Pour le Livre et la Culture en général
Monsieur le Président de la République,
Nous sommes des légions à avoir assurance qu'il vous est donné, depuis le 25 de mars 2012, pouvoir de faire, pour la Culture, plus et mieux que Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Me Abdoulaye Wade, vos illustres prédécesseurs à la suprême magistrature du Sénégal. C'est une question de volonté politique, alliée à la certitude que vous détenez légalement et de façon légitime tous les pouvoirs dans la République et dans la Nation. Et parce qu'il vous faut aussi laisser, pour les générations présentes et futures, des marques qui vous survivent positivement, il semble judicieux et d'urgence plus que pressante que vous intégriez la Culture en vos domaines réservés et fassiez du livre et de la lecture en particulier autant d'enjeux et préoccupations essentielles. On le dit et les Etats-Unis d'Amérique nous y confortent : les peuples se distinguent par la manière dont leurs gouvernants prennent en charge la Culture comme question mais, surtout, comme moyen et comme lieu idéal de mise en représentation de leur(s) souveraineté(s) et de leurs patrimoines - matériel et immatériel. Pendant de longs temps, on nous a fait croire et, sur tous les tons, contraints et forcés à déclamer que d'ancêtres, pour nous, il n'y avait que des Gaulois. Cette ère est révolue mais pas tout à fait. Car, il nous faut entrer confortablement dans l'Histoire. Nous n'y serions « pas assez », dit-on. Par votre présence aux commandes, il est opportunité de corriger des lacunes, de désordonner autant de désordres intellectuels, de rattraper des rendez-vous capitaux que vos illustres devanciers ont manqués ou n'ont eu temps d'honorer. Monsieur le Président, la Culture est un domaine d'expression de nos souverainetés nationale et humaine. Usez-en pour (re)faire rayonner le Sénégal de par le monde ! Usez-en pour restituer les Sénégalais à eux-mêmes ! Nous n'avons que devoir de suggestion, c'est à vous que revient le pouvoir d'ordonner. Usez-en pour faire recouvrer à la Culture toutes se syllabes d'accueil et aux acteurs du secteur toutes raisons de se convertir à vos visions et desseins ! Cela pourrait commencer par l'édition et, singulièrement, par une adéquate promotion du livre en langue française tout autant dans les langues nationales codifiées et au nom du fait que le premier lectorat d'un écrivain c'est, d'abord, son propre peuple.
Monsieur le Président,
Voici donc une belle carte à jouer, un sublime précédent qui mériterait bien de faire jurisprudence. Ce n'est surtout pas à vous que nous apprendrons ce que le livre représente en une vie et en un destin national à accomplir : plus que nous, vous avez conscience que le livre est porteur de traditions et constructeur de futur apaisé, que le livre imagine, commémore et éduque, relate et instruit, qu'il énonce et annonce, qu'il témoigne et fait passer, distingue l'Homme de la bête. Le livre est passerelle entre hier, aujourd’hui et demain, entre nous et les autres, entre ici et l'ailleurs. Le livre est vecteur et symbole de la permanence et de la diversité de la pensée humaine, mais aussi de son universalité. Les éditeurs, les écrivains et ceux-là tous qui composent la chaîne du livre ne disent pas autre chose qui espèrent, grâce à vos pouvoirs régaliens mixés à votre générosité, voir cesser leurs misères et frustrations. Écrivains et éditeurs souhaitent vivre de leurs plumes, de leurs pinceaux et de leurs perspectives. Cela est du domaine du possible, Monsieur le Président. Il vous suffirait d'ordonner l'effectivité de la transversalité qui est l'autre signe particulier de la Culture et cela ferait du Sénégal un univers d'où l'on ne tirerait plus un (bon) livre à moins de dix mille exemplaires. Et tous vendus ! Un univers de droits d'auteurs livresques, dérivant et voisins. Il vous suffirait aussi, au nom de ce romantisme nécessaire qu'est la préférence nationale, prendre des mesures pour que les écrivains et éditeurs jouissent de ce juteux marché qu'est l'édition scolaire. Ainsi, pour sûr, vont-ils cesser de se ronger et les hardes et les sangs, comme c'est hélas le cas depuis 53 ans que le Sénégal est République. Et alors clamer à tout va que « la Culture est au début et à la fin du développement » aura du sens, aura une origine, une âme et un corps : le « Yoonu Yokkute » qui vous est parchemin et viatique ! Monsieur le Président, vos pères et aînés au faîte de l'Etat ont eu de nobles ambitions pour la Culture. Il vous revient au nom de la continuité d'achever leurs chantiers et d'en enclencher et finir de plus grands ! Pandore de sa boîte extrairait des merveilles telles celles-là : un Fonds Spécial d'aides à la création, une rentrée solennelle des Lettres et des Arts, des grands prix pour les Lettres et les Arts, une vraie Foire du livre et du matos didactique, une Biennale des Lettres, le sacre annualisé de nos Trésors humains perpétuels, des symposiums internationaux, des soirées et journées citoyennes, la rentabilisation du Monument de la Renaissance africaine, l'achèvement du Parc culturel, la remise en branle de la diplomatie culturelle, la récurrence de promo de la diversité et des semaines de valorisation de nos patrimoines, des caravanes aussi et, en toutes les capitales régionales, des réceptifs socioculturels acceptables. Monsieur le Président, prenez en votre compte toutes ces choses magnifiques ! Et votre entrée en immortalité n'en serait que plus somptueuse ! C'est une conviction intime et bellement partagée au Sénégal et en toutes nos diasporas. Que souhaiter de plus? « Commander aux îles d'exister », arguerait encore Aimé Césaire dont on tarde à célébrer, comme il faut, le centenaire.