‘’La Gambie prend en charge nos sessions, mais cela ne veut pas dire qu’elle nous a achetés’’
Taxés par les ONG de défense des droits humains d’être sous le joug du régime gambien, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) s’en défend. Certes la Gambie a accepté d’abriter et de financer les sessions, mais cela ne signifie pas qu’elle est propriétaire de la CADHP, a dit hier à EnQuête le commissaire et tout nouveau vice-président, Béchir Khalfallah
Un nouveau bureau de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a été élu. Quels sont aujourd’hui les défis auxquels il doit s’attaquer ?
Le premier défi sera de rendre plus visible la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Malgré (le fait) qu’elle existe depuis décembre 1986, notre commission n’est pas assez connue. Deuxièmement, il s’agira de faire en sorte que la Commission aille à fond, lorsque des événements majeurs se produisent. Nous constatons qu’elle réagit souvent tardivement ou tout simplement, reste aphone sur plusieurs sujets. Nous allons essayer maintenant de faire entendre notre voix, celle de la sagesse et de la justice pour que les africains comprennent les enjeux et qu’ils encouragent leur commission, et lui donne l’importance qu'elle mérite. Nous ne pouvons comprendre le complexe des africains qui se matérialise par une forte mobilisation des médias et des décideurs lorsque des organisations étrangères organisent.
De plus en plus de voix se sont élevées dernièrement pour demander la délocalisation de la CADHP vers un autre pays, parce que la Gambie ne mérite pas d’abriter une telle institution, au vu des violations observées sur son territoire. Etes-vous du même avis ?
Que ces voix s’élèvent, c’est l’expression pure du jeu démocratique. En ce qui nous concerne, nous constatons que la Gambie a abrité plusieurs sessions. On aimerait bien que les États et les organisations qui nous font des reproches pensent à abriter des sessions de la Commission, parce que ces sessions coûtent de l’argent et la Gambie accepte de payer, malgré ses ressources assez limitées. Elle abrite et prend en charge nos sessions.
Est-ce à dire que c’est parce que la Gambie finance les sessions de la Commission que vous ne vous penchez jamais sur les violations des droits humains dans son territoire ?
La Gambie prend en charge nos sessions, c’est vrai, mais cela ne veut pas dire qu’elle nous a achetés. Nous sommes seulement des gens reconnaissants, des gens réalistes et nos amis gambiens savent que nous tenons à notre serment et sommes assez responsables. Nous avons une liberté totale et sommes uniquement au service de l’Afrique et des africains.
Le constat particulier lors des sessions de la CADHP, c’est qu’on entend parler de la situation des droits humains dans plusieurs pays, sauf en Gambie. Pourquoi on ne se penche pas, ne serait-ce qu’un tout petit peu, sur la situation de ce pays ?
Il y a 2 ans, nous avions pris une résolution ici à Banjul, ce qui avait suscité une réaction virulente de la part d’un des responsables du gouvernement gambien. A l’époque le ministre gambien de la Justice était absent et à son arrivée, il a été informé de la situation. Il nous dira que son représentant avait mal interprété ses propos. Ensuite, il a reconnu notre droit et notre indépendance et soutenait que les choses devaient être renforcées en Gambie. Ce n’est pas qu’en Gambie où l’on note ces violations des droits humains, c’est un peu partout en Afrique.
Oui mais comme nous sommes à Banjul, est-ce qu’il ne serait pas logique d’évoquer au moins le sujet de la Gambie, d’autant plus que celles de plusieurs pays africains sont passées en revue ?
Nous ne pouvons pas nous focaliser sur la Gambie, nous avons d’importants problèmes à régler avec des représentants des États et de la société civile. Il s’agit pour nous de réfléchir sur la manière de faire avancer la cause des droits humains en Afrique et dans son ensemble. Il y a des problèmes en Gambie, comme il y en a ailleurs. Se focaliser uniquement sur la Gambie n’est pas notre démarche habituelle, ce qui nous intéresse, c’est que les africains respectent davantage les droits de l’Homme.
Par Amadou NDIAYE (Envoyé spécial à Banjul)