Entre débauche, prostitution et misère
Pendant deux jours, notre reporter s'est faite passer pour une domestique en quête de travail, au rond point de Liberté 6, à Dakar. Durant 48 heures, elle a fait immersion dans ce monde bien particulier, assise (mais pas perdue) au milieu de jeunes filles, et souvent des dames, abonnées au calvaire, dépendantes d'intermédiaires et de ''clients'' sans scrupule et impitoyables. Elle a écouté, échangé, appris et retenu bien des éléments que EnQuête vous livre dans cette édition. Reportage au milieu de ces femmes que l'on dit pourtant indispensables à certains ménages...
Des arachides pour tromper la faim
À 14h, les ventres commencent à crier famine. Les filles de notre groupe n'ont visiblement pas les moyens de se payer un repas valable, même si des gargotes bon marché se trouvent à proximité. Des vendeurs d'arachides grillées et de crèmes glacées ambulants feront l'affaire. Chacune des filles s'est servie chez un des jeunes vendeurs, certaines pour 50 francs, d'autres pour 100 francs. Une des filles habitant Fatick s'est exclamé, quand le vendeur lui a tendu la valeur de 50 frs d'arachides. Pour faire passer les arachides, elles se sont contentées de crème glacée (50 francs), et le tour est joué.
''Le mépris'' des voisins
A l'heure de la prière du ''Tisbar'' (NDLR : 14h), les filles musulmanes pratiquantes ont voulu sacrifier à leurs obligations. Mais le hic c'est qu'il faut qu'elles trouvent un endroit où faire leurs ablutions, voire leurs besoins. ''Depuis quelques temps, c'est comme si les habitants d'en face s'étaient passé la consigne, ils refusent de nous laisser utiliser leurs toilettes par mépris'', confie une jeune fille à la forte corpulence. De fait, elles se rabattent sur la station de service du rond point Liberté 6 où le manque d'eau et d'hygiène se poserait presque tout le temps dans les toilettes. ''C'est de la méchanceté, on dirait qu'ils ne sont pas des musulmans et des humains'', se défoule une autre fille, voile sur la tête. C'est finalement le vulganisateur d'à côté qui est venu au secours des pieuses, en leur passant un bidon d'eau pour les ablutions. La prière se fera sur un espace aménagé spécialement pour les besoins.
''Ma patronne m'enfermait dans la cuisine dès que...''
Dans le lot des domestiques, se trouve une fille belle, à la peau dépigmentée. De taille fine, elle s’habille plutôt tendance, avec harmonisation de couleurs. Très joviale, elle confie ne jamais durer dans une maison. Pourquoi? Elle éclate de rire et narre : ''La dernière patronne que j'ai eue m'enfermait dans la cuisine dès que son mari klaxonnait, et m'ordonnait de rentrer chez moi dès que celui-ci montait dans leur chambre. Elle avait peur que je le lui chipe. Je n'ai jamais vu son mari et dès qu'elle m'a payé le seul mois que j'ai travaillé là-bas, j'ai pris la poudre d'escampette et je suis revenue ici''. L'anecdote suscita moult commentaires ponctués de rires à gorges déployées. La beauté en rajoute une couche, sentencieuse : ''C'est sûr que cette femme-là n'a pas confiance en elle, et donc elle avait aussi peur de moi. Elles sont toutes pareilles, elles ne savent pas bien s'occuper d'un homme et sont jalouses.'' S'ouvre un concours de mésaventures vécues. ''Moi, je passais la nuit chez ma patronne, mais quand je dormais, il est arrivé qu'elle me réveille pour que j'aille chercher, dans la cuisine au rez de chaussée, de l'eau à boire pour elle et son mari. J'en ai eu assez et je suis partie, je ne suis l’esclave de personne'', dit l'une des chercheuses d'emploi. Notre première journée s'achève sur ces anecdotes. Il fallait rentrer et revenir le lendemain.
Prostitution
Le lendemain, même lieu, même routine, ou presque. La veille n'a pas été très abondante en moisson, puisqu'elles ne sont pas nombreuses à avoir décroché un travail. Alors que l'on papote toujours sur les mêmes sujets, on aperçoit une femme élégante en boubou bleue en train de deviser avec la gérante de la gargote d'à côté. Non, elle n'est pas à la recherche de domestique, elle est candidat. ''Regardez-là, on dirait une patronne qui cherche une bonne alors qu'elle est comme nous. Avec cet habillement, les dames qui viennent ici ne vont pas la prendre, au risque de se voir voler leur mari. En fait elle est chaque jour là avec nous, mais cherche un autre type de travail'', cafte une des filles dès que la femme, qui a attiré tous les regards, a tourné le dos pour aller rejoindre son groupe de copines. ''Ici, il y a des filles qui viennent pour se prostituer et se mêlent à nous. C'est malheureux, puisqu'on nous met tous dans le même sac, les filles qui recherchent du boulot rentrent vers 17 heures au plus tard, mais celles qui sont là pour autre chose restent là jusqu'à 21 heures. Les hommes qui travaillent dans les parages comme vulganisateurs, mécaniciens ou autres, viennent solliciter leurs services, la passe varie de 2000 à 5000 francs'', lâche une fille qui en sait apparemment un bon bout.
Enfin, une proposition de travail
Revenues de notre étonnement suite à ces révélations, nous avons enfin l'occasion de marchander avec une dame, bien assise dans sa belle voiture. ''Elle cherche une bonne qui passe la nuit et qui n'aura qu'un jour de repos tous les 15 jours. Cela vous intéresse?'', me jette un des intermédiaires. Nous nous sommes empressées d'aller discuter du prix. ''Je te propose 35000 francs, tu devras préparer le repas et faire le ménage'', lance la dame. Nous avons réclamé, en retour, un salaire de 50.000 francs pour toutes ces tâches. ''Si tu te comportes bien et que ton travail me satisfasse, je t'en donnerai plus. Mais pour le moment, c'est tout ce que je peux faire, ce sont les 35 000 francs'', tente d'amadouer la dame. Le désaccord est constaté, nous faisons place à une autre fille, très jeune, pour négocier. Certaines ''collègues'' de circonstance nous félicitent d'avoir rejeté l'offre de la dame: ''Heureusement que tu as refusé sinon, une fois chez elle, rien n'aurait changé, elles ne tiennent jamais leurs promesses.''
Soudain, un intermédiaire s'écrie: ''Une dame cherche une bonne, elle travaille à l'hôpital de Saint-Louis et paie 60.000 francs. Si quelqu'une est intéressée, qu'elle aille tout de suite faire ses bagages, car le voyage est prévu pour demain matin à 5h du matin.'' Personne ne bouge, pas de volontaire. Puis des murmures: ''60.000 francs c'est bon, mais on ne veut pas quitter la capitale, elle est plus attrayante.'' Même avec la routine et des arachides comme déjeuner.
KHADY FAYE
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