Un vendredi de feu pour la candidature d’Ousmane Sonko
Le 17 novembre 2023, l’opposant sera fixé sur son recours à la CEDEAO, tandis que la Cour suprême se penchera sur l’ordonnance du tribunal de Ziguinchor.
Le hasard fait-il bien les choses ? Le candidat déclaré à l’élection présidentielle du 25 février 2025, Ousmane Sonko, en aura une impression, d’ici deux semaines. La Cour suprême va se prononcer sur le recours introduit par l’État du Sénégal, après l’ordonnance du président du tribunal d’instance de Ziguinchor ordonnant sa réintroduction sur le fichier électoral, le 17 novembre 2023. À la même date, la Cour de justice de la CEDEAO va donner son verdict sur sa saisine contre l’État du Sénégal pour la violation présumée de ses droits, après la dissolution de son parti et sa radiation des listes électorales.
Cette décision a été prise hier à Abuja (Nigeria), lors de l’audience de la Cour de justice sous-régionale opposant les avocats de l’État à ceux du président de l’ex-Pastef. Le président de la cour, Gberi-Be Ouattara, et ses assesseurs Dupe Atoki et Ricardo Claudio Monteiro Gonçalves ont d’abord décidé de l’opportunité de tenir la séance du jour. Car un qui n’en voulait pas est l’agent judiciaire de l’État (AJE), Me Yoro Moussa Diallo.
Comme il l’avait introduit mardi dernier, lors de la première audience, l’avocat de l’État devait être fixé sur sa demande de renvoi de l’audience, de même que la récusation de deux avocats étrangers d’Ousmane Sonko, pour ‘’constitution non-conforme’’. Il s'agit du Français Juan Branco et du Comorien Saïd Larifou. Lors de l’audience d’hier, l’AJE a ajouté à ses arguments que la défense n’était pas prête à plaider sur le fond du dossier, rappelant des soucis de connexion Internet à Dakar.
Les demandes de l’État du Sénégal rejetées
Tous ces points ont été balayés par les juges. Le président a indiqué que la cour disposait de toutes les pièces produites pour prendre sa décision. Sur la forme, Juan Branco et Saïd Larifou ont été autorisés à plaider. Sur le renvoi, le juge Gberi-Be Ouattara a rappelé que ‘’cette cour est une cour communautaire et une cour des Droits de l’homme dont il faut respecter les procédures (écrites et orales).’’ Et sur les soucis de connexion, le magistrat retient que rien n’indique qu’à une date ultérieure, il n’y en aura pas de nouveau.
Le cadre ainsi posé et l’affaire retenue, l’on pouvait passer aux plaidoiries, après une suspension de quelques minutes. C’est ainsi que Me Juan Branco a insisté sur le fait que dans quelques semaines, le Conseil constitutionnel du Sénégal va se prononcer sur la liste des candidats à l’élection présidentielle de 2024. ‘’Sans votre décision, Messieurs de la Cour, il sera impossible à M. Sonko de se présenter (…). Lorsqu'un État cesse de respecter ses propres lois, son propre droit, son autorité s’affaisse. Nous vous prions, au nom du peuple sénégalais, de rendre à M. Sonko ses droits, sa liberté’’, a demandé le sulfureux avocat français.
Sur le caractère urgent de la décision demandée à la cour de justice sous-régionale, Me Branco estime que ‘’tous les candidats ont à leur disposition les fiches de parrainage depuis plus d’un mois. Nous sommes à trois semaines du dépôt des parrainages et Ousmane Sonko n’a toujours pas ses fiches’’.
Des débats de fond houleux
Son collègue Me Clédor Ciré Ly abonde dans le même sens, en soutenant que cela est dû à un refus de la Direction générale des Élections (DGE) d’appliquer une décision de justice : l’ordonnance du tribunal d’instance de Ziguinchor du 12 octobre 2023 pour l’annulation de la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales et sa réintégration dans lesdites listes. Maitre Ly évoque également le décret portant nomination des nouveaux membres de la Commission électorale nationale autonome (Cena), ‘’dont certains sont militants du parti au pouvoir’’.
Toutefois, ces irrégularités ont été rejetées par l’AJE qui estime qu’il n’y a pas lieu de se précipiter. En effet, assure-t-il devant la cour, ‘’il est manifeste que vous avez été saisi en mi-septembre. Nous sommes début novembre. Entre ces points, les requérants ont pu saisir la justice sénégalaise qui a rendu justice. La Cour suprême a été saisie d’un recours qu’elle va trancher. De quelle urgence parle-t-on lorsqu’on descend d’une Formule 1 pour prendre une voiture normale ? Les juridictions sénégalaises ne refusent pas de dire ce qu’on veut vous faire dire. Elles sont en train de le dire’’.
Maitre Yoro Moussa Diallo ajoute qu’Ousmane Sonko n’est pas un détenu politique puisqu’il a été arrêté pour des faits ‘’criminels’’. Selon l’AJE, le décret portant nomination des nouveaux membres de la Cena fait suite à l’expiration du mandat des anciens membres.
Juan Branco demande un contrôle judiciaire pour Sonko
À sa suite, Me Samba Bitèye a assuré que le Sénégal est un État de droit justifié par la convention signée par l’ancien président de la République du Sénégal Abdou Diouf avec la CEDEAO. Aussi, assure-t-il, ‘’je suis venu ici assez de fois pour ne pas douter que vous ne vous substituerez jamais aux juridictions sénégalaises’’.
Dans un second tour de plaidoiries, Juan Branco a demandé aux avocats de l’État ‘’dans quel État de droit on condamne un homme pour un délit pour lequel il n’a pas été poursuivi devant une cour d’assises ? Dans quel État de droit au monde la contumace ne s’applique pas lorsque la personne concernée est arrêtée ? Et pourtant on utilise cette décision pour l’empêcher de se présenter’’.
In fine, l'avocat demande à la cour d’accorder un contrôle judiciaire à Ousmane Sonko, pour lui permettre de ‘’compétir’’ comme tous les autres candidats. Il a été appuyé par Me Ciré Clédor Ly qui a demandé à la cour de constater qu’il est ‘’manifeste que l’État n’est pas prêt à réinscrire Ousmane Sonko sur les listes’’ et ainsi le ‘’rétablir dans ses droits’’.
La décision de la cour sera connue dans deux semaines.
Lamine Diouf