La menace X
Les rayonnements ionisants, une expression évidemment très peu familière au Sénégalais lambda. Communément appelés ''rayons X'', du reste invisibles, utilisés dans les différents types de radiographie, ils constitueraient une menace pour des Sénégalais. La faute à des cabinets d’imagerie médicale qui fleurissent, notamment à Dakar, sans respecter les normes de sécurité requises. Le cancer en est l'un des plus grands méfaits.
Au début du mois de janvier, le professeur Ndèye Arame Boye Faye, Directrice de l’Autorité de radioprotection et de la sécurité nucléaire, tirait la sonnette d’alarme. Des cabinets d’imagerie médicale, qui poussent comme des champignons dans la capitale sénégalaise, violent les normes de sécurité et exposant des Sénégalais aux rayonnements ionisants, source de cancer.
Même si, selon les techniciens de la santé, ''nous sommes (tous) exposés quotidiennement à de faibles doses de rayonnements ionisants qui proviennent de nombreuses sources naturelles telles l’air, les rayonnements cosmiques, les matériaux de construction, l’eau, les aliments''. Mais c'est sans commune mesure avec la menace que constitueraient les contaminations, plus dangereuses, d'une installation anarchique de cabinets d’imagerie médicale. Lesquels, pour la plupart, ont comme champs d’intervention la chirurgie dentaire, l’échographie, le scanner, l’imagerie à résonance magnétique, la radiologie, etc. Selon les explications du professeur Arame Boye Faye, Dr d'État en physique atomique, le risque viendrait de ce que nombre de cabinets ne s’assurent guère de précautions pour protéger le public, le voisinage, les patients et les travailleurs.
Des compatriotes médusés !
Interpellés, des Sénégalais roulent les yeux effarés face à de telles révélations. Ils ignorent, dans leur grande majorité, ce qu'est l'imagerie médicale, à fortiori les rayons X ou rayonnements ionisants. Aly Diouf, qui évolue dans la communication, confie : ''J'entends souvent les mots ''radiographie'' mais je dois dire que je n'y connais pas grand chose.'' Quid des impacts sur la santé ? ''Aucune idée'', répond-il benoîtement. Oumar Ndao, économiste, frise le ridicule : ''Ce mot renvoie, pour moi, à kinésithérapeute. C'est uniquement ce que j'en sais.'' Dans la banlieue de Dakar, des populations installées non loin du cabinet de radiologie et d’imagerie médicale, en face de l’Hôpital général de Grand-Yoff (Hoggy), ne donnent pas l'air de prendre conscience des risques auxquels ils seraient quotidiennement exposés.
Des praticiens démentent
Si elles ne surprennent pas, les accusations du Pr. Arame Boye Faye contrarient les médecins intervenant dans ce secteur, dont la majorité dément et sous le couvert de l'anonymat. De l'avis de M. Fall, Major dans une célèbre clinique de la capitale sénégalaise, ''des dispositions ont toujours été prises pour canaliser les rayonnements ionisants dans les différentes structures de santé.'' Il avance que ''les cabinets d'imagerie médicale sont toujours installés avec le matériel de sécurité requis. C’est une obligation du fournisseur des équipements médicaux. Souligner que ces cabinets d’imagerie médicale sont pourvoyeurs de maladies, de conséquences néfastes sur la santé des populations, c’est exagéré''.
Et d’ajouter que ''les murs ont une certaine étanchéité qui empêche les rayons de les traverser. Tous les sites sont protégés car nous sommes conscients que les gens sont exposés à ces radiations qui sont souvent à l'origine du cancer ; elles ont la propriété de modifier les cellules puisqu'elles s’installent de façon anarchique''. Il fait savoir que ''ce n’est pas fortuit si on interdit aux femmes enceintes de s’aventurer dans les salles de radiologie en raison des rayons ultra violets qui s’y dégagent. Ils peuvent être sont sources de malformations pour l’enfant''. Mais il tient à rassurer encore : ''Tout dépend de la puissance des appareils radiologiques. Il ne faut pas perdre de vue que le personnel porte un tablier en plomb pour se protéger des rayonnements ionisants. Des mesures ont été prises pour que ces rayons ne traversent pas les murs qui sont d’une certaine étanchéité. Toutes les structures respectent la réglementation, même si le risque zéro n’existe pas. Il est déconseillé de s’aventurer dans une zone où il y a la possibilité de radiation.''
Dans plusieurs cliniques et cabinets visités par EnQuête, c'est l'omerta sur la question qui semble délicate. Au cabinet de radiologie et d’imagerie médicale, situé en face de l’Hôpital général de Grand-Yoff, un médecin trouvé sur place ne veut piper mot sur le sujet. Il recommande de nous rapprocher du radiologue attitré. Du bout des lèvres et avec des phrases brèves, celui-ci soutient d’emblée se démarquer de médecins capables de compromettre la santé des populations, notamment du personnel ou des patients. ''J’ai toujours respecté les normes et règlements. Je n'ai jamais eu écho d'un tel état de fait (négligence dans les installations des cabinets). Rapprochez-vous de l’ordre des médecins'', dégage-t-il. Au sein de cette association, c'est un mur de silence aussi, comme si le sujet, d’une grande sensibilité, dérange au plus haut niveau. Aucune réaction n’a pu être enregistrée en dépit de nombreuses sollicitations de notre part.
Pour sa part, le Dr Thioune, responsable d’un cabinet de radiologie et d’échographie en centre-ville de Dakar, s’insurge contre les propos de Mme Ndèye Arame Boye. ''C’est faux, archi faux !'', tonne-t il. ''Les rayons sont certes dangereux mais pas à ce point. La dame exagère. Les normes sont les mêmes dans tous les pays… On utilise les rayons partout pour l’imagerie. Nous faisons de la radiologie depuis 30 ans, jamais je n'ai entendu que nos cabinets portent atteinte à la santé des populations. J'ignore d'où elle tient ces informations mais ce sont des histoires...'' Des propos partagés par bon nombre de ses collègues.
Des techniciens alertent
Les dénégations des médecins interpellés ne sont pas du goût de la cardiologue, Mme Awa Coly, en service à l’hôpital Aristide le Dantec. Bien au contraire, elle semble émettre sur la même longueur d'onde que le Pr. Arame Boye Faye. A en croire Mme Coly, elle a eu à interpeller, en synergie avec ses collègues, les autorités compétentes sur un phénomène dont les germes promettaient d’être nocifs pour tous. C’était en 2011, sous sa casquette de membre de l’Association des techniciens de l’imagerie médicale (ATIM). En fait, cette association a toujours été révulsée par les conditions de travail de ces structures médicales qui présenteraient des manquements presqu’à tous les niveaux.
''Lors de différents congrès et ateliers, nous avions eu à exposer le problème aux autorités étatiques. Mais c’est en 2011, quand l’Autorité de radioprotection et de la sécurité nucléaire a été réactivée, que nous avons saisi, avec le concours d’autres techniciens de la santé, sa directrice, Ndèye Arame Boye Faye. La situation était critique, des problèmes existaient à tous les niveaux'', confie la cardiologue. Selon la spécialiste, ''nous avions constaté que le personnel employé dans ces services n’avait pas les qualifications requises. Il était formé sur le tas, or il devrait au moins être formé en radioprotection.
Les constructions des cabinets, leurs sites d’implantation posent également problème, de même que la structure des salles qui n’est guère conforme aux critères''. Et pour étayer son propos, Mme Coly cite le cas des travailleurs d’un grand hôpital de Dakar qui auraient absorber un taux élevé de rayons X : ''On a dû les mettre au repos avant de fermer la salle de radiologie. On attend les résultats de l’enquête qui a été ouverte dans ce sens, de même que les analyses médicales.''
Si le Dr Awa Coly, à l’instar de ses autres collègues, est montée au créneau, c’est parce que, souligne-t-elle, ''il arrive aussi que ces cabinets s’installent dans des lieux d’habitation avec des risques de radiation pour le voisinage. Lequel est exposé à des maladies dermiques qui compliquent le cancer et autres maladies y afférentes.'' Des propos corroborés par le président de l’Association des techniciens de l’imagerie médicale, qui espère que l’État du Sénégal va prendre au sérieux ce dossier. ''On avait l’impression, quand on le sensibilisait il y a quelques années, qu’il ne maîtrisait pas le domaine de l’imagerie médicale. Il le prenait à la légère. Ce serait bien que des mesures radicales soient prises'', alarme Soulèye Lô.
Matel BOCOUM
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