Publié le 4 Mar 2024 - 10:30
VACANCE DU POUVOIR OU MAINTIEN DU PRÉSIDENT APRÈS LE 2 AVRIL

Un poisson d’avril constitutionnel

 

La volonté de Macky Sall de quitter son poste le 2 avril 2024, date de la fin de son mandat, risque de poser un vide juridique, car la Constitution n’a rien prévu concernant ‘’l'absence définitive du titulaire du mandat présidentiel en cours sans que son successeur soit élu’’. Une grande bataille juridico-politique risque d’éclater sur la notion de ‘’vacance du pouvoir’’ et la possible reprise ou non du processus élection.

 

Cette semaine s’annonce décisive, dans la crise qui secoue le pays, depuis que l’élection présidentielle a été reportée à une date à fixer. En effet, le dialogue convié par le Chef de l’Etat et auquel l’écrasante majorité des candidats retenus par le Conseil constitutionnel n’ont pas pris part (17 sur 19 candidats), a proposé la date du 2 juin prochain pour sa tenue. Le Chef de l’Etat a décidé de saisir, dès aujourd’hui, le Conseil constitutionnel pour recueillir son avis sur les propositions dudit dialogue (élection le 2 juin, le président de la République reste en poste pour gérer la période transitoire et une ‘’ouverture partielle’’ de la liste des candidats). De la réponse des 7 sages dépend la suite de ce processus électoral chaotique et inédit. Et surtout, la stabilité du pays.

Dans le même temps, le président de la République ne cesse de réaffirmer sa volonté “ferme” de quitter le pouvoir le 2 avril. Par-là, Macky Sall espère lever la contrainte constitutionnelle pour une tenue de l’élection avant le 2 avril. Mais sa stratégie de vouloir imposer une date au-delà de la durée du mandat pose avec acuité la notion de vacance du pouvoir.

Selon plusieurs juristes, au-delà du 2 avril 2024, on sera dans une impasse juridique, dans la mesure où ce cas d’espèce, marqué par la fin du mandat du président actuel sans qu’un successeur soit élu, ne s’est jamais posé au Sénégal. De ce fait, disent-ils, la vacance probable du pouvoir à partir du 2 avril 2024 va constituer un vide juridique, puisqu’aucune disposition de la Constitution ne prévoit ce cas de figure.  

Pour résoudre ce casse-tête et combler ce vide constitutionnel, la plus haute juridiction du pays, dans ses fonctions de ‘’pouvoir régulateur’’, peut faire une interprétation de l’article 36 alinéa 2 de la Constitution. ‘’Le président de la République en exercice reste en fonction jusqu'à l'installation de son successeur’’ et demander au chef de l’État de rester avec tous les attributs.

Alors que, dans un autre cas de figure, les sept sages pourraient indiquer que la perte de mandat du président actuel peut être interprétée comme un cas d’empêchement et ainsi demander au président de l’Assemblée nationale de prêter serment pour assurer l’intérim de 60 à 90 jours. Le Conseil constitutionnel pourrait s’appuyer sur l’article 31 qui prévoit : ‘’Si la présidence est vacante par démission, empêchement définitif ou décès, le scrutin aura lieu dans les 60 jours au moins et 90 jours au plus, après la constatation de la vacance par le Conseil constitutionnel.’’

Imbroglio juridique

Dans cet imbroglio juridique, le professeur Babacar Guèye, constitutionnaliste et membre de la coalition Aar Sunu Élection, nous rappelle que la notion de vacance de pouvoir se déroule dans un cas bien spécifique. ‘’La vacance ne peut être constatée que si le président Macky Sall démissionne avant 2 avril’’, a-t-il fait savoir.

Sur ce, la qualification de vacance du pouvoir rejaillit aussi sur le débat autour du maintien ou non du processus électoral. D’après Sidiki Kaba, ministre de l’Intérieur, si le président quitte ses fonctions à la date du 2 avril, le processus électoral doit être repris, avec la réouverture à toutes les candidatures. ‘’Soit le conseil dira qu’avec l’article 36/2, le président de la République ne peut pas partir, vous allez rester pendant deux mois, pour que vous puissiez remettre la clé au président qui sera démocratiquement élu. Ou bien, le Conseil constitutionnel constate qu’il y a vacance de pouvoir et c’est le président de l’Assemblée nationale qui devient automatiquement président de la République’’, a fait savoir le premier policier du pays.

De leur côté, le professeur Meïssa Diakhaté, agrégé en droit public, et Cheikh Omar Diallo, docteur en science politique, dans une contribution largement diffusée dans la presse, intitulée ‘’Le Sénégal face à la vacance inédite de la fonction présidentielle’’, soulignent que ‘’juridiquement, la reprise du processus électoral ne serait possible qu’en cas de ‘fin anticipée’ de la durée du mandat présidentiel provoquée par la démission, l’empêchement définitif ou le décès. Le pouvoir est expressément dévolu au président suppléant’’.

Le Pr. Guèye d’ajouter qu’en cas de fin du mandat du président actuel et de nomination d’un président de transition, ‘’on ne sera pas obligé, dans ce cas, de reprendre tout le processus électoral’’.

Dans la même dynamique, Abdou Aziz Mbodj, enseignant en droit à l’université Alioune Diop de Bambey et chargé de communication du Parti républicain pour le progrès (PRP), précise que cet intérim n’aura aucun impact sur le processus électoral validé par le Conseil constitutionnel et qu’il n’appartient pas à l’Exécutif de remettre en cause tout le processus électoral. ‘’Il s’agira, pour le Conseil, d’organiser la suppléance, en cas de départ de Macky Sall. La seule chose qui va changer, c’est la dissolution du gouvernement et le conseil pourra évoquer l’article 40 qui limite les fonctions de son successeur. De ce fait, les secrétaires généraux des ministères seront chargés d’exécuter les affaires courantes’’, ajoute-t-il.

Y a-t-il un dilemme pour les candidats retenus par le Conseil constitutionnel ?

À travers, ce chiffon rouge agité par le régime de Macky Sall, on semble vouloir poser un dilemme aux 19 candidats appelés à choisir entre les propositions du dialogue national qui préconisent la préservation des droits acquis et une ouverture partielle de la liste des candidats retenus par le Conseil constitutionnel ou bien aller vers une reprise totale du processus avec un saut vers l’inconnu.

Un moyen, donc, de fracturer le bloc républicain qui réclame toujours la tenue de l’élection présidentielle avant le 2 avril 2024, avec la liste déjà validée par le Conseil constitutionnel. Alors que les différents blocs des candidats recalés veulent s’en tenir aux conclusions du dialogue préconisant une révision de la liste des candidats leur offrant une chance de revenir dans la course.

MAMADOU MAKHFOUSE NGOM

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