Une relation ambivalente
Dans ses relations tumultueuses avec le PDS, Macky Sall semble le seul maitre du jeu. Il décide. Wade subit. Retour sur quelques signes de dégel sans lendemain qui ont eu à émailler ces relations depuis 2012.
C’est un nouvel épisode dans la longue série Wade-Macky. Elle aura duré plus de 10 ans avec parfois des rebondissements spectaculaires qui laissent le public désabusé. Aujourd’hui, seuls les spectateurs les plus futés osent encore donner des prédictions sur l’issue de ce film, dont l’intrigue même semble ignorée de tous, sauf du scénariste, celui qui tire les ficelles. Est-ce Wade ou Macky ? S’agit-il d’une entente murement réfléchie ou d’un jeu de dupes entre le père et le fils ‘’putatif’’ pour parler comme l’autre ? Difficile de répondre à ces interrogations. Une chose est sûre, depuis le début de cette affaire, c’est Macky Sall qui décide. Wade, Karim et Cie subissent, bon gré mal gré.
Ce mardi 22 février 2022 s’est jouée, à Diamniadio, une étape sans doute très importante pour la suite de ce feuilleton qui n’en finit de tenir en haleine le landerneau politique sénégalais depuis des années. C’est l’épisode 1er de la toute nouvelle saison. Pour la quatrième fois au moins depuis 2012, les ‘’frères ennemis’’ semblent enterrer la hache de guerre.
Adeptes des scénarios les plus dingues, certains n’avaient pas manqué de miser sur une présentation surprise de l’exilé de Doha, Karim Wade, au stade qui porte désormais le nom de son père. Mais le scénariste a sans doute préféré maintenir le suspense autour de ce retour tant guetté. Dans tous les cas, certaines sources annoncent des contacts entre l’actuel chef de l’Etat, seul maitre du jeu et le fils de son prédécesseur, Karim Wade. Est-ce le début de la fin ? Macky Sall semble le seul à détenir la réponse.
Depuis le début, ce dernier fait danser à son prédécesseur et ex-mentor politique au rythme de sa musique. Réputé fin politicien, le Président Wade semble impuissant et désarçonné face aux manœuvres de son ancien apprenti ; qui tient entre ses mains l’avenir politique de son fils. L’on se rappelle encore le retour tonitruant de Wade à la veille de la dernière élection présidentielle de 2019. Sans doute très remonté, ce dernier promettait ‘’l’enfer’’ aux tenants actuels du régime. Il est allé jusqu’à menacer d’empêcher la tenue des élections en faisant bruler les bulletins le jour du scrutin, si le candidat de son parti, par ailleurs son propre fils, n’est pas autorisé à participer aux joutes électorales.
Promesse d’une amnistie pour Karim : une chimère ?
Alors que tout le monde s’attendait à un Mortal Kombat, un troisième larron a surgi de nulle part pour bouleverser toutes les certitudes. C’est le Président guinéen Alpha Condé qui avait reçu Wade et avait permis de décanter la situation. Macky avait encore triomphé sans trop se compromettre. De retour de son bref séjour à Conakry, Wade renonce à son projet funeste et s’engagea à laisser les Sénégalais aller aux urnes. Selon certaines informations, il avait obtenu de Condé la promesse de faire des démarches pour l’amnistie de son fils, si Macky obtient un deuxième mandat.
D’ailleurs, le pape du Sopi avait préféré garder une posture tout aussi ambiguë à l’occasion de ces élections, au moment où presque tous les candidats de l’opposition attendaient qu’il s’implique activement pour abréger le règne de Macky Sall à la tête du Sénégal. L’histoire a montré que la supposée promesse d’une amnistie est devenue une chimère. Seul Maitre du jeu, Macky Sall a encore préféré envoyer son ex mentor balader.
Il a fallu attendre le mois de septembre, avec l’inauguration de la grande mosquée Masalikul jinaane, pour voir les deux hommes se rencontrer officiellement. Grâce à l’intervention personnelle du khalife général des mourides Serigne Mountakha Mbacké. Dans la foulée de cette inauguration, il y eut une autre rencontre, cette fois au palais de la République entre les deux hommes politiques. Sept ans après avoir quitté le Palais, Wade y retourne et a droit à tous les honneurs de la part de son successeur. ‘‘Au cours de leur entretien, signalait la déclaration conjointe, les deux hôtes ont fait un large tour d’horizon de la situation politique nationale caractérisée par les questions relatives au processus électoral, au statut du chef de l’opposition qui seront reprises dans la cadre du dialogue national. Le président Abdoulaye Wade a fait des recommandations au président Macky Sall pour qu’il déploie tous les efforts nécessaires à la maitrise de la gestion du pétrole, du gaz et des autres ressources naturelles’’.
Déjà, avec cette visite, certains pensaient en avoir fini avec ce film qui à leurs yeux n’avait que trop duré. Hélas, on était encore très loin de l’épilogue. Selon certains responsables du PDS, Macky Sall en est le seul responsable car il avait promis à Wade de lui rendre visite, mais il n’a jamais tenu parole. C’était le dernier acte majeur jusqu’à l’inauguration du stade Maitre Abdoulaye Wade.
Auparavant, il y a eu le dialogue national de 2016 qui avait abouti à la libération controversée de Karim Wade. A l’époque, l’actuel président du Conseil économique social et environnemental n’avait pas hésité à parler de ‘’deal international’’, sous la dictée de forces étrangères. ‘’Karim Wade, affirmait Idrissa Seck, n’a pas été libéré, il a été livré à ce donneur d’ordre international. Sinon comment comprendre qu’un citoyen sénégalais gracié soit remis à des forces étrangères nuitamment, en catimini, à bord d’un jet privé ? S’il était libre, il commencerait par aller embrasser ses trois filles orphelines d’une mère qui ne l’ont pas vu depuis quatre ans, aller saluer son père et sa mère, présenter ses respects à son guide religieux, le Khalife général des Mourides, et remercier les nombreux sénégalais Karimistes qui l’ont soutenu’’.
Pour Idrissa Seck, il ne faisait l’ombre d’aucun doute. Macky Sall obéit à des donneurs d’ordre internationaux dans le dossier Karim Wade et avait fini de transformer le Sénégal en une République bananière, vassale de forces étrangères. Dans la foulée de cette libération, beaucoup espéraient un retour prochain du fils de Wade, mais ce vœu ne s’est jamais réalisé. Pour sa part, le PDS a toujours invoqué un ‘’exil’’ pour justifier l’absence de son candidat. Là également, tout semble dépendre du président de la République.
Traque des biens mal acquis
Au cœur de ces relations tumultueuses, il y a le dossier de la traque des biens mal acquis qui avait mené à la privation du fils de Wade de ses droits civiques et politiques. A la suite de la chute du régime de son père, Karim Wade a été accusé d’enrichissement illicite. Alors qu’il était à l’étranger, il est rentré pour répondre à la convocation de la justice sénégalaise. En Avril, il est inculpé et placé sous mandat de dépôt, avant d’être jugé et condamné pour six ans en mars 2015. Il a finalement bénéficié d’une grâce présidentielle en 2016, après avoir purgé 3 années en prison.
Au-delà de ce dossier Karim, les Wade ont également été traqués jusque dans leurs derniers retranchements par l’actuel régime qui les a accusés, notamment de vol de tableaux au Palais, de voitures, entre autres.
Par ailleurs, si toutes les initiatives se sont jusque-là soldées par des échecs, il convient de souligner que le contexte a nettement changé par rapport aux années précédentes. En sus d’un Président qui en est à son dernier mandat, la percée de l’opposition lors des dernières élections, l’élan de solidarité nationale qui règne depuis la victoire des lions à la CAN 2022 pourraient militer en faveur d’une remise dans le jeu électoral de Karim Wade tout comme de Khalifa Ababacar Sall.