Publié le 21 Feb 2013 - 10:15
DANS L'ANTRE DE MBEUBEUSS

 De l''or-dur'' massif pour 1800 récupérateurs

Créée en 1975, la décharge de Mbeubeuss, nichée dans le commune de Malika, est une véritable aubaine pour plus de 1800 récupérateurs qui y officient, dans le but de subvenir aux besoins de leurs famille. En atteste les 13 millions qui sortent journellement de ces ordures et qui permettent à plusieurs parmi les récupérateurs de vivre dans le luxe.

 

''Le métier de récupérateur est un métier comme les autres, contrairement aux idées reçues indiquant qu’il n’y a pas de personnes sérieuses ici’’. Cette mise au point de Pape Amar Diallo, le Coordinateur de l’Association Bokk Jom des récupérateurs et régulateurs de Mbeubeuss, est révélatrice de l'état d'esprit des acteurs qui se meuvent au niveau de la célèbre décharge de la banlieue. Car à Mbeubeuss, opèrent des citoyens qui ont fait de la récupération leur gagne-pain. ''Dans cette décharge, renseigne Pape Amar, il n’y a que des hommes honnêtes et intègres. Des gens qui travaillent à la sueur de leur front, qui ne veulent pas mendier ni agresser, mais qui cherchent juste à subvenir aux besoins de leurs familles''.

 

À l’entrée de la décharge, le visiteur est saisi par l’odeur pestilentielle, un mélange de toutes sortes de détritus. Bientôt, il assiste à une scène saisissante qui se répétera plusieurs fois dans la journée. Dégoulinant de sueurs, à cause de la chaleur estivale, c'est la ruée des récupérateurs, à l'arrivée de l'une des nombreuses bennes à ordures qui vont défiler le long de la journée. On s'arrache les ordures comme des vautours à la vue d’une nouvelle proie, à la suite d’une longue période de privations. Ici garçons, filles, adultes, vieillards n'ont qu'un seul souci : la quête de ‘’l’or dur’’. À Mbeubeuss, s'activent des individus de différentes nationalités, armés d'un petit métal en fer courbé à l'une de ses extrémités, leur outil de travail, mais aussi munis d'un masque autour de la bouche, en guise de protection contre les microbes. Ici les matières plastiques, le bois, le fer, l’aluminium et les bouteilles vides en plastique sont les plus prisés.

 

Le business du recyclage

 

Les ordures récupérées doivent être regroupées par catégorie, avant d’être acheminées au niveau des grossistes. Ceux-ci ont pris leurs quartiers à l'entrée de la décharge. ‘’Il y a des grossistes qui ne s'arrêtent qu’à la porte de cette décharge pour récupérer les ordures et aller les revendre au niveau de certaines usines de la capitale. Ils sont plus riches et travaillent moins que les récupérateurs’’, se désole-t-on. Car au niveau de Mbeubeuss, ils sont nombreux à penser qu'il y a mieux à faire avec toute cette ordure. ''Toutes les matières et les potentialités sont là, mais le constat est qu’il y a un manque notoire de volonté politique. Des études ont établi que la décharge peut produire une capacité de 75 000 MGW de biogaz’’, déclare Pape Amar Diallo. D'ailleurs, le projet d'autoroute à péage, en cours, entend fermer et réhabiliter la décharge. À cet effet, outre le Centre d'enfouillissement technique de Diass, une usine de recyclage devrait être mise sur pied, du côté de Mbao. Elle devrait embaucher plus de 350 récupérateurs qui seront formés et outillés, avec des professionnels, pour récupérer le maximum de biogaz.

 

L'immunisation des récupérateurs

 

En effet, au niveau de la décharge de Mbeubeuss, le manque de formation des opérateurs est un handicap avec ses conséquences. Outre le manque de protection, les récupérateurs pâtissent du système de commercialisation de leur marchandise, totalement en leur défaveur. ‘’Les récupérateurs n’ont pas de gants, de bottes, de masques, ni de lunettes, ce qui les confronte à des risques sanitaires'', regrette le coordonnateur. Et pourtant, l’on serait tenté de dire que les récupérateurs sont immunisés, car des statistiques médicales de 2007 ont montré que sur les 4 900 malades reçus par le centre communautaire de santé de ladite décharge, il ne figure point de récupérateurs, mais tous sont des riverains.

 

250 enfants ont déjà été sortis de la décharge

 

La décharge de Mbeubeuss est aussi singularisée par une présence massive d’enfants de moins de 10 ans, généralement issus de familles pauvres. Toutefois, des initiatives sont prises pour les arracher de ce milieu. Ce qu'explique le coordinateur. ''Nous allons travailler avec des partenaires qui vont nous aider à trouver des extraits de naissance et, avec l’aide des directeurs d’école qui vont nous offrir des quotas, par école, ces enfants auront la chance d’emprunter les chemins des classes. Il y a plus de 250 mômes qui en ont déjà bénéficié''. Ces enfants vont bénéficier d'une bourse de 5 000 francs Cfa, par mois, qui leur permettra de prendre en charge leurs frais scolaires. À cela, s’ajoute une somme de 100 000 francs Cfa offerte aux parents, en guise de fonds de commerce. Car autrement, les enfants seront obligés de regagner la décharge. En effet, la plupart d’entre-eux justifie leur présence dans ces lieux par la difficulté des parents à subvenir à leurs besoins. Toutefois, débarrasser Mbeubeuss des enfants semble une gageure, ainsi que le laisse entendre Pape Amar Diallo. ''Si vous parvenez à retirer 250 enfants, dit-il, demain un nombre plus élevé arrivera... C'est un éternel recommencement.''

 

La presse, persona non grata

 

À Mbeubeuss, n'entre pas qui veut. Les occupants des lieux sont très méfiants vis-à-vis des ''étrangers'' qui viennent les importuner, notamment les journalistes. ''Qui vous a donné l'autorisation de venir ici ?'', s'insurge un récupérateur à l'endroit du reporter d'EnQuête. Dans le passé, raconte-t-on, des caméras de partenaires ont été brisées, car ils voulaient les filmer de force. Pour certains, il y a un enjeu à protéger : il n'est pas question que leurs familles sachent qu'ils travaillent à la décharge ! Est-ce par honte ? Non, indique l'un d'eux, ''ils veulent juste ne pas être montrés à la télé.''

 

Gaïndé Mbalitt : ''Je vais à la décharge comme un autre va au bureau''

 

La maxime populaire, ''il n’y a pas de sot métier'', colle assez bien au métier de récupérateur. À Mbeubeuss, la plupart des ''ouvriers'' sont des pères et/ou des soutiens de familles. C’est le cas de Gaïndé Mbalitt, un ''ancien'' qui officie dans la décharge depuis 2002. ''Je viens ici travailler tous les jours, comme le fait celui qui quitte sa maison pour aller au bureau. Je gagne au bas mot plus de 5000 francs Cfa par jour'', dit-il fièrement. Gaïndé Mbalitt gagne largement plus les lendemains des fêtes musulmanes et chrétiennes. À ces périodes, ''les camions déposent plus de fer, d’aluminium, de ''pets'' (bouteilles en plastique)... Pour un rien, on peut se remplir les poches, parfois même rentrer avec plus de 10 000 francs Cfa'', explique le lion des ordures.

 

La quarantaine, Abdoulaye Fall est lui aussi très actif à l’approche des nouveaux camions. ''Je suis là juste pour avoir un départ, confie-t-il, car j’ai d’autres projets. Mais, il me faudra du temps pour les réaliser.'' Ambitieux à sa manière, il a des références. ''J’ai vu d’anciens récupérateurs qui ont construit des immeubles, qui roulent dans de belles voitures, soutient-il. On ne les voit plus, car ils sont passés à autre chose depuis qu’ils ont pu rassembler beaucoup d'argent.'' Pour le moment, Abdoulaye parvient à joindre les deux bouts et mène une ''vie décente'' dans une famille où qui ''ne manque rien''.

 

La dernière nouvelle à Mbeubeuss, c'est que des hommes d'affaires auraient commencé à s'intéresser au business, tout en prenant le soin de ne jamais mettre les pieds à la décharge. Leur modus operandi : ils recrutent des intermédiaires entre eux et les récupérateurs. ''Leur rôle, c'est de financer des personnes qui font la récupération et à la fin, ils se partagent le bénéfice sans toucher aux ordures, ni mettre les pieds à la décharge'', confie-t-on.

 

 

MBEUBEUSS EN CHIFFRES  

 

475 000 T d’ordures par an, 13 millions F Cfa et 350 voitures par jour

 

Le dernier recensement qui date de 2010 indique que Mbeubeuss reçoit annuellement plus de 475 000 tonnes d’ordures, soit 1 300 tonnes par jour et 350 camions. La décharge génère une recette de 13 millions de francs Cfa, partagée entre récupérateurs, recycleurs, restaurateurs, etc. Le même recensement renseigne qu'au total, 1800 récupérateurs, dont 850 affiliés à l’Association Bokk Jom des récupérateurs et régulateurs de Mbeubeuss, travaillent au niveau de la décharge.

 

 

 

 

 

 

 

Manger au milieu des ordures

 

S'il y a une curiosité à Mbeubeuss, c'est la vente de produits alimentaires, au milieu des déchets. ''Je vends du café Touba, des beignets, des cacahuètes... Tout s'écoule comme de petits pains, car les gens ne peuvent pas quitter la décharge pour aller chercher à manger'', explique Maman Ndiaye, une dame installée au milieu de la décharge avec sa marchandise. Pour elle, aucun risque à consommer ses aliments. ''Je sais que vous allez vous dire : comment peut-on consommer de la nourriture dans ces tas d'ordures à perte de vue ?'' déclare-t-elle, avec le sourire.

 

 

CHEIKH THIAM

 

 

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