Les Y-en-a-marristes se fâchent
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En conférence de presse hier, les membres du mouvement Y en a marre ont condamné les décisions des chefs d’Etat de la CEDEAO à l’encontre du Mali.
Faut-il se féliciter de la prise du pouvoir par l’armée malienne ou la condamner ? En tout cas, le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta ouvre, selon Y en a marre, ‘’une nouvelle page pour soulager définitivement les populations du Mali, trop longtemps prises en otage par une élite déphasées et dépassée’’.
En conférence de presse hier à Dakar, ce mouvement citoyen a estimé que les manifestations qui ont précédé ce ‘’coup d’Etat militaire’’ montre une nouvelle fois que le peuple malien a fait le choix de marcher et d’aller de l’avant, et qu’il n’accepte plus ‘’le dictat des dirigeants qui ont complètement trahi l’Etat et les idéaux pour lesquels ils ont été élus, à l’instar d’IBK’’.
En effet, pour Y en a marre, la crise qui secoue aujourd’hui le Mali n’est que la conséquence visible des fléaux qui rongent silencieusement bon nombre d’Etats de la sous-région. Ces maux ont pour noms : ‘’Une corruption qui touche toutes les sphères de l’Etat et de la société, une mal gouvernance assumée où la famille présidentielle fait la pluie et le beau temps, une économie informelle, une démocratie de façade, un pays divisé et totalement dépendant de l’aide internationale pour sauvegarder sa souveraineté.’’
À cet effet, pour Fadel Barro et Cie, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) devait accompagner ‘’cette forte volonté du peuple malien’’ et aller de l’avant, estimant qu’elle était bien informée de toute la faillite du système politique administratif et de gouvernance qu’il y avait sous le régime d’Ibrahima Boubacar Keïta. Sous cet angle, Y en a marre s’est indigné de la décision de la CEDEAO consistant à fermer les frontières des Etats voisins du Mali membres de ladite communauté et l’arrêt de tous les flux financiers et commerciaux, à l’exception des produits de première nécessité ou de lutte contre la Covid-19.
L’un des porte-paroles du jour, Saliou Ndiaye, déclare : ‘’La CEDEAO avait l’opportunité d’arrêter ces dérives, pour avoir observé les dernières élections législatives. Mais elle ne l’a pas fait. Aujourd’hui encore, au lieu d’accompagner le peuple malien dans ses choix, l’institution sous-régionale cherche à sanctionner les populations en leur imposant un embargo. C’est inadmissible.’’ Et d’ajouter : ‘’Le mouvement Y en a marre condamne, sans réserve, les décisions malheureuses d’imposer un embargo et des sanctions économiques prises par les chefs d’Etat de la CEDEAO contre le peuple malien qui a tant souffert contre la mal gouvernance de ses élites politiques. Car il est important de s’assurer que la population malienne ne soit pas encore plus affectée par cette situation.’’
Les membres du mouvement citoyen demandent ainsi à la CEDEAO de privilégier le dialogue pour une voie rapide de sortie de crise et d’accompagner le peuple malien dans sa volonté légitime de chercher les solutions à la grande crise multisectorielle qui paralyse l’économie de leur pays et maintient les populations dans une ‘’précarité absolue’’. Ils engagent le président Macky Sall dans cette voie, en appellent également à la solidarité panafricaine et à la mobilisation de toutes les forces vives africaines pour une solution qui correspond au peuple malien.
Appel au boycott
Cette conférence de presse était également un prétexte pour dénoncer ‘’l’ultra-dominance de la société Orange sur le marché des télécoms’’. Une question qui est revenue suite à la décision qu’avait prise la société de téléphonie d’augmenter ses tarifs. Et cette hausse a suscité une forte opposition des consommateurs qui ont saisi l’Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) à travers une plainte.
Y en a marre a demandé à l’Etat du Sénégal de lancer un processus qui vise à rendre la Sonatel à nouveau forte. Ce, ‘’pour qu’on puisse avoir une souveraineté’’ dans le domaine des télécoms. On a connu la Sonatel qui a été un fleuron de l’économie qui a commencé même à se développer, à aller jusqu’au Mali. On a des ressources humaines capables de continuer à travailler à travers la Sonatel pour que l’Etat soit plus fort que France Télécom à travers Orange’’, a expliqué Aliou Sané. ‘’Nous lançons les ‘Talatay Orange’ qui commence ce 1er septembre’’, a déclaré Seydina Diallo.
‘‘Talatay Orange’’ consiste à boycotter tous les produits et services d’Orange chaque mardi. Au-delà de ce boycott, en attendant d’aller dans des regroupements ‘’massifs et pacifiques’’ que le contexte de la Covid-19 ne permet pas, Y’en a marre a appelé les Sénégalais à désigner dix représentants des consommateurs pour qu’ils déposent mardi prochain une lettre de contestation aux différents sièges d’Orange’’, a-t-il fait savoir.
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3 QUESTIONS A FADEL BARRO
‘’Il faut du temps pour la médiation au Mali’’
Comment appréciez-vous ce qui s’est passé au Mali ?
Ce qu’il faut dire d’abord, c’est dans quelles conditions l’armée a pris le pouvoir au Mali. Et qu’elle est l’histoire récente du Mali par rapport à son armée. Il y a la dictature militaire de Moussa Traoré qui avait pris le pouvoir vers 1968. Puis les militaires ont repris le pouvoir pour organiser une petite transition. A la suite d’élections transparentes, Alpha Oumar Konaré est arrivé au pouvoir. Après lui, Amadou Toumani Touré est revenu au pouvoir par les urnes. Mais de quelle manière ? Tout le monde se rappelle qu’Alpha Konaré avait décidé qu’il sera remplacé par Amadou Toumani Touré.
Quand ATT est arrivé au pouvoir, la corruption ne s’est pas arrêtée, les aspirations qui ont poussé les Maliens à se débarrasser de Moussa Traoré sont revenues de plus belle, au point que le pays s’est retrouvé divisé. Il y a eu l’attaque des djihadistes qui ont pris le pays. Puis, il y a eu un autre coup d’Etat militaire, et à la suite d’élections, IBK est arrivé au pouvoir. IBK s’est inscrit dans la même trajectoire que Moussa Traoré, que ATT…
Aujourd’hui encore, les militaires ont repris le pouvoir ; la CEDEAO s’est empressée à imposer un embargo en disant qu’il faut qu’IBK revienne au pouvoir. Mais qu’est-ce qui se passe ? Faut-il qu’on continue avec des solutions ‘’taff yenguel’’ pour encore organiser des élections très rapidement sans s’assurer de l’effectivité de la démocratie, des institutions viables, toutes les conditions réunies pour avoir des élections ? N’est-ce pas que la CEDEAO avait observé les élections législatives au Mali ? Le M5 est né pour contester ces élections législatives où le président IBK et son fils Karim ont tout fait pour annuler les votes et faire passer leurs amis au détriment des citoyens qui ont été élus. Mais les gens oublient que l’un des principaux opposants dans ce pays est entre les mains des djihadistes. Tout le nord du Mali est coupé. Le Mali est un semblant d’Etat.
Qui s’en occupe ? Est-ce que la CEDEAO ne doit pas s’arrêter sur ce point ? Parce que même les élections qui sont en train d’être organisées ne seront ni représentatives ni démocratiques, si une partie du pays ne vote pas. Mais la CEDEAO continue d’affamer le peuple malien. Et 65 % de ce que consomme le peuple malien vient du Sénégal d’abord, ensuite de la Côte d’ivoire, puis de la Guinée. Tout est importé au Mali. Si on prend la Nationale 1, on se rend compte qu’il n’y a même plus d’embouteillage, parce qu’il n’y a plus les 300 camions maliens qui passaient tous les jours. Nous qui prenons l’axe Dakar - Kaolack le ressentons. A plus forte raison les populations maliennes qui commencent à avoir des problèmes de carburant. Ce pays est occupé par des armées. Mais on veut encore faire à la va-vite les choses. Moi, je pense qu’il faut prendre le temps pour la médiation, régler les vrais problèmes et ne pas aller vers des solutions hâtives.
Etes-vous en contact avec la société civile malienne ?
Le leadership de Y en a marre à travers l’Afrique a fait qu’on est toujours en contact avec plusieurs pays africains. Dans le cas du Mali, nous avons tout le temps des amis comme l’activiste Ras Bath, Master Soumy (qui dirige Les Sofas de la République ça suffit). Il faut comprendre le contexte malien et les contestations qu’il y a eu. Ce n’est pas un mouvement de citoyen nouveau. C’est un mouvement qui s’est cristallisé autour d’un imam (Dicko) qui, lui-même, est un acteur politique qui avait soutenu IBK et qui ne le soutenait plus. Et qui, après ces élections-là, a décidé de mener le combat surtout qu’il n’y avait pas de leader. Le M5 s’est formé donc autour de l’imam Dicko, qui est aidé par les partis politiques de l’opposition et une partie de la majorité qui était avec IBK.
Ainsi, on n’a pas été directement en contact avec le M5, mais avec des organisations qui ont le même ADN que nous. Et nous continuons à voir des contacts au Mali, parce que Y en a marre ne voit pas seulement des Maliens, il voit des Africains.
Allez-vous vous prononcez sur la question du troisième mandat au Sénégal ou vous attendez que le président se détermine clairement ?
Le troisième mandat appartient aux Sénégalais. Macky Sall, ce qui lui appartient, c’est une candidature. Nous allons laisser ceux qui parlent parler de leur candidature. Mais nous les Sénégalais, nous serons prêts, le moment venu, pour savoir quoi décider, qui aura un premier, deuxième ou troisième mandat.
Pour le moment, Y en marre fait son travail de sensibilisation. Ce qui nous importe, c’est les Sénégalais qui sont en train de mourir à cause de la Covid-19 face à un Etat qui n’a même pas su distribuer convenablement l’argent que les Sénégalais ont collecté. Les gens continuent à crever de faim, à faire des examens avec les pieds dans l’eau, croupir dans les inondations. Y en a marre s’inscrit dans les questions de fond.
BABACAR SY SEYE