"Ñuul Kukk", des citoyens en campagne contre la dépigmentation
Au Sénégal, un mouvement citoyen s'est créé en 2012 pour réclamer le retrait d'affiches vantant un produit censé éclaircir la peau noire "en 15 jours": la mobilisation ne faiblit pas pour lutter contre la pratique de la dépigmentation, notamment via les réseaux sociaux.
Tout a commencé quand, entre août et septembre 2012, sont apparus à Dakar de larges panneaux publicitaires d'un produit cosmétique baptisé "Khess petch", expression en langue nationale wolof signifiant "Toute blanche"."Action rapide", "résultats en 15 jours", peut-on lire sur ces panneaux illustrés d'un tube de crème décapante et de deux photos d'une jeune femme: noire "avant", très claire "après" dépigmentation, pratique appelée localement "kheessal" (blanchiment). "Ca nous a scandalisés", l'affichage "sous-entendant que le Noir n'est pas beau puisqu'il suggère aux jeunes femmes de se transformer en 15 jours!", affirme à l'AFP Aisha Dème, responsable du portail culturel Agendakar. com.
"En réplique spontanée, on a voulu sublimer la femme noire et on a lancé +Ñuul Kukk+, qui veut dire +tout noir+ ou +toute noire+", ajoute cette jolie et longiligne jeune femme à la peau foncée, arborant une fleur dans son abondante chevelure crépue. Résultat: d'autres affiches, montrant cette fois une superbe femme noire, ont fait leur apparition dans Dakar. Un travail réalisé "gracieusement" par le photographe de mode Stéphane Tourné et des professionnels de la publicité.
La campagne Ñuul Kukk est animée par des personnalités locales, dont les célèbres Keyti (rappeur) et Dior Lô (styliste), mais aussi la militante des droits des femmes Kiné Fatim Diop et la dermatologue Fatimata Ly, qui mène la lutte contre le "khessal" depuis dix ans au sein de l'Association internationale d'information sur la dépigmentation artificielle (Aiida). Les animateurs du mouvement sont très actifs sur Twitter, ont lancé une pétition qui a été bouclée fin septembre après avoir recueilli plus de 1. 600 signatures en moins d'un mois. Ils ont créé un site (http://www. nuulkukk. com) et une page Facebook. Pour Fatimata Ly, il s'agit d'une question de santé publique car "dans la population générale, sur 100 femmes, 67 pratiquent la dépigmentation artificielle. "
Etre blanche pour être "belle"
Le phénomène existe dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne et au sein de la diaspora noire. Au Sénégal, "c'est essentiellement une pratique féminine" même si on la retrouve chez les hommes "dans certains groupes particuliers, notamment chez les artistes", selon Mme Ly. Les crèmes, laits ou gels éclaircissants contiennent des substances initialement destinées à un usage thérapeutique - des corticoïdes, de l'hydroquinone par exemple - devant être prescrites par un médecin. "Malheureusement, on peut les trouver sur tout le marché sénégalais. Ce sont des produits qui sont très accessibles" et plutôt abordables, "entre 1 et 1,5 euro", soit cinq à six fois moins cher qu'en pharmacie, se désole Mme Ly.
Ces produits réduisent la capacité de l'organisme à "se défendre face aux infections" diverses, ils ont aussi "des effets généraux sur la santé comme le diabète, l'hypertension artérielle", poursuit-elle. Sur un ordinateur, elle fait défiler des photos montrant les ravages causés par ces produits: jambe enflée, tuméfiée ou avec une plaie béante, peau tachetée, brûlures, vergetures. . . Aucune des femmes "se décapant" la peau, n'a souhaité s'exprimer auprès de l'AFP, mais selon leurs témoignages rapportés par des études ou des médecins, l'objectif est de se faire "belles".
"La société d'aujourd'hui nous impose des critères de beauté. (. . . ) Tout le monde met en avant les femmes de teint clair: journaux, magazines, clips", constate Aisha Dème, selon laquelle la campagne Ñuul Kukk est devenue "un combat pour la santé". "Ce que nous prônons aujourd'hui, c'est juste d'arrêter la dépigmentation. Qu'on arrête d'importer ces produits, de les vendre, qu'il n'y ait plus de publicité aussi scandaleuse", dit-elle. "Ca va prendre le temps qu'il faudra, ça va être long, mais il faut se battre. "
Jeuneafrique