Publié le 1 Mar 2012 - 09:13
SAINT-LOUIS

Splendeur d'une cité réduite en carte postale

 

Saint-Louis perd son lustre. La conjoncture économique rejaillit sur les traits culturels qui donnaient son attrait et sa spécificité à l'ancienne capitale de l’Afrique occidentale française (AOF). Tout est dévalué, du plat local – le fameux Ceebu jën Penda Mbay – au raffinement vestimentaire héritage d'une société métissée.

 

L’île, composée des quartiers Lodo et Sindoné et d’une bande de terre dénommée la langue de Barbarie, est le centre des affaires. Jadis, les hommes se distinguaient avec leur costard, pipe à la bouche et la canne sous le bras. Un peu comme ces dandys marseillais en dilettante sur la Cannebière aux bords du Vieux Port. Les femmes de l’ancienne capitale de l’AOF (Afrique occidentale française) avaient l'art de porter une jupe longue bouffante, un chemisier de rigueur, le tout assorti à un long chapeau sur lequel flottait délicatement une plume. Et ainsi attifées, elles se dandinaient nonchalamment dans les rues et allées du pont Faidherbe, appréciant le coucher du soleil. C’est le takusaanu Ndar. Des moments réduits en cartes postales.

 

Amadou Faye, 69 ans, originaire de Kaolack, se souvient. ''Cette originalité bien saint-louisienne amenait les hommes à convoiter une doomu Ndar (native de Saint-Louis), et j’en fais partie, car une fois affecté dans cette ville, j’ai été attiré par ce takusaan. C’est de là que je suis tombé amoureux d’une nymphe qui m’a donné 8 enfants''. Pour lui, la femme de Saint-Louis de l’époque avait un charme de ''Grande royale''. Mais force est de reconnaître qu’aujourd’hui tout cela est de l'ordre du souvenir. Les femmes de Ndar ont au fil du temps troqué leur sensualité ou mokk pooc (en wolof). La nouvelle génération a dévêtu les signares pour les jeans, jumbax out (nombril au vent) et dangal (pantalon galbé).

 

 

La conjoncture dévalue le ''Penda Mbay''

 

Saint-Louis est immédiatement associée à son Penda Mbay (riz au poisson). Les nostalgiques salivent quand ils s'en souviennent. Les femmes se rendaient tôt le matin au marché de Teen jigeen pour acheter les légumes du Gandiol ou de Khor qui venaient fraîchement des champs ou jardins, le coof ou ''poisson noble''. Une fois à la maison, tout est cuit au baaral (à petit feu) et assaisonné au poisson fumé de Sine (gejji Sine) et rehaussé de bissap (oseille) bien ficelé. Et chose importante, aucune femme n’osait sortir de la cuisine au moment de la préparation du repas qui sera servi aux membres de la famille et à des invités, puisque le partage des mets était un acte de noblesse.

 

Mais cette tradition de cordons bleus est en train de disparaître. Et le fameux ''ceebu jën Penda Mbay'' servi à midi a beaucoup perdu de sa saveur. Trouver du ''poisson noble'' et tous les ingrédients appropriés est devenu un véritable parcours de combattant, les ressources halieutiques se raréfiant. Les rares poissons de choix pêchés sont vendus aux hôteliers au prix fort, hors de portée des bourses des jeeg (grande dame) dont les époux goorgoorlu (débrouillards) n’arrivent plus à joindre les deux bouts.

 

 

Le Fanal en veilleuse

 

Le Fanal est à Saint-Louis ce que le Carnaval est à Rio. Cet fête folklorique a commencé au XVIIIe siècle. Il était surtout marqué par les signares, ces jeunes femmes métisses, issues de mariage entre blancs et femmes noires. De riches femmes métisses se rendaient à la messe de minuit parées de leurs plus beaux bijoux et accompagnées par leurs servantes et chambellans. Ces derniers tenaient des lanternes illuminées de l’intérieur par des chandelles. Les signares passaient dans les rues de l’île dans une lente procession.

 

Au fil des années, les Saint-Louisiens ont fait de cette coutume une fête traditionnelle qui a fait place au Fanal des quartiers. Les parrains étaient le maire, le gouverneur ou d’honorables citoyens choisis sur le tas. Les couleurs et les lumières faisaient la joie des populations résidentes et étrangères. Cette procession costumée n'est aujourd'hui que l'ombre d'elle-même.

 

 

Patrimoine bâti en ruine

 

Réputée pour la beauté de son habitat à l'architecture coloniale, la ville tricentenaire croule sous le poids de l’âge. L'île Saint-Louis présente un ensemble urbain, architectural, historique et culturel parmi les plus remarquables de l'Afrique de l'Ouest. C'est un des exemples bien conservés de villes coloniales, anciens comptoirs commerciaux développés à partir d'un fort comme à Gorée, Rufisque au Sénégal ou Grand Bassam et Bingerville en Côte d'Ivoire. Ce site lagunaire et marécageux a été choisi pour des raisons stratégiques en raison de sa proximité avec la mer et pour les besoins de défense. La vieille cité a peu à peu sombré au XXe siècle, avec la perte de son pouvoir économique et administratif. Construite en bois et en dur, la plupart de ses demeures sont, aujourd’hui, délaissées. Leurs propriétaires n’ont pas les moyens de les réhabiliter et vivent dans la hantise d’un effondrement des bâtisses. D’autres ont préféré vendre leurs maisons pour aller s'établir hors de la ville, notamment dans les s de Ngallèle, Cité Niax et Pikine. L’île se dépeuple petit à petit.

 

Le plus désolant est que des maisons sont acquises, pour la plupart, par de nouveaux riches – des pontes de l'actuel régime - peu soucieux de préserver l'architecture d'origine. Or, l'île est érigée Patrimoine mondiale de l'Humanité en 2000 par l'UNESCO, après un premier classement en 1976 comme secteur sauvegardé par le Président Léopold Sédar Senghor. Ce laisser-aller a fini par exaspérer l’UNESCO qui a menacé de déclasser l'île de Saint-Louis. L’état du patrimoine est alarmant : 10 à 20% des constructions sont menacés de ruine et plus de 30% nécessitent de grosses réparations. Les rares restaurations effectuées ne respectent pas les détails de façades : encadrements moulurés des baies, balcons en bois ou en ferronnerie surmontés d'auvent couvert en tuile, coloration des enduits, etc.

 

Fara Sylla (correspondant)

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