Publié le 16 Jul 2021 - 03:06
SERIGNE FALLOU DIENG, PRESIDENT DU CERCLE DES INTELLECTUELS SOUFIS

‘’Nous ne sommes pas contre l’adoption des nouvelles lois sécuritaires…’’

 

Plus de deux semaines après l’adoption, par l’Assemblée nationale, de la modification du Code pénal et du Code de procédure pénale, l’équilibrage entre les mesures sécuritaires et le respect des libertés individuelles et collectives est encore source de différends. Responsable du Cercle des intellectuels soufis, Serigne Fallou Dieng partage, dans cet entretien, son analyse de cette situation dans un Sénégal qu’il estime en danger, face à des tensions multiformes. Terrorisme, homosexualité, tensions politiques et sociales, apport des religieux, tout y passe, sans pour autant que l’avenir n’augure d’un long fleuve tranquille.      

 

Le Sénégal vient de modifier son Code pénal et son Code de procédure pénale pour durcir sa législation contre le terrorisme et son financement. Comment analysez-vous la portée de ces modifications ?

Je ne suis pas contre le fait que ces lois sécuritaires soient adoptées. Que cela ne soit pas seulement considéré comme une instrumentalisation politique. Nous vivons dans un contexte d’antiterrorisme universel, où les katibas (nom utilisé pour une unité ou un camp de combattants lors de différents conflits en Afrique du Nord ou dans le Sahel) prolifèrent en Afrique et poussent comme des champignons au Sahel en y pratiquant des massacres, des exactions inouïes et de cruels supplices intercommunautaires. Des katibas sont en train d’étendre leurs tentacules au Sénégal et les discours intégristes gagnent des sympathisants.

Il est normal de se lancer très tôt dans la lutte contre le terrorisme. Même si notre pays n'a pas connu d'attaques djihadistes systémiques à des intervalles réguliers, comme ce fut le cas partout ailleurs, cela n'a pas empêché que plusieurs affaires liées au terrorisme ont été traitées ces dernières années au Sénégal. Ce qui signifie qu'il n'est nullement superflu de penser à ‘’élargir la palette des infractions de financement du terrorisme et de donner une vocation plus englobante de l'infraction d'association de malfaiteurs’’, puisque le contexte impose de se départir des définitions normatives pour une meilleure intelligence, des définitions opérationnelles.

Le problème serait le fait que l'extension du domaine de l'antiterrorisme pourrait représenter une maladresse politique de ‘’surenchère sécuritaire’’ qui remet la politique au centre de la guerre. Autrement dit, pour faire valoir des desseins politiques inavoués.

L’opposition politique, la société civile, etc., dénoncent une loi liberticide. Partagez-vous cet avis ?

Puisque le dépôt tardif des projets de loi, en procédure d'urgence, a court-circuité l'obligation de concertation politique, et l'avis constitutionnel requis, cette anomalie renforce la thèse du soupçon, d’instrumentalisation politicienne d'une loi antiterroriste. ‘’La politique, c'est la guerre continue avec d'autres moyens’’ disait Michel Foucault (philosophe français né le 15 octobre 1926 à Poitiers et mort le 25 juin 1984 à Paris).

À cet ordre d'idées, je me plais de faire la citation de la très remarquée phrase du général Lecointre, Chef des armées françaises dans son pertinent article "Retour du fait guerrier" : ‘’Si la paix est difficile à obtenir en dépit de l’abnégation de nos forces armées, c’est précisément parce qu’elle ne se réduit pas à l’absence de conflits. Elle n’est acquise que lorsque la sécurité des hommes est garantie au sens large, lorsque les besoins humains essentiels sont satisfaits.’’

La loi aurait pu être appelée ‘’la loi sur le devoir de vigilance sur la captation néo-nationaliste d'un islamisme re-sentimental, qui se développe allègrement au Sénégal’’. Laquelle loi sur le devoir de vigilance qui obligerait toute association culturelle à plus de transparence dans l'origine de ses fonds.

Dans les explications offertes de cette modification de la loi, les opposants évoquent une volonté du président de la République de faire un troisième mandat. Partagez-vous cette vision des choses ?

Je pense que dans l'élaboration du texte, c'est l'esprit de la lutte antiterroriste qui a été galvaudé et gauchi par un vocabulaire politique d’un État d'exception qui serait prêt à opérer des surveillances massives, en vue d'enrayer toutes les libertés d'expression politique et citoyenne, en vue d'assurer sa survie. Toutes ces appréhensions et inquiétudes peuvent être à la fois plausibles et fantaisistes. Les Américains avaient attendu les attentats du 11 septembre 2000 pour étrenner leur Patriot Act.

Aujourd'hui, les chances de survie du président Macky Sall dépendent de sa nette compréhension de la situation.  Aucune "insurrection act" lui conférant le pouvoir de mobiliser l'armée ne serait efficace face à détermination du peuple. Aucun ‘’Cloud act mouchard’’ pour collecter les métadonnées ne serait opérationnel sans réelle puissance de reconversion politique. Seule une véritable affirmation politique pourrait le tirer d'affaire.

Aussi, les politiques doivent faire attention pour que cette question du troisième mandat ne les divise pas. On parle beaucoup des questions liées à l’élimination de Khalifa Sall et de Karim Wade du jeu électoral. Mais le plus urgent, à mes yeux, est de se pencher sur la bombe sociale que constitue cette jeunesse. Cette violence dans les discours sur les réseaux sociaux est un vrai problème. Force est de reconnaître que l'Internet est devenu une "jungle ambiante très fréquentable" (qui reflète le visage angélique du fascisme populaire) où règnent des charlatans de l'inculture qui y exercent leurs emprises idéologiques sur des jeunes moisis à l'oisiveté et au désœuvrement. Le Cercle des intellectuels soufis est d'accord sur la conservation des données de connexions par les opérateurs.  Celles-ci (l'adresse IP, la géolocalisation ou les relevés téléphoniques, etc.) sont devenues très précieuses pour les enquêteurs.

Les religieux ont joué un rôle important dans le retour au calme, après les manifestations de mars 2021. Comment voyez-vous l’évolution des choses depuis vos interventions ? Craignez-vous une deuxième vague ?

Le M2D (Mouvement pour la défense de la démocratie) et le président de la République auraient l’intérêt de suivre les sages injonctions du Cheikh Serigne Mountakha Mbacké. Ses talents de réconciliateur sont immenses. C'est un grand patriarche rompu à l'art de la médiation, un homme de Dieu, alerte et perspicace et véritable valeur-refuge politique pour l'apaisement social. Il a acquis ses lettres de noblesse dans la stabilisation et la sécurisation de l'autorité morale mouride.

Je dois aussi dire qu’autant j’étais à fond dans le mouvement M23, autant je ne cautionne pas le M2D. Pour moi, ils sont dans l’excès. Ils ne détiennent pas le monopole de la vérité. Je ne suis pas du tout d'accord avec la machine ‘’Sonkolais’’. Je ne suis pas un militant de l’APR. J’insiste juste sur le fait que chacun devrait savoir raison garder et œuvrer pour le maintien de la paix sociale.

Je ne suis pas complaisant de la tyrannie politique de Macky Sall qui applaudit ses foucades politiques et fausses certitudes. Je sais que tous prémices d'une guerre civile sont observables au Sénégal : un État républicain défaillant laxiste ; la montée des revendications communautaires, la rhétorique incendiaire ; la révolte sociale ; la fracture ethnique, etc. Malgré les bravades sans consistance du général Moussa Fall, Haut-Commandant de la gendarmerie et Directeur de la Justice militaire, la menace se dessine, en mon sens, en pointillé. Les masses se préparent à la confrontation.

Pensez-vous qu'une menace de tensions sociales nous guette encore plus qu'une menace d'attaque terroriste ?

Une attaque terroriste dépend de la porosité des frontières et de la défaillance du système de renseignements. Et malheureusement, il y a une nette contre-performance dans les deux domaines. Des antennes d’autres puissances courtisanes qui rivalisent avec la France sont bien installées au Sénégal. L'Etat, malgré la rhétorique martiale, ne maîtrise pas la corruption sécuritaire au niveau des entrées de nos frontières. Je ne stigmatise pas la nationalité, mais je sais que des personnes estampillées rouges sont entrées. Je sais très bien ce que je dis. Le gouvernement doit redoubler de vigilance dans la surveillance des frontières.

Les Sénégalais ne préparent que la confrontation. Le M2D, mouvement de promotion de la vertu morale, n'encourage plus les Sénégalais à obéir aux sages injonctions des khalifes généraux, mais à n'accepter que sa propre vérité. Quitte à utiliser les forces des biceps. Le rôle du khalife général des mourides, et de tous les khalifes généraux, est très important pour baisser les tensions. C’est aussi le moment pour les confréries de se souder pour mieux contrer toute division, si une crise survient. Le gouvernement de même que l’opposition doivent être plus responsables et tenir un langage de vérité.

L’affaire Sweet Beauté a été un aveu de faiblesse de la justice qui n’a pas pu s’exercer comme elle se doit. Elle a capitulé devant la pression de l’Exécutif et devant la pression populaire. Cela pourrait conforter la thèse du complot contre l’opposant. Cette impasse est quelque chose de dangereux. Ajoutez à cela le fait que des associations essayent de forcer le gouvernement à criminaliser l’homosexualité pour constater que nous baignons dans une ambiance de désobéissance. De plus en plus de Sénégalais pensent désormais qu’ils ne pourront bénéficier d’acquis que dans la désobéissance.

Le débat sur l’homosexualité reprend de plus belle au Sénégal, depuis l’épisode de l’atelier organisé à Saly par l’Unesco. Quelle posture devrait adopter l’Etat du Sénégal, face aux pressions internationales qu’il peut subir pour légaliser l’homosexualité ?

Sur cette question, le Cercle des intellectuels soufis appuis la posture de l'État. Le Sénégal est très attaché à ses valeurs traditionnelles ancestrales qui n’accepteraient de se plier aux oukases de fiertés, ni aux injonctions de reconnaissance politique ou de promotion sociale LGBT. La promotion de l'homosexualité est incompatible avec nos valeurs traditionnelles et croyances religieuses qui nous recommandent de nous défendre de toute compromission ou pusillanimité en faveur de ce fléau social.

Seulement, le Cercle des soufis préfère la répression juridique dévolue à l'Etat républicain au lynchage populaire et rafle social de nature à créer des troubles sociaux.

Dans cette lutte contre l’homosexualité au Sénégal, il y a un peu d’hypocrisie. Cette pratique déviante semble avoir un soubassement culturel et des ressorts sociaux au Sénégal. Dans certaines cours de grandes familles, des homosexuels entourent les épouses de dignitaires sociaux pour faire le "yébi" (la distribution des téranga honorifiques conjugaux). On n’en parle pas. On n’acceptera jamais l’homosexualité, mais je partage la position du président de la République Macky Sall sur la question. Il ne la favorise pas. Et nous devons faire attention et mettre l'État devant ses responsabilités afin d'en finir avec ce fléau.

Donc, laissons l'Etat faire son travail. Il n’y a point de débat fécond sur la question.

Certaines figures de la société civile et les mouvements de lutte pour la préservation des valeurs pointent du doigt le genre comme raccourci utilisé pour pervertir notre société à travers l’école. Partagez-vous cette vision des choses ?

Le gouvernement du Sénégal doit illico presto arrêter l’introduction et l’expérimentation dans l'école sénégalaise d’exercices relevant des séquences pédagogiques de la théorie du genre. Cette idéologie peut être source de tensions. C’est une initiative que l’on a appelée, en France, l’ABCD de l’égalité (programme d'enseignement français proposé par Najat Vallaud-Belkacem, alors Ministre des Droits des femmes) et dont l'objectif est de lutter contre le sexisme et les stéréotypes de genre. Une de ses plus ferventes opposantes de ce programme est l’enseignante Farida Belghoul qui dénonce, en 2013, une ‘’théorie du genre’’, met en garde les parents contre les ‘’cours d'éducation sexuelle avec démonstration dès la maternelle’’, et autres peluches en forme d'organes génitaux). Cet ABCD satanique représente la dernière aberration. D’ailleurs, Il a soulevé de réelles levées de boucliers en France avec ‘’la manifestation pour tous’’. Il est en train d’en faire pire au Sénégal avec ce que je pourrais appeler une ‘’rébellion pour tous’’. Le Cercle des intellectuels soufis appelle instamment l'État à annuler ces programmes pour garantir la paix sociale.

La date des élections locales a été arrêtée au 23 janvier 2022. Avez-vous des ambitions pour une commune à Touba ?

Le Cercle des intellectuels soufis est un mouvement de réflexivité intellectuelle, morale spirituelle ésotérique. Nous comptons, sous la bannière d'une coalition, nous investir sur le plan local pour briguer un mandat de conseiller municipal ou de conseiller départemental à Mbacké. Notre organisation est un mouvement citoyen et d’action civique. Notre mission consiste à nous impliquer pour réconcilier le code socioculturel aux règles de justice de la République. Il est temps d’effacer les incompréhensions entre les Daara et la République. Lorsque les premiers nommés pensent que le gouvernement est le représentant des francs-maçons, la République estime que les Daara ne sont plus adaptés, dans leur fonctionnement, aux temps modernes.

Lamine Diouf

 

Section: 
DÉTENTION ET MISE EN CIRCULATION DE FAUX BILLETS DE BANQUE : Quand un change de 2 000 euros brise une amitié et mène à la prison
KAOLACK - DÉSENGORGEMENT DE LA VOIE PUBLIQUE : Les occupants de l’avenue John Fitzgerald Kennedy déguerpis
LANCEMENT NEW DEAL TECHNOLOGIQUE : Le Gouvernement décline sa nouvelle feuille de route
GAMOU DE GASSANE : Les difficultés de la commune partagées
And Gueusseum
Lutte contre l'insécurité Dakar
CHAVIREMENTS RÉCURRENTS DE PIROGUES DE MIGRANTS : Boubacar Sèye accuse la Tunisie et l’Europe
MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DE L'ACTION SOCIALE : Un audit du personnel révèle des irrégularités
PORTRAIT DE MONSEIGNEUR ANDRÉ GUÈYE, NOUVEL ARCHEVÊQUE DE DAKAR : Un clerc au service du dialogue interreligieux  
LUTTE CONTRE LA MORTALITÉ MATERNELLE ET NÉONATALE : RÉDUCTION DES DÉCÈS ÉVITABLES : Investir dans la santé des jeunes, selon la présidente de l’ANSFES
PORTRAIT DE BABACAR FAYE, DG DU SIRN : Un expert des études topographiques et géodésiques
KAOLACK -  JOURNÉE NATIONALE DE L’ÉLEVAGE : Les promesses de Diomaye Faye aux éleveurs
CODE PASTORAL, POTENTIEL GÉNÉTIQUE DU CHEPTEL, VOL DE BÉTAIL… : Ce que les éleveurs attendent de Bassirou Diomaye Faye
Vigile trafiquant
Maire de Rufisque
Complexe Mouride
SAES
LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE ET LA CORRUPTION EN AFRIQUE La Bad et Interpol conjuguent leurs forces
DÉBATS D’IDÉES ET RENCONTRES - “SYMBIL ET LE DÉCRET ROYAL” : Fatimé Raymonde Habré lève le voile sur la traite arabe
ACCUSÉS DE LIENS AVEC UN GROUPE TERRORISTE : Deux commerçants sénégalais acquittés