Publié le 30 Nov 2012 - 12:58
POUR DE MEILLEURES CONDITIONS DE TRAVAIL

Les employées de maison prêtes à décréter un mouvement de grève

 

Elles sont prolixes quand il est question de cracher leur venin sur leurs employeurs. Tous se valent à leurs yeux. Les domestiques ou employées de maison ont convenu de faire monter les enchères... Ce, pour bénéficier d'un minimum de respect.

 

Elles ont su se faire désirer à l'approche de la fête du mouton ou ''Tabaski''. Elles sont décidées à se maintenir dans cette dynamique jusqu'à ce qu'elles sentent qu'elles sont appréciées à leur juste valeur. ''Nous ne sommes pas des esclaves. Nos employeurs doivent prendre conscience de cette réalité. Nous pensons qu'il serait bien de décréter au moins 3 mois de grève, afin que nos patrons nous rétribuent à notre juste valeur''. Élisabeth Faye, un peu plus la quarantaine, exprime avec colère une volonté affichée par ses autres collègues établies à Mermoz Polytechnique. Elles sont près d'une vingtaine à s'être installées à cet endroit dans l'attente d'un employeur qui soit plus ''humain''. Toutes se disent prêtes à suivre le mot d'ordre de la doyenne. Et pour cause, elles déclarent être fatiguées du mauvais traitement dont elles sont victimes en exerçant de leur « noble » métier.

 

Elles refusent un salaire de moins de 40 000 Fcfa!

 

Du coup, elles ne sont pas du tout pressées de retrouver leur lieu de travail qui dégagerait des allures de prison dorée. Elles jugent le volume de travail trop énorme, comparativement à leur salaire très en deçà de leur rendement. ''Nous étions obligées de faire preuve de résignation jusqu'à la fête de ''tabaski'' pour assurer les dépenses occasionnées par cet événement. On a atteint le summum et on est à la quête de meilleurs patrons'', confie l'une d'elles, Amina Tendeng, rencontrée à Mermoz. Et comme si elles s'étaient fait passer le mot, les employées de maison exigent un salaire qui puisse leur apporter au moins un réconfort moral. Elles n'entendent plus toucher moins de 40 000 F Cfa par mois. «À juste raison», clament elles à l'unanimité.

 

Une panoplie de raisons est avancée, allant de la hausse du prix du loyer, aux factures d'électricité et d'eau de plus en plus salées. «Nous avons plusieurs charges, le renchérissement du coût de la vie doit inéluctablement être suivi d'une augmentation de salaire. Cela va de soi», tonnent des domestiques rencontrées à Liberté 6 et à Mermoz. Mais là ne se limitent pas leurs revendications. L'une des raisons qui justifie une telle position : le traitement inhumain doublé d'agressions verbales qui caractérisent leur quotidien. Et dès que ce point est soulevé, les mots se bousculent sur les lèvres.

 

«Nous ne sommes pas des esclaves» !

 

Elles deviennent toutes expansives, la voix pleine d'amertume, de rancœur contre ces «patrons» pour la plupart des personnalités, des ministres, des directeurs de banque ou des membres de l'élite sociale qui les traitent comme des esclaves. «Nous jugeons qu'un salaire de 40 000 F est dérisoire pour le boulot d'esclave qui nous est assigné. Ils emploient une seule personne pour laver les enfants, les amener à l'école, s'acquitter de tous les travaux ménagers, la cuisine, le linge.... Nous n'avons aucun moment de répit. Ils nous prennent pour des robots qui doivent être à leur service 24h sur 24», peste une des travailleuses domestiques, Seynabou Diouf, la trentaine, rencontrée à Mermoz, qui porte par ailleurs la voix de ces collègues. Au fur et à mesure qu'elle décrit leur atmosphère de travail, d'autres voix s'élèvent, plus «révoltantes». «Parfois, on est si épuisé que nous tombons malades. Nous assurons seule notre prise en charge médicale avec nos maigres moyens. Nous réclamons un meilleur salaire pour pouvoir également nous payer à manger. Car dans ces maisons luxueuses où nous servons d'esclaves, nous sommes privées de la nourriture que nous préparons en quantité.»

 

Seynabou ne termine pas sa phrase que sa collègue Amina Tendeng renchérit. ''On peut, par exemple, préparer du poulet bien assaisonné pour le repas sans y goûter, on nous donne du lait caillé à la place, ou alors on nous demande de réchauffer des plats qui sont dans le frigo, depuis Mathusalem... C'est irrespectueux !» Ces diatribes sont pour autant confortées par des témoignages des «bonnes à tout faire» rencontrées à Liberté 6 où elles ont élu leur siège. Toutes disent vivre le martyre dans ces foyers qui sont, de façade, un nid douillet. Vu qu'elles sont contraintes d'exécuter toutes les tâches, allant même jusqu'au linge des caleçons de l'époux de leur patronne ; elles trouvent leurs revendications légitimes. «C'est vers moi que se dirige le patron quand il ne retrouve plus ses caleçons... Vous ne pouvez imaginer ce que l'on endure dans ces maisons...»

 

Les mêmes discours, les mêmes arguments. «Les miens raffolent par exemple de fruits. Ils me chargent de les laver, de les servir, mais je puis vous dire que je n'y ai jamais goûté. Pensez-vous qu'ils ont de la considération pour nous ? ». Et les complaintes d'aller crescendo chez cette catégorie socioprofessionnelle qui tire à bout portant sur «les riches» qui sont d'une telle arrogance. «Nous sommes loin d'être des esclaves ou imbues de nos personnes. Nous tenons à exercer notre profession dans la dignité, dans le respect de nos droits.» Soda Sène et Fatou Mbodj, trouvées à Liberté 6, essaient de justifier ainsi la «cherté» de leurs services . «Nous ne sommes pas si exigeantes que nos compatriotes le pensent. Nous sommes exploitées pour des broutilles. Car c'est inhumain d'embaucher une seule bonne pour l'entretien d'une maison avec toutes les tâches ménagères y afférentes. On finit toujours par craquer, en raison d'un rythme de travail intenable. Même quand on doit prendre nos congés, nous préparons plusieurs repas à l'avance. Qu'ils mettent la main à la poche ou alors ils vont devoir trouver d'autres alternatives», soulignent Soda Sène, Fatou Mbodj et d'autres bonnes de Liberté 6....

 

 

10 000 F par jour ?

 

Elles ont su alimenter toutes sortes de commentaires chez les employées de maison pour avoir eu l'audace de réclamer 10 000 F par jour pour services rendus. Du coup, elles ont récolté des quolibets venant de tous bords. «Ñii dañu fuuy, elles se croient indispensables», fulmine Nabou Mbaye, qui a dû, de guerre lasse, retrousser les manches. Elle n'est pas la seule à n'avoir pas eu la chance de dénicher une domestique qui lui donne un coup de pouce, à l'approche de la « tabaski ». Et pour cause, «elles exagèrent», fulmine-t-elle. Des bonnes auraient refusé de mouiller leurs tenues sans un « salaire » de 10 000 F Cfa par jour. Interpellées, les travailleuses domestiques de Liberté 6 ont toutes balayé du revers de la main ces «allégations». «Ce n'était pas un prix fixe. Il fallait marchander», disent-elles à l'unanimité.

 

Leur responsable Sodiba Samaké, qui a eu l'initiative de les réunir sur ce site depuis 97, embouche la même trompette, sans pour autant chercher à les blanchir. «Vous n'êtes pas sans savoir que la veille de la fête de tabasaki entraîne chaque année une saignée des travailleuses domestiques. Vu qu'elles n'ont pas voulu être employées, pour être virées au retour des bonnes, elles ont tenu à exercer comme journalière moyennant 3000 à 5000 F par jour.» Pour Sodiba Samaké, ce sont des «employeurs» désorientés par le volume des tâches ménagères, qui leur proposaient 10 000 F Cfa par jour, mais dit-il, «leur prix était raisonnable».

 

En effet, de par son riche carnet d'adresses, le vieux Samaké s'est lancé dans cette brèche en vue de faciliter une insertion socioprofessionnelle à ces centaines de filles venues du monde rural. Il estime que «ses protégées» ne sont pas si exigeantes que le laissent croire certains esprits....Bien au contraire, elles ne font que réclamer leurs droits à un meilleur traitement salarial, tout en essayant de marcher sur ses traces. L'homme, qui a accepté de sortir de l'ombre, excelle dans ce secteur depuis 1974. «A l'époque, vu que j'étais gardien d'une école privée, j'avais eu la chance de tisser des relations avec les parents d'élèves, je me chargeais de leur trouver des bonnes. Suite à ma retraite, j'ai décidé d'en faire un métier.» Le téléphone du vieux ne cesse de «crépiter», à croire que les demandes prennent le dessus sur l'offre. Un créneau bien rentable pour Samaké qui perçoit une commission de 2000 F par «bonne».

 

On souffre mais....

 

«On ressent lourdement l'absence des bonnes. Je suis aux prises avec des douleurs de reins. J'avoue que je souffre, mais je ne dépasserais pas un salaire de 30 000 F Cfa ». Cette position affichée par une jeune secrétaire de direction fera peut-être fléchir les «travailleuses domestiques» qui réclament de plus en plus des salaires de 50 000 F pour joindre les deux bouts. Éprouvées par l'obligation de s'acquitter au quotidien des tâches ménagères parallèlement à leurs activités professionnelles, bon nombre de «maîtresses de maison» se sont décidées à retrousser les manches pour ne pas céder au chantage de ces domestiques qui «se croient, à tort, indispensables». «Elles ont besoin d'emploi pour survivre, elles baisseront les prix, après la fête de tamxarit et le retour de celles qui s'étaient rendues au village pour les besoins de la tabaski». Mme Anna Ba n'est pas la seule à entretenir cette conviction.

Mariama B, un agent du ministère de l'Intérieur, estime qu'il faut éviter d'accorder trop d'importance à cette catégorie socioprofessionnelle. «Elles ne disent pas vrai, lorsqu'elles se plaignent de mauvais traitements sur leurs lieux de travail. Elles sont malignes, elles trompent leur monde.» Et d'ajouter : «elles ne travaillent pas convenablement, veulent le beurre et l'argent du beurre. Elles passent leur temps à charmer le mari de leur patronne....».

 

Matel BOCOUM

 

 

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