TAS charge le Gouvernement
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Après le dépôt de sa proposition de loi inhérente à l'amnistie et son bref face-à-face à l'Assemblée nationale avec le Premier ministre, Thierno Alassane Sall n'en finit pas d'animer le débat public. À l'occasion d'une conférence de présence, le député et président de la République des valeurs est revenu plus largement sur les sujets brûlants de l'heure.
C'est quand il est chaud qu'il faut battre le fer. Thierno Alassane Sall ne le sait apparemment que de trop. Tel un forgeron dévoué à la tâche, il enchaîne les coups sur le métal rougeoyant. Le président de la République des valeurs (RDV), tenant apparemment le bon bout, ne lâche plus le gouvernement actuel. “Le pays tout entier retient son souffle : l'alternance si désirée, si chèrement payée et obtenue avec panache va-t-elle, après seulement 11 mois, virer au cauchemar éveillé ?”, s'interroge d'entrée le parlementaire. Persévérant sur cette lancée, il évoque tout simplement la récente sortie du chef du gouvernement. “La dernière intervention du Premier ministre à l’Assemblée nationale, annonçant encore plus d’austérité dans un pays si désespéré que ses jeunes tentent l'aventure ‘Barça ou Barsax’, a créé la sidération dans l'opinion’’.
Selon le leader de la RDV, cette situation était prévisible. Ainsi, il a d'abord évoqué “l'accouchement chaotique de l'Agenda 2050” qui, selon lui, n'est qu'un ramassis de “pages blanches pour les années 2025 et suivantes’’. Il souligne l'incohérence de donner “rendez-vous en 2029, voire en 2050”, tout en faisant fi du présent (2024 et 2025), dans la mesure où les “souffrances des Sénégalais sont insoutenables”.
En d'autres termes, le député préconise la prise en compte des besoins actuels avant de se projeter.
Le paradoxe de la dette
Lors de sa conférence de presse, TAS a soulevé ce qu'il qualifie de “contradictions sur la dette”. Car nonobstant “tous les discours sur son poids excessif, l'État est contraint de contracter de nouveaux emprunts records : 4 574 milliards F CFA cette année”. Il donne des détails sur ce point non négligeable : “Le service de la dette publique, qui représente désormais 40 % des dépenses budgétaires. Il atteint un niveau vertigineux de 3 855 milliards F CFA pour la seule année 2025. Cela signifie que le gouvernement doit mobiliser en moyenne 321 milliards F CFA par mois pour rembourser la dette du régime précédent’’, a dit Thierno Alassane Sall. Sans omettre le fait que la “masse salariale” de la Fonction publique augmente de façon vertigineuse.
Ainsi, Thierno Alassane Sall souligne qu’il manque une ‘’analyse sérieuse prenant en compte les régimes de privilèges. Le Premier ministre s'attaque indistinctement aux médecins”, laissant de côté les “bénéficiaires de fonds communs et autres arrangements entre amis”.
Dans ce même ordre d'idées, il fustige les “licenciements massifs, sans approche concertée ni alternatives viables, touchant des milliers de nos concitoyens”. Cette façon de faire contraste, à en croire TAS, avec l'abondance de l'emploi annoncée par le nouveau régime. Ce constat, d'après l'élu du peuple, fait “planer la menace d’un chômage plus grave encore avec le plan de rigueur annoncé’’.
L’amnistie : une manœuvre d’impunité
Ce rendez-vous avec les journalistes était aussi pour l'homme politique de revenir sur une “autre question brûlante de l’actualité” : la loi d'amnistie et la proposition de loi relative à son “abrogation”. “Elle n’était ni un acte sincère ni une démarche responsable au service de la réconciliation nationale. Elle visait plutôt à garantir l’impunité à des individus ou entités, ajoutant ainsi aux crimes commis, un crime impardonnable pour une société”, commente-t-il.
Se permettant un petit jeu de mots, TAS, parlant d’“amnésie forcée”, laisse entendre que la mouvance présidentielle, pourtant largement majoritaire à l'Assemblée nationale, fait semblant d'oublier cette promesse électorale. “C’est pourquoi nous avons déposé un projet d’abrogation totale de cette loi. Car la justice ne se balaie pas sous le tapis. Parce que la mémoire des victimes et des blessés ne se marchande pas. Les faits sont encore vivaces dans nos mémoires et le resteront pour toujours. Et la demande de tout un peuple pour la vérité et la justice s’intensifie, comme en atteste la réaction massive à la proposition de loi d’abrogation”.
Toujours par rapport à l'amnistie, le parlementaire reste dans l'incompréhension à propos de l'attitude du Pastef, après l'introduction de sa proposition de loi. “Après mon initiative, conformément aux engagements de la coalition Senegaal Kese, l'opinion observe, sidérée, la réaction du Pastef. D’abord, de hauts responsables du parti au pouvoir, députés de surcroît, ont tenté de nier le droit à tout autre député de déposer une proposition de loi visant à abroger l’amnistie”. Monsieur Sall d'ajouter que “face au soutien massif de l’opinion et à l’incrédulité suscitée par cette posture politicienne, Pastef a changé de tactique : ils prétendent désormais que deux propositions de loi auraient déjà été déposées”. Mais selon Thierno, ce dernier postulat est “faux”, car tout simplement, si cela était le cas, on aurait eu droit à des “commentaires et autoglorifications de Pastef’’. En définitive, sur cette question de la loi d'amnistie, son abrogation, souligne l'ancien ministre, allait permettre d'éviter cette opacité autour des indemnisations. “Pendant ce temps, des indemnisations sont versées en toute discrétion. Qui décide de ces compensations ? Sur quelles bases ? Dans un pays sérieux, seule la justice serait compétente pour statuer. Mais ici, ce sont des officines administratives sous la coupe de Pastef qui décident qui doit être indemnisé et à quel niveau. L’opacité aurait été totale si certains militants frustrés n’avaient pas éventé l’affaire”.
Interpellé sur la question, Thierno Alassane Sall n'a pas hésité à s'attarder sur le sujet de l'homosexualité. “Il y a déjà un projet de loi sur la criminalisation de l’homosexualité au Sénégal déposé à l’Assemblée nationale. Pourtant, quand ils étaient dans l’opposition, même durant les campagnes électorales, locales et législatives, ils s’étaient proclamés les seuls à s’opposer à l’homosexualité et nous autres, c’est-à-dire le reste des députés, étions supposés être pour”, a argué le parlementaire.
Tout comme avec l'amnistie, TAS invite la majorité à presser le pas. “De toutes les façons, s’ils n’agissent pas rapidement, d’autres s’en occuperont. Nous n’acceptons pas l’homosexualité et nous sommes prêts à tout pour son éradication dans ce pays”, conclut-il.
“Quelle République !”. L'interrogation initiale de TAS finit par laisser la place à cette exclamation. “Un régime pris à son propre piège. Ce qui est cynique dans cette affaire, c’est que ce régime a bâti son ascension en dénonçant les pratiques qu’il applique aujourd’hui avec la même brutalité. Il dénonçait l’opacité ; il gouverne dans l’ombre. Il prônait la justice ; il protège aujourd’hui l’impunité. Il promettait la rupture ; il recycle les méthodes du passé”, décline ainsi, M. Sall, le triptyque qui va mener le “Sénégal vers un avenir incertain”.
Mamadou Diop