Sénégalais, les recettes futures de l’exploitation du pétrole et du gaz ne sont nullement plus importantes que la taxation adéquate de l’énorme potentiel fiscal que constitue le secteur informel du pays.
Le secteur informel est-il un boulet que traîne l’État du Sénégal ? Le cadre de référence de la politique économique et sociale, le Plan Sénégal émergent (PSE), identifie ce secteur comme une contrainte majeure à l’objectif de transformation structurelle de l’économie pour une croissance durable et inclusive. Dans son document d’étude n°47, intitulé ‘’Évaluation du potentiel fiscal du secteur informel au Sénégal’’, la Direction de la Prévision des études économiques (DPEE) abonde dans ce sens.
En effet, estiment les économistes, le potentiel fiscal de l’économie sénégalaise, dans une configuration intégrant un recul de 44 % du secteur informel, pourrait être estimé à 3 120,5 milliards F CFA, soit 20,4 % du PIB. ‘’En d’autres termes, comparés aux recouvrements de 2021 estimés à 2 594,1 milliards F CFA, la marge de progression des recettes fiscales imputables à l’informel représente 3,4 points de pourcentage, soit un effort fiscal estimé à 526,4 milliards F CFA’’.
Si les recettes de l’État montrent une pression fiscale de 16,9 % en 2021, l’évaluation faite par la DPEE estime que le gouvernement aurait pu atteindre une pression fiscale de 20,4 %, si le secteur informel avait été mieux taxé. Dans l’économie sénégalaise, 9 travailleurs sur dix 10 exercent dans le secteur informel (Bureau international du travail, 2020) et 97 % des unités économiques non agricoles s’activent hors du circuit formel (recensement général des entreprises, 2016).
En outre, sur l’ensemble des unités de production informelles (UPI), seulement 2,7 % possèdent un numéro d’identification fiscale, 4,5 % un registre de commerce et 0,7 % sont inscrits à la Caisse de sécurité sociale (RGE, 2016).
1 500 milliards sur trois ans vs 888 milliards pour les hydrocarbures
L’effort fiscal annuel que représente une taxation à hauteur de 44 % du secteur informel estimé à 526,4 milliards F CFA serait une ressource bien plus intéressante pour le gouvernement que l’exploitation des hydrocarbures. Selon le Document de programmation budgétaire et économique pluriannuelle publié par le ministère des Finances et du Budget en août 2022, l’exploitation des gisements gaziers de Grand Tortue Ahmeyim (GTA) et pétrolier de Sangomar devrait rapporter au Sénégal près de 888 milliards F CFA de recettes sur la période 2023-2025. Comparativement, le recouvrement de la niche fiscale que représente le secteur informel sur la même période rapporterait au Sénégal 1579,2 milliards F CFA.
Pour plus de détails relevés par la DPEE sur les lignes de taxes, l’impôt sur le revenu présente la plus faible performance au recouvrement avec une inefficience technique de l’ordre de 1,6 %. ‘’Ce chiffre traduit qu’en 2021, les recettes tirées de l’impôt sur le revenu pouvaient atteindre 4,6 % du PIB au lieu de 3 % du PIB, soit un potentiel de 704,5 milliards F CFA’’, explique le document.
Il en est de même pour la TVA intérieure qui pourrait atteindre 3,3 % du PIB au lieu de 2,2 % du PIB obtenu en 2021, soit un potentiel de recettes estimé à 516, 9 milliards F CFA. S’agissant de l’impôt sur les sociétés (IS), l'efficience technique est relativement moindre et correspond à un effort fiscal de 0,8 point de pourcentage, ce qui représente un niveau de recouvrement de l’IS qui devrait s’établir à 3 % du PIB, soit un potentiel de 458,7 milliards F CFA.
L’impôt sur le revenu, la taxe la moins collectée
Avoir autant de recettes supplémentaires dans les caisses de l’État donnerait plus de marge pour financer le budget projeté en 2023 à 6 400 milliards F CFA. L’impact global de la fiscalisation de l’informel se traduirait par une hausse, en moyenne, de 21,7 % des recettes fiscales de l’État.
Aussi, l’impact serait positif sur le marché du travail à long terme ‘’avec une évolution à la hausse de l’emploi de 0,1 %, en moyenne, sur les dix premières années’’.
En outre, relèvent les économistes, ‘’la transition vers l’économie formelle combinée avec une hausse des investissements publics de 67,7 % et des transferts versés aux ménages de 32,3 % financés par les suppléments de recettes fiscales contribuerait à hâter la transformation structurelle de l’économie. Celle-ci désigne généralement une réorientation de l'activité économique et des emplois des secteurs les moins productifs comme l’agriculture vers ceux qui sont plus productifs tels que l’industrie et la transformation’’.
Le calcul de l’incidence de cette nouvelle configuration économique montre que la fiscalisation de l’informel conjuguée à une augmentation des dépenses de l’État en investissements et transferts se traduirait tout de même ‘’par une hausse globale des prix à la consommation de l’ordre 2,6 %. La perte de pouvoir d’achat qui devrait se profiler serait atténuée par l’augmentation du revenu des ménages en raison des transferts reçus de l’État, mais également de l’amélioration des rémunérations salariales induite par les gains de productivité des entreprises’’.
Des effets négatifs sur l’inflation et le commerce extérieur
Cela pourrait également accroître l’extraversion de l’économie sénégalaise. En effet, juge de document, ‘’les exportations seraient légèrement affectées avec une faible baisse de 0,1 %, tandis que les importations connaîtraient une augmentation de 4 %, en moyenne, sur les dix premières années suivant le choc’’.
L’État du Sénégal a pris beaucoup d’initiatives pour favoriser la transition de l’économie informelle vers une économie plus formalisée, avec l’adoption de la Recommandation n°204 de l’OIT sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle. À cet effet, plusieurs actions ont été entreprises. Il s’agit, notamment, de la mise en place des services de chambres de commerce et des métiers, la construction progressive d’un régime de base de sécurité sociale pour les travailleurs de l’économie informelle, le programme de développement de l’emploi, la création de guichets uniques dans les ‘’espaces Sénégal service’’ (ESS), les actions de l’ADEPME, de la Der, du BCE, des CGA, de l’Apix et des CCIA.
La nouvelle stratégie de mobilisation des recettes à moyen terme (SRMT) ambitionne d’élargir l’assiette fiscale par le consentement à l’impôt à travers, entre autres, la réduction de l’écart entre le nombre potentiel de contribuables et ceux identifiés par l’Administration fiscale, ainsi que la maîtrise des entreprises immatriculées.
Lamine Diouf