Une démarche inutile et dangereuse
La dernière sortie médiatique du distingué professeur Iba Der Thiam a pratiquement fait le buzz. Mais attention, il y a lieu de s’interroger sur l’argumentaire servi à nous autres contribuables par l’ex ''député du peuple'' reconverti ''député des patrons de presse''. Il a adressé une correspondance au Président de l’Assemblée nationale pour demander la constitution d’une Commission d’enquête parlementaire chargée de se pencher sur la fiscalité applicable aux groupes de presse, afin de l’adapter à leurs possibilités réelles. Question : l’honorable parlementaire aurait-il reçu communication des états financiers de ces entreprises de presse faisant ressortir leurs ''possibilités réelles'' pour asseoir sa plaidoirie et défendre la requête des patrons de presse devant la représentation nationale ?
La démarche du député Iba Der Thiam nous paraît assez surprenante. Jusqu’à une époque très récente, cet homme politique ne ratait jamais l’occasion de vouer aux gémonies les journalistes pour défendre son ex-allié Me Wade. Comment concevoir au moment où l’on parle de rupture par rapport à tout ce qui se faisait en matière de gouvernance surtout sous Wade - qui rappelons-le a été à l’origine de cette fameuse amnistie fiscale au profit des entreprises de presse -, qu’on puisse défendre une catégorie de contribuables sénégalais en l’occurrence ces patrons de presse, en laissant en rade d’autres branches d’activité.
Non. L’État ne peut pas laisser prospérer pareille situation. Sinon d’autres corporations dont l’utilité sociale est établie comme les notaires, les avocats, les pharmaciens, les médecins et tant d’autres seraient en droit de solliciter la clémence de l’administration fiscale, en développant si nécessaire un intense lobbying au même titre que les patrons de presse qui le font si bien avec leurs ''armes'' c'est-à-dire par leurs supports de communication (radio, télé, presse écrite).
La démarche du député Iba Der Thiam est déroutante. Il ne peut pas y avoir une fiscalité spéciale au profit d’une branche d’activité même si par ailleurs elle est considérée comme le quatrième Pouvoir. Non seulement c’est absurde mais c’est aberrant pour deux raisons fondamentales :
1. Au nom de la légalité :
Le nouveau code général des impôts s’applique à tous les contribuables puisque c’est une loi votée à l’Assemblée nationale. Donc de ce point de vue il ne peut y avoir de discrimination possible ni pour une branche ni pour une autre. Jusqu’à preuve du contraire, les contribuables sont tous égaux devant la loi et ils sont d’égale dignité.
1. Au nom de l’égalité des Contribuables :
Nous citerons deux à trois cas pour illustrer que le principe de l’égalité des citoyens devant la loi ne justifie pas une discrimination fiscale en faveur de la branche d’activité de la presse.
La TVA
La TVA collectée doit être reversée selon la procédure édictée en la matière par le CGI. En effet, comme tout acteur économique doit collecter pour le compte de l’État, la TVA et la reverser, déduction faite de la TVA déductible.
Si les patrons de presse collectent la TVA et ne la reversent pas, cela s’apparenterait à un détournement de deniers publics ou tout au moins un enrichissement sans cause.
Tant qu’à faire, l’État n’a qu’à leur couper l’herbe sous le pied et fixer une TVA à 0 % pour les organes de presse. Par ce moyen, les consommateurs vont en bénéficier et l’enrichissement sans cause sera évité.
La Contribution forfaitaire à la charge de l’employeur : CFCE
Cette contribution a comme assiette le salaire brut versé aux employés. Le fait de ne pas payer cette CFCE peut amener les Entreprises à fixer des niveaux de salaires sans commune mesure avec l’activité économique exercée ou le poste de travail occupé. Ceci brise l’égalité entre citoyens.
Les Retenues à la source Trimf et IR.
Il s’agit d’un impôt collecté sur les employés au profit de l’État ; l’entreprise n’étant qu’un intermédiaire pour le faire parvenir à l’État. Dans l’hypothèse où les patrons de presse retiennent ces impôts sur les salaires et ne les reversent pas, cela s’apparenterait à un détournement de deniers publics ou tout au moins un enrichissement sans cause.
En outre, les patrons de presse qui ne font pas preuve de civisme fiscal veulent bénéficier de l’aide à la presse. Mais d’où provient l’aide à la presse ? Bien évidemment du budget national qui lui-même est alimenté par les impôts payés par les contribuables dont les organes de presse qui aujourd’hui veulent une amnistie et un système fiscal spécial. C’est fort de café !
Pour dire vrai, on ne peut pas laisser prospérer dans un pays où on prône la rupture une situation d’inégalité fiscale. Les uns travaillent dur pour gagner leur vie et contribuer au budget de l’État en payant leurs impôts, et les autres, ceux de la nouvelle caste attendent tranquillement pour bénéficier de tous les privilèges. Ce n’est pas juste et si l’État se laisse faire ce serait une tâche noire dans la promotion de la bonne gouvernance.
Papa Ameth Diallo
Juriste d’Affaires
jahlodiery52@yahoo.fr