Un pro de la gestion des déchets
Ingénieur polytechnicien, urbaniste, environnementaliste, le candidat de Yewwi Askan Wi crée la surprise dans la ville de Rufisque. Même si les résultats restent à confirmer, beaucoup le donnent vainqueur devant des ténors comme le ministre d’Etat Ismaila Madior Fall et trois autres maires de Rufisque. “EnQuête’’ vous présente ce spécialiste des déchets en passe de devenir le maire de l’une des villes les plus sales du Sénégal.
C’ est un Omar Cissé tout sourire, saluant ses militants de Yewwi Askan Wi, venus de partout lui témoigner leurs chaleureuses félicitations, à la suite aux élections territoriales du 23 jan- vier 2022 que nous avons retrouvé chez lui. Donné favori par les tendances, le candidat de Yewwi Askan Wi garde toute sa sérénité, dans un contexte de confusion où les parti- sans d’Alioune Mar, victorieux à Rufisque-Ouest, se sont donné ren- dez-vous à l’Hôtel de ville pour célé- brer ce qu’ils considèrent comme leur victoire. Mathématiquement, l’ingénieur polytechnicien en génie civil démonte ses prétentions : “En vérité, Mar ne sera même pas dans la course. Ce qu’il faut savoir, c’est que pour la ville, il y a deux sources de conseillers. Trente-six conseillers qui reviennent de droit aux vainqueurs des différentes communes : 14 pour Rufisque-Nord ; 12 pour Rufisque- Est et 10 pour Rufisque-Ouest. Alioune Mar a gagné l’Ouest, il a 10 conseillers ; nous avons gagné l’Est, c’est 12 conseillers ; nous avons également gagné au Nord et nous nous retrouvons avec 14 conseillers de plus. Soit au total 26 pour nous et 10 pour Mar. En plus de ces 36 conseillers réservés aux vainqueurs dans les communes, il y a 44 conseillers qui seront répartis au prorata. A ce niveau, il n’y a même pas match avec la liste de Mar.’’
A 59 ans, Omar Cissé n’a jamais été aussi proche du Graal. Pourtant, il est loin d’être un novice en poli- tique. Depuis 16 ans, l’homme fait partie des leaders les plus en vue dans la ville de Rufisque. Au début, c’était loin des grands appareils poli- tiques, avec son mouvement Vision Rufisque, dont la base affective se trouve à Rufisque-Ouest et particulièrement au quartier de Mérina, à un jet de pierre de chez Mbaye Jacques Diop.
Depuis lors, son discours n’a presque jamais fléchi. Toujours avec le même engagement, la même pas- sion. Allant même jusqu’à supplier les Rufisquois de le laisser les diriger. “Ngir yala wa rassoulihi, nama Rufisquois yi jox dekk bi ma liggey ko (de grâce, portez votre choix sur moi et je transformerai la ville’’.
De la prétention, diraient peut-être certains ; d’autres pourraient y voir un goût du pouvoir. Mais ceux qui le connaissent savent que c’est loin d’être le cas. En fait, Omar est simplement un passionné de Rufisque, quelqu’un qui vit pour la ville où sont nés ses ancêtres. Quand on lui pose la question sur cette obsession, il s’enflamme : “C’est parce que le visage de Rufisque ne me plait pas. S’il y avait une autre façon de faire la ville sans participer à la chose poli- tique, je l’aurais fait. Mais je n’en ai
malheureusement pas trouvé. D’où mon implication en politique en tant qu’acteur’’. Et d’enchainer : “Rufisque est une grande ville. Dieu m’est témoin, je ne suis pas en train de raconter des bobards. Rufisque est une grande ville ; c’est une ville d’histoire et de culture. Il y a 60 ou 70 ans, tout le monde venait ici pour admirer sa beauté, sa fraicheur... Cela veut dire que la ville s’est affaissée.’’
Comment la ville en est arrivée là ? Si l’Etat a toujours oublié la ville, ses responsables n’ont pas non plus fait grand-chose pour lui donner un autre visage. En tout cas, le leader de Vision Rufisque tient à changer la donne. Depuis 2009, il a été de tous les combats. A chaque fois, il a essuyé un revers. Mais jamais il n’a abandonné. A la question de savoir s’il ne lui est pas arrivé de se décourager, son épouse Aby Sylla témoigne : “Omar est un battant, persévérant qui ne renonce jamais. Mais c’est nous sa famille, ses enfants qui lui disions : papa, il faut laisser tomber, parce que les gens ne te comprennent pas. A chaque fois, il nous disait que cette politique, il la fait aussi pour remplir un sacerdoce, être au service du Seigneur. Si les gens com- prennent, c’est tant mieux. Sinon aussi, il aura rempli son devoir. Dieu l’a récompensé de son engagement et de ses bonnes intentions.’’
Rufisquoise elle-même, des ancêtres originaires des quartiers lébous de Diockoul avant que la famille ne s’installe à Keury Souf, elle ne doute pas un instant que son époux va transformer le visage de la ville. Elle assure : “Ce qui m’a toujours fait mal, c’est cette image hideuse de Rufisque. Ce que j’aime le plus dans cette victoire, c’est qu’Omar va changer cette ville. Je l’ai toujours dit à ma famille. Ce n’est pas parce que c’est mon époux, mais parce que je sais son amour pour cette ville ; le projet qu’il a pour cette ville ; je sais aussi ce dont il est capable. C’est pourquoi je leur ai toujours dit : essayez d’élire Omar et c’est sûr que vous n’allez pas le regretter.’’
Ingénieur polytechnicien en génie civil, urbaniste et environnementaliste, Omar retournerait dans une maison qu’il connait assez bien, si les tendances se confirment. Il a, en effet, démarré sa carrière ici dans la ville de Rufisque, en tant que directeur des services techniques, en 1988, avec Mbaye Jacques Diop. L’enfant de Mérina venait juste de sortir de l’Ecole polytechnique. Chercheur, enseignant, le cœur de son métier tourne autour de la ville. C’est d’ailleurs une raison supplémentaire qui explique ce que certains considèrent comme une obsession. “D’autres peuvent être insensibles en voyant cette situation dans laquelle se trouve notre ville. Mais moi, je ne peux me le permettre.
Ces difficultés qui hantent Rufisque m’interpellent plus que toute autre chose. Partout où je vais, je me dis : Mon Dieu, pourquoi je n’arrive pas à faire bouger les choses dans ma ville ? Aujourd’hui, je pour- rais faire à Rufisque ce que j’ai fait pour beaucoup...’’
En effet, celui qui est donné vainqueur par beaucoup d’observateurs, a eu à travailler dans beaucoup de villes du monde dont Kigali, au Rwanda. Il a été trois fois au pays de Paul Kagamé en tant que consultant international pour travailler sur les systèmes de gestion des déchets, soit sur mission de la Banque mondiale, soit pour les Nations Unies. Parallèlement à ses activités de consultance qui l’ont mené un peu partout, Omar Cissé est aussi un pro- fesseur émérite qui sert dans beaucoup d’universités du monde, à Montréal, à l’université Senghor d’Alexandrie, à Gaston Berger, à Cheikh Anta Diop, pour ne citer que celle-là. Il a écrit beaucoup d’ouvrages sur les inondations, le loge- ment, la violence, les déchets...
Il le clame partout, compte tenu de son parcours : il ne peut être dans la politique politicienne. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour les- quelles il n’a pas poursuivi le chemi- nement avec Macky Sall, même s’il l’a soutenu dès le premier tour. Avec une conviction qui frise l’arrogance, le concerné déclare : “En fait, moi, je ne peux pas me permettre de faire la politique politicienne. Cela ne me correspond pas. Malheureusement, ici, c’est le règne de la politique politicienne. Quelqu’un d’autre aurait peut-être attendu une rétribution,
après avoir contribué à la victoire d’un président. Moi, je ne lui ai jamais rien demandé. Notre compagnonnage s’était fait sur la base d’un protocole. Malgré ce protocole, Rufisque n’a pas changé. En 2014, quand il m’a appelé, je le lui ai rap- pelé... Je lui ai envoyé des photos de la ville pour lui montrer que rien n’a changé, deux ans après. Il a dit qu’il me comprenait, mais qu’il voudrait aussi que je l’accompagne pour développer le Sénégal. Parce qu’il sait que beaucoup de ses problèmes comme les inondations, les loge- ments, les déchets entrent dans mon domaine de prédilection.’’
Omar Cissé accepte de travailler à nouveau avec le président uniquement sur ces questions. Et sans pren- dre de responsabilités. Mais ce n’était pas sans lui rappeler ceci : “Je lui ai dit qu’auparavant, il faut transformer cette ville, parce que c’est la raison pour laquelle je suis en politique. Jusqu’en 2018, je n’ai vu aucun changement. J’ai alors pris la décision de lui faire face.’’
L’une de ses principales priorités, si les tendances se confirment, c’est le cadre de vie de la vieille ville, deve- nue une des villes les plus sales du Sénégal. Et de ce point de vue, il ne saurait y avoir meilleur profil. Récemment, confiait-il à “EnQuête’’ : “Dans ce domaine, je suis quand même le khalife général.’’
Marié, monogame et père de quelques bouts de bois de Dieu, l’arrière-petit-fils du Rufisquois Mame Madické Dièye, notable de la ville qui a obtenu son titre foncier de 600 m2 en 1905 des mains du colon, a tenu également à saluer le rôle joué par la première dame de Rufisque. Sans elle, confie-t-il, je n’arriverais certai- nement pas à faire tout ça. A la question de savoir s’il est polygame ou monogame, il déclare tout sourire : “Je suis musulman, mais j’ai une seule femme que j’adore. Une femme qui m’accompagne dans tous mes combats et qui est de Keury Souf. Sa grand-mère est de Keury souf. J’en profite pour lui rendre un vibrant hommage.’’
Les coalitions jouent aux prolongations du vote A lors que la situation était jusque-là très calme, les démons de la violence ont resurgi, hier, à Rufisque. Vers les coups de 18 h, alors que des sympathisants d’Omar Cissé étaient massés devant sa maison qui sert de QG à la coalition Yewwi Askan Wi, des individus ont surgi de nulle part et ont commencé à jeter des pierres. C’est la débandade dans les rues du quartier Mérina. “EnQuête’’ a pu trouver un des nervis et lui a demandé : c’est qui le vainqueur des élections à Rufisque ? Il répond : “C’est Alioune Mar.’’ Confirmant ainsi que les assaillants sont bien des sympathisants du maire de Rufisque-Ouest, candidat de Gueum Sa Bopp. Dans la foulée, les habitants de Mérina se sont mobilisés pour faire face et ont réussi à les repousser loin du quartier. Pendant ce temps, des foules monstrueuses étaient massées à quelques centaines de mètres de l’Hôtel de ville, vêtus de t-shirt à l’effigie de leur maire Alioune Mar. Ce sont des habitants de Rufisque-Ouest, convaincus que leur mentor a remporté la ville. Pourtant, selon les tendances reçues, ce dernier n’a remporté qu’une seule commune et est très loin de ses concurrents dans les autres communes de la ville, à savoir Rufisque Est et Nord qui comptent plus d’électeurs. Du côté de Benno Bokk Yaakaar également, certains réclament une victoire étriquée, avec une différence de 25 voix sur Yewwi Askan Wi. Mais selon plusieurs sources concordantes issues des différents partis, Yewwi aurait remporté aussi bien la commune de Rufisque-Est que la commune de Rufisque-Nord. Cette dernière victoire serait d’ailleurs la principale pomme de discorde, puisque des sources proches du maire sortant, candidat de Benno, contestent en incriminant les résultats du grand centre de Diorga Chérif. Ils brandissent le vote au-delà̀ des heures légales. La Commission départementale de recensement des votes n’a pu terminer la compilation des voix, hier. Elle donne rendez-vous aux populations aujourd’hui. |
Mor AMAR