Un serpent de mer

Malgré les milliards injectés dans le secteur depuis plusieurs années, le Sénégal, qui s'apprête à accueillir la plus grande plateforme africaine sur les systèmes alimentaires, fait presque du surplace en matière agricole. Des experts reviennent, de manière non exhaustive, sur les causes de l'échec.
À quelques jours des délais fixés par le Premier ministre, il y a quelques semaines, en Conseil des ministres, l'heure est au grand déploiement chez les services de l'État. Objectif : faire mieux que la campagne précédente, décevante dans l'ensemble, malgré les moyens énormes déployés par le gouvernement, pour un cout global estimé à 120 milliards F CFA. Tout en saluant une “dynamique positive”, le PM constatait, pour le déplorer, des défis structurels. Il relevait, dans ce cadre, “la persistance de la faiblesse des rendements de la culture arachidière, particulièrement lors de la précédente campagne de production agricole’’.
Selon lui, les causes de cette contreperformance particulière de l’année précédente méritent d’être analysées.
Pourtant, sur l'enveloppe de 120 milliards injectée par le gouvernement qui venait d'être installée, une bonne partie était destinée à la campagne arachidière. Mais ce problème de la baisse des rendements, d'après plusieurs acteurs, ne concerne pas que l'arachide. C'est une problématique qui touche globalement les sols, surtout dans certaines zones comme le bassin arachidier, au centre du pays. Elle explique en grande partie les raisons des multiples échecs des politiques publiques agricoles.
La question a été abordée, hier, lors d'une rencontre organisée par l’AFSF (Forum africain sur les systèmes alimentaires), en prélude au sommet qui va se tenir du 29 aout au 5 septembre prochain à Dakar.
Pour l'ingénieur des travaux agricoles El Hadj Malick Sagne, l'État a intérêt à prendre à bras le corps cette problématique. “J'ai l'habitude de le dire. Cela ne sert à rien d'injecter des dizaines de milliards à coups de subventions, sans mettre en place les prérequis. Tant que le gouvernement continuera dans cette logique, beaucoup de milliards seront injectés, mais les résultats seront minimes. C'est comme si on jetait les milliards par la fenêtre”, lance-t-il, impuissant.
EL Hadj Malick Sagne, ingénieur des travaux agricoles : “Cela ne sert à rien d'injecter des dizaines de milliards sans les prérequis.”
Parmi ces prérequis, il y a effectivement, selon lui, le problème de rendement des sols. La solution, pense-t-il, se trouve en grande partie dans la recherche et l'État devrait davantage accompagner les chercheurs pour prendre en charge ce défi comme tant d'autres. “Je dois dire que beaucoup de travaux ont déjà été réalisés sur cette thématique due notamment aux mauvaises pratiques agricoles, à la salinisation dans certaines contrées. Sur toutes ces questions, il y a des travaux hyper-importants. Mais souvent, ils dorment dans les tiroirs. Il y a un vrai problème par rapport à la valorisation des recherches. Parfois, c'est d'autres qui viennent en profiter et c'est regrettable”, regrette M. Sagne, qui invite ses collègues jeunes chercheurs à aussi oser. “Je pense que les techniciens doivent orienter leurs recherches sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Malheureusement, souvent, ce sont des organisations étrangères qui viennent financer les projets de recherche et naturellement, c'est par rapport à leur vision, à leurs besoins, pas forcément les nôtres. C'est une tendance que nous devrons renverser, si nous voulons aller vers plus de souveraineté”, préconise le fondateur de Cactus Innovation.
Le défi de la formation, du rendement et de la valorisation des recherches
Mais pourquoi donc cet échec récurrent des différents régimes successifs, malgré les sommes importantes injectées dans l'agriculture ?
De l'avis d’’Amath Pathé Sène, directeur général du Forum AFS -même s'il ne veut pas entendre parler d'échec - il faut plus miser sur la science, être plus méthodique, pour prendre en charge efficacement les problèmes. Sur le rendement, par exemple, il explique : “Tout le monde constate que c'est une réalité. Il faudrait donc voir ce qu'on doit faire pour augmenter le rendement. Quand tu ne le fais pas correctement, il sera difficile d'avoir les résultats escomptés. Il faut aussi prendre tous les maillons de la chaine, si l’on veut réussir à atteindre notre objectif d'autosuffisance. S’il y a un maillon qui manque, tu peux ne pas avoir les résultats.”
Très optimiste, le directeur exécutif du Forum estime qu'il n'y a aucune raison que le Sénégal ne puisse matérialiser cette ambition, d'autant plus que des pays comme l'Ethiopie l'ont réussi.
Parlant des autres maillons de la chaine, les experts ont beaucoup insisté également sur la formation des paysans. Selon El Hadj Malick Sagne, l'État seul ne saurait réussir le pari. C'est la conjugaison de politiques publiques bien articulée et l'engagement des producteurs qui font le travail sur le terrain qui pourrait aider à relever le défi. Ce qui rassure avec les nouveaux gouvernants, selon lui, c’est l’approche coopérative. “Cela vient à son heure. Parce que, quoi qu'on puisse dire, à la fin de la journée, ce sont ces producteurs qui pourront faire cette autosuffisance alimentaire. Pas les agrobusinessmans. Maintenant, il faut les accompagner par rapport à la formation, leur faire comprendre que l'agriculture, ce n'est pas seulement un moyen de subsistance de dernier niveau comme beaucoup le pensent”, plaide-t-il non sans souligner la réticence à toute innovation non éprouvée dans le monde rural.
El Hadj Malick d'inviter ses collègues à investir la terre pour donner l'exemple, au lieu de rester dans les bureaux.
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CAMPAGNE AGRICOLE 2025-2026
Les opérateurs attendent toujours le paiement de la dette
Après une première campagne 2024-2025 mitigée, le gouvernement, qui va vers sa deuxième campagne, n'aura cette fois aucune excuse. Et il semble en être bien conscient. Déjà, au mois d'avril, le Premier ministre a tenu un conseil interministériel et avait donné des instructions fermes. “J’engage le ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Élevage, en relation avec le ministre des Forces armées, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, le ministre des Finances et du Budget, à prendre toutes les dispositions requises pour le démarrage effectif de la distribution des intrants en quantités et en qualité à partir du 25 avril 2025'', avait-il lancé.
À ce jour, on n'a pas encore connaissance du lancement effectif de cette campagne de distribution, même si des sources confient que les semences sont déjà disponibles. “Il ne resterait que la circulaire qui fixe les modalités”, précise Aly Diaw, responsable CNCR dans la région de Kaffrine. Pour l'engrais, la circulaire fixant les prix a été prise en fin avril, mais là aussi, il faudrait attendre pour la distribution effective. L'urgence, selon M. Diaw, c'est surtout de prendre en charge la dette due aux opérateurs pour leur permettre d'engager la nouvelle campagne sous de bons auspices. “Le Premier ministre avait pris l'engagement ferme de solder la dette de 2024-2025, avant le lancement de la campagne 2025-2026. Ce serait une bonne chose, parce que si la dette n’est pas épongée, les opérateurs pourront difficilement travailler. Parce que l’opérateur contracte un prêt au niveau de la banque et finance la campagne. S'il ne rembourse pas la banque, non seulement il paie des pénalités, mais aussi il ne peut pas engager une autre opération”, avertit-il.
Par ailleurs, souligne Aly Diaw, également président du Réseau national des coopératives de producteurs de semences certifiés, la plus grande inquiétude, c'est l'absence de moyens pour le producteur. “Il faut savoir que l'État ne fournit que 10 % environ des besoins du paysan. Le reste, il l'achetait. Mais vu les contreperformances de l'année dernière, beaucoup de producteurs auront du mal à acheter des intrants. C'est ma plus grande préoccupation pour cette campagne”, prévient l'opérateur qui souligne également les quantités très faibles de semences certifiées.
Rappelons qu'en ce qui concerne l'engrais, le PM avait instruit à ses ministres de tout faire pour le rendre disponible avant le 15 mai. Relativement à la dette, il demandait au gouvernement de “procéder au règlement des arriérés dus aux opérateurs privés sur les subventions entre avril et mai 2025”. Il sollicitait également l'organisation de concertations entre, d’une part, l’État et les opérateurs, et, d’autre part, les banques et l’administration fiscale, en vue de trouver des solutions à l’impact des retards de paiement de la dette de l’État aux opérateurs, en termes d’intérêts de retard imputés par les banques et de pénalités sur le recouvrement des impôts et taxes dus''.
SYSTÈME ALIMENTAIRE EN AFRIQUE Dakar accueille la crème de l'écosystème alimentaire mondial Cette année, le Sénégal va accueillir, pour la première fois de son histoire, le Forum des systèmes alimentaires africains, qui réunit chaque année des milliers d'acteurs : industriels, producteurs, organisations non gouvernementales, décideurs... D'ailleurs, les organisateurs ont annoncé que la cérémonie de lancement, qui aura lieu demain, sera présidée par le Premier ministre, en attendant le sommet qui aura lieu du 29 aout au 5 septembre. Revenant sur ce sommet, le directeur exécutif de l’AFS basé à Kigali explique : “Il faut savoir que c'est l'un des plus grands événements sur les systèmes alimentaires organisés sur le continent. Notre ambition est de réfléchir sur comment nourrir l'Afrique, mais aussi créer de l'emploi pour les jeunes et les femmes à travers le système alimentaire qui intègre tous les segments, du champ jusqu'à la table. C'est énormément d'opportunités à saisir et notre but est de mobiliser toutes les parties prenantes autour de cette ambition de nourrir l'Afrique à partir de l'Afrique.” Pour lui, avec toutes les potentialités dont elle regorge, il n'est pas concevable que les pays du continent continuent de dépendre des importations ou de ne pas tirer pleinement profit de ces matières premières. Monsieur Sène a insisté sur le rôle important que doivent jouer les médias. “Nous devons donner une image positive de notre système alimentaire. C'est très important. Vous savez : les investisseurs ne vont jamais dans un pays où l'image est négative. L'investisseur regarde d'abord le risque. Les médias jouent un rôle très important dans la définition d'une image positive. Nous devons montrer que c'est possible, qu'il y a des gens qui sont là et qui font d'excellentes choses. Et je pense que dans tous nos pays, il y a des jeunes qui font des merveilles et qui ont besoin d'être mis en exergue”, soutient le directeur exécutif du Forum. |
Par Mor Amar