Publié le 8 Dec 2020 - 21:23
RIPOSTE CONTRE LA CORONAVIRUS

Le vaccin de la peur 

 

Alors que les autorités craignent une deuxième vague de la pandémie au Sénégal, la course effrénée pour un vaccin se fait sans toutes les précautions et respect des étapes préétablies. Au risque d’exposer les populations à une solution aux conséquences non-maîtrisées. 

 

Ce n’est pas encore officiel. Mais la nouvelle vague de contamination au coronavirus, lisible dans les résultats des tests transmis par le ministère de la Santé et de l’Action sociale, va bientôt confirmer une deuxième vague de la pandémie au Sénégal. En tout cas, si le rythme actuel est maintenu ou augmente. Car, lors des trois derniers jours, 256 nouveaux cas ont été recensés, faisant remonter les taux de contamination à environ 6 %.  Si les autorités misent déjà sur une application rigoureuse et forcée des mesures barrières (durcissement des contrôles de port du masque dans les transports et lieux publics), elles comptent également sur la disponibilité d’un vaccin annoncé pour janvier 2021.    

Parmi les nombreux vaccins contre la Covid-19 qui sont en cours de validation, le Sénégal a porté son choix sur celui produit par le laboratoire Moderna. ‘’Aujourd’hui, notre pays est en très bonne position, en termes de préparation pour acquérir un vaccin anti-Covid. Si on parvient à remplir les conditions pour avoir un vaccin qui est valide, qui ne pose pas de problème de budget, on sera à l’aise pour l’administrer aux Sénégalais.  Et nous avons choisi Moderna, parce qu’il est moins coûteux et les conditions de conservation répondent plus à la situation du pays’’, a fait savoir le Dr Marie Khemesse Ngom Ndiaye, Directeur de la Santé, qui prenait part au dîner-débat sur la Covid-19, tenu par l’Association sénégalaise des anciens de l’Ena de France (Asena).

Un choix quelque peu calqué sur celui de la France qui elle aussi mise sur Moderna et Pfizer, entre autres fabricants de vaccins. Comme la méthode de l’Elysée, ‘’il y aura d’abord le personnel de santé et les personnes qui vivent avec une comorbidité.  Il y aura ensuite le grand public.  Mais il y a beaucoup de fausses nouvelles qui sont véhiculées sur les vaccins.  C’est pourquoi nous allons avec prudence sur la question’’, explique le directeur du Centre des opérations d’urgence sanitaire (Cous), Dr Abdoulaye Bousso.

Des demandes d’autorisation de mise sur le marché ont déjà été déposées par le laboratoire aux États-Unis et en Europe. Feu vert attendu le 17 décembre 2020 aux États-Unis, d'ici au 12 janvier 2021 en Europe. Deux injections sont a priori nécessaires pour prévenir la survenue de signes de la maladie.

Populations de plus en plus réfractaires au vaccin

Toutefois, ces vaccins produits en un temps record sont loin de faire l’unanimité auprès des populations européennes. Par exemple, 59 % des Français n'ont pas l'intention de se faire vacciner, selon un sondage Ifop pour ‘’Le Journal du dimanche’’, publié le 29 novembre dernier. Une réticence souvent alimentée par cette peur des effets secondaires. Moderna a déjà communiqué sur la survenue d’effets secondaires ‘’d’intensité légère ou modérée’’ comprenant de la fatigue, des douleurs musculaires ou articulaires, des maux de tête ou encore des douleurs et rougeurs au niveau de l’endroit où les volontaires ont été piqués.

Des vaccins capables de modifier l’ADN humain ?

Mais les inquiétudes les plus prononcées portent sur la constitution de ces vaccins Moderna et Pfizer à ARN messager qui, selon certaines rumeurs, modifierait l’ADN. Cette technologie consiste à injecter une partie du matériel génétique d'un virus dans l'organisme pour induire une réponse immunitaire contre ce même virus.

Le débat est tel qu’en France, l’infectiologie Odile Launay, membre du comité scientifique "vaccin Covid-19", a dû intervenir sur les médias pour assurer que la technologie utilisant l’ARN messager n’a en aucun cas la possibilité d’être ‘’intégrée dans le noyau d’une cellule’’ et ‘’ne modifiera pas notre matériel génétique’’.

Alors que cette polémique s’installe dans les pays durement touchés par la pandémie, l’on se demande ce qui fait courir le gouvernement sénégalais pour se précipiter sur un vaccin dont aucune étude d’impact à grande échelle n’a été publiée. En neuf mois, la Covid-19 a fait 340 morts au Sénégal.

Dans une contribution récemment publiée, Ibrahima Sène du PIT affirmait que ‘’nos autorités politiques et médicales ne devraient pas suivre l’exemple de l’Union européenne qui a préféré, sous prétexte d’urgence économique et sanitaire, renoncer au ‘principe de précaution’ vis-à-vis des OGM, pour des raisons géopolitiques et géostratégiques’’. Loin d’être convaincu par les vaccins à base d’ARN messanger, il assure que les sociétés pharmaceutiques qui les développent, ‘’bénéficient d'une immunité juridique dans différents pays, dont les États-Unis, afin d'éviter d'être poursuivies en justice en cas d'effets secondaires’’.

En illustre le règlement 2020/1043 adopté cet été par l'Union européenne qui, selon le leader du PIT, permet ‘’aux producteurs de vaccins et de traitements anti-Covid-19 contenant des OGM, de se passer de produire une étude d'impact environnemental et de biosécurité, avant le démarrage d'essais cliniques. Publié le 17 juillet 2020, le texte a été adopté au Parlement européen selon une procédure d'urgence, sans amendement, ni débat’’.

Pr. Didier Raoult : ‘’C’est de la science-fiction, de la publicité…’’

Très écouté pour ses résultats remarquables sur le traitement des malades du coronavirus, le Pr. Didier Raoult se montre aussi sceptique sur ces vaccins. Interviewé hier sur Cnews, le professeur marseillais affirme : ‘’Le programme que j'ai lu jusqu'à maintenant, ça me paraissait de la science-fiction. Pour l'instant, ce que j'ai vu, c'est surtout de la publicité. Je n'ai pas vu d'articles scientifiques. J'attends de voir de vraies données. Les essais, il ne s'agit pas de dire si je fais ça, ça fait des anticorps. Il s'agit de dire : écoutez voilà, on a une population exposée. Dans cette population exposée, dans des conditions naturelles chez des gens qui représentent la cible, ça marche. Et ça, on verra.’’

Participant au Forum sur le numérique organisé le 26 novembre 2020, le président de la République Macky Sall révélait, concernant l’éventualité d’un vaccin, être déjà en discussions avec les pays développés sur la nécessité de partager tout vaccin, ‘’puisque toute l’humanité doit pouvoir en disposer’’.

Selon des informations de la presse française, l’Elysée a précommandé 200 millions de doses pour commencer à vacciner sa population en janvier prochain. Avec une population de 66 millions de personnes, sachant que chaque citoyen doit bénéficier de deux injections, cela lui laisse un surplus de 34 millions de doses. Des voix s’élèvent déjà pour affirmer qu’elles seront distribuées en Afrique, entre le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Burkina Faso.

La course effrénée au vaccin contre le coronavirus est surtout une question de gros sous. En étudiant les informations fournies par Moderna sur son vaccin, l’on peut dire que le prix est estimé entre 21 et 31 euros (13 700 à 20 200 F CFA) la dose. Rien que la précommande passée par la France s’élève ainsi à 4,2 milliards d’euros. Si le Sénégal devait passer une commande pour ses 16 millions d’habitants sur ces conditions, cela reviendrait à 33,6 millions d’euros (22 milliards de francs CFA). 

Lamine Diouf

 

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