Publié le 6 Feb 2024 - 12:03
REPORT PRÉSIDENTIEL

La proposition passe au forceps !

 

La proposition de loi portant report de l’élection présidentielle du 25 février 2024 a été adoptée, hier, par l’Assemblée nationale, aidée par les gendarmes. Prévue pour le 25 août dans la proposition initiale, elle a finalement été fixée au 15 décembre 2024, grâce à un amendement porté par le député Demba Diop.

 

L'image est terrible. La majorité l'a évitée durant toute la journée. Accusée d'avoir fomenté un coup d'État constitutionnel, elle a été obligée de recourir aux forces spéciales de la gendarmerie nationale pour faire passer la proposition de loi portant report de l'élection présidentielle. Face à la détermination des députés de l'opposition d’entraver le vote sans débat proposé par le président du groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement, le président, après un blocage de plus de deux heures, décide de faire appel aux éléments du Groupe d’invention de la gendarmerie nationale (GIGN). Ces derniers, entrés dans l’hémicycle à 22 h passées de quelques minutes, ont évacué les députés contestataires qui avaient réussi à bloquer les travaux pendant plusieurs tours d’horloge.

C’était l’épilogue d’une journée fatidique, dans une Assemblée plus que jamais divisée.

Les prémices étaient visibles dès le démarrage de la séance plénière. Très vite, l’on a senti une volonté manifeste des députés de Yewwi Askan Wi, de Taxawu Sénégal, du Parti de l’unité et du rassemblement ainsi que de presque tous les non-inscrits, de faire obstacle au projet qu’ils jugent anticonstitutionnel et antidémocratique. À la suite de Cheikh Abdou Bara Mbacké (député de Wallu qui s’est désolidarisé de ses collègues en demandant la suspension de la séance et le respect du calendrier), alors que le président Amadou Mame Diop s’apprêtait à imposer de passer au débat, les anti-reports s’élancent dans un même élan pour exiger le respect du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Lequel dispose : ‘’Après lecture du rapport, tout membre de l’Assemblée peut poser la question préalable tendant à décider qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Il peut motiver verbalement sa demande sur laquelle ne peuvent intervenir que le président et le rapporteur de la commission saisie sur le fond et le représentant du président de la République.’’

Après une première suspension de plusieurs minutes, les différents acteurs se parlent et tombent finalement d’accord sur l’interprétation du texte. Au retour, le président se plie : ‘’Nous convenons que le texte dit bien tout membre de l’Assemblée. La pratique parlementaire nous a habitués à ne prendre qu’une seule question préjudicielle, mais puisque le règlement en dispose autrement, on va se conformer.’’

C’était ainsi parti pour des heures de longues litanies des députés opposés au report. Une stratégie bien ficelée pour faire trainer la procédure, sachant qu’à minuit, il pourrait être mis fin à la séance.

Membre du groupe Yewwi Askan Wi, Ayib Daffé lance les hostilités en invoquant une violation des dispositions du règlement intérieur qui prévoient que ‘’les rapports et avis doivent être communiqués aux députés au moins 24 heures avant la séance’’. Il en a ainsi appelé au bon sens de ses collègues de BBY et de Wallu pour être conforme aux textes en vigueur. ‘’Vous êtes là, dites-vous, pour corriger des dysfonctionnements et des manquements dans l’application des textes. Vous ne pouvez donc vous permettre de violer vous aussi les textes qui régissent notre Assemblée…’’

Prenant la parole, le président et le rapporteur ont rejeté l’accusation et invoquent la procédure d’urgence. Selon Moussa Diakhaté, en matière de procédure d’urgence, cette condition saute.

À la suite du député Ayib Daffé, Guy Marius Sagna a aussi pris la parole pour demander la suspension de la séance, car la proposition en question viole les dispositions du règlement intérieur et de la commission. ‘’Quand une proposition de loi comporte des incidences financières, elle doit passer par la commission des finances et prévoir des mesures pour trouver les ressources. Cela n’a pas été fait, alors que tout le monde sait que cette proposition a des incidences financières que personne ne peut nier. En effet, des bulletins ont été confectionnés pour tous les candidats, des isoloirs et autres matériels ont été achetés ; ils ont été transportés dans les différentes localités… Nous vous demandons, en conséquence, de sursoir à cette procédure et d’essayer de vous conformer aux textes…’’

Cette demande a aussi été rejetée par la majorité sous le prétexte qu’elle n’est pas fondée.

D'habitude très agités, essayant de perturber toute prise de parole adverse, les députés de la majorité ont cette fois reçu des consignes fermes de rester tranquilles, pour aller le plus vite possible et ne pas tomber dans le piège des députés de l’opposition qui semblaient avoir pour principal objectif : faire échouer le projet.

Conscient que le camp d’en face n’est pas prêt à en découdre cette fois, malgré les pics, Guy Marius enchaine : ‘’Vous ne pouvez effectivement rien dire. Vous n’allez pas réagir, parce que vous êtes des menteurs. Vous n’allez pas réagir parce que vous êtes des voleurs. Vous n’allez rien dire parce que vous êtes des…’’

Malgré toutes ces provocations, chose inédite, les députés de la majorité restent muets comme des carpes. Seul Abass Fall aura réussi à sortir un des leurs de ses gonds et lui tirer quelques répliques. Comme s’il n’attendait que ça, Abass s’est rué sur lui en lui demandant de réitérer ses insultes, avant de lui lancer un coup qu’il a de justesse esquivé. Très vite, les ténors du régime montent au créneau et tentent de calmer les leurs en rappelant le mot d'ordre : ‘’Interdit de répondre à la provocation.’’  

La même atmosphère a été notée durant toute la journée. Au total, ce n’est pas moins d’une quarantaine de questions préalables qui ont été soumises à l'attention des députés. Elles ont toutes subi le même sort. Ces votes montraient déjà que les carottes étaient cuites pour les anti-reports. Une nette majorité s’est, en effet, dégagée dès les premiers votes. Avec des votes favorables qui variaient entre 100 et 105. Des votes défavorables qui se situaient entre 49 et 56.

Conscients que le camp du report tient sa majorité qualifiée, les opposants ont tenté de jouer la montre pour faire barrage contre le report. De 11 h à 22 h, ils ont joué sur les questions préalables qui ne l’étaient que de noms. Pour faire avorter leur stratégie, le président du groupe parlementaire Liberté, démocratie et changement a demandé, dès la fin des questions préalables obligatoires, de passer ‘’au vote sans débat’’, puisque l’autre camp a eu largement à discuter le texte. Sans attendre, le président met au vote la proposition et affirme, sans compter, que la proposition a été adoptée. Les députés de l’opposition n’ont même pas eu le temps d’écouter la proposition. Ils se sont alors levés pour bloquer l’hémicycle.

Pour rappel, pour la révision des dispositions conditionnelles, il faut la majorité qualifiée des 2/5 des suffrages exprimés, soit 99 députés sur les 165 députés que compte l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, il faut noter que la proposition du PDS a permis les retrouvailles entre Benno Bokk Yaakaar et le PDS, mais aussi celles entre Pastef, Taxawu et les non-inscrits. Durant toute la journée d’hier, Pastef a parlé le même langage que Taxawu, Papa Djibril Fall et Thierno Alassane Sall. Wallu a perdu Mamadou Lamine Diallo et Cheikh Abdou, pour s’acoquiner avec Benno Bokk Yaakaar.

 L’élection fixée le 15 décembre 2024

Dans la proposition de loi déposée par le groupe Liberté, démocratie et changement, il a été proposé de reporter le scrutin jusqu’au 25 août prochain. Le député Demba Diop a toutefois proposé un amendement qui porte la date de l’élection au 15 décembre, au lieu de 25 août. Il justifie : ‘’Comme nous le savons tous, le mois d’août coïncide avec l’hivernage. L’élection présidentielle étant d’une importance capitale, nous devons permettre à tous les Sénégalais de s’exprimer. En raison des difficultés de déplacement à cette période dans certaines zones, nous pensons qu’il vaut mieux repousser un peu pour permettre à tout le monde de voter.’’ Outre l’hivernage, le député de BBY a aussi invoqué le Magal et le Gamou projetés la même période. ‘’En conséquence, pour ne pas sortir de l’année électorale, je demande à ce que le scrutin se tienne le 15 décembre 2024’’, a soutenu le parlementaire.

 Le projet a été voté à une majorité de 104 voix pour, une seule voix contre. Les députés de l’opposition ont déjà été évacués au moment du vote. Les députés de l’opposition qui ont fait bloc toute la journée promettent de saisir le Conseil constitutionnel pour faire déclarer la loi anticonstitutionnelle (voir notre édition d’hier).

Sur un autre registre, la commission des lois propose de revoir la loi sur le parrainage, en supprimant le parrainage citoyen, pour ne maintenir que le parrainage des élus. Car, soulignent les députés, cette forme de parrainage est difficile à mettre en œuvre. Ils ont aussi proposé des réflexions sur la loi relative à l’exigence de la nationalité exclusive. 

 

Le décret et la situation du PM au cœur des débats

Mais qui a donc vu le décret pris par le président de la République pour mettre un terme au déroulement au processus électoral, à la veille du démarrage de la campagne présidentielle ? La question était hier sur toutes les lèvres.

Selon de nombreux députés de l’opposition, ce décret devait être produit sur la table de l’Assemblée nationale avant d’examiner le projet de report. De l’avis du député Bara Gaye, l’Assemblée ne devrait pas acter un report sans jeter un coup d’œil sur le fameux décret.

Face à ses collègues de la majorité, il exige : ‘’Je pense que la moindre des choses, c’est de demander que ce décret soit disponible. Certains disent que le soi-disant décret ne saurait l’être parce que le Premier ministre aurait refusé de le signer. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une requête auprès du président pour lui demander de nous faire convoquer le Premier ministre. Nous allons voir s’il a contresigné oui ou non ce décret. L’Assemblée en a bien le pouvoir.’’

Dans sa réponse, le président de la Commission des lois a soutenu que les deux affaires n’ont rien à voir et qu’il faut respecter le principe de la séparation des pouvoirs. ‘’L’Assemblée ne peut exiger du chef de l’Exécutif de lui présenter un décret. Et pour votre gouverne, cette procédure qui nous réunit aujourd’hui n’a rien à voir avec le décret. Elle a même été entamée avant l’annonce du décret’’, a-t-il précisé.

Il faut aussi noter que la séance a été marquée par plusieurs incidents et des erreurs de décompte intentionnelles comme non intentionnelles du président de l’Assemblée et de ses secrétaires élus. À un moment, il s’est même retrouvé que le décompte signalait 111 voix en faveur des pro-reports, contre 56 chez les anti-reports, ce qui fait un total de 166 députés, plus que le nombre de sièges que compte l’Assemblée nationale. Il a fallu des discussions entre les parties pour pouvoir trouver une solution à ces manquements. 

A noter aussi que ledit décret a été rendu public, dans la soirée.

 

MOR AMAR

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