«Une demi-heure avant sa mort...»
Comment ne pas parler d’émotion en ce moment solennel qui marque la commémoration du vingtième anniversaire de la mort du Capitaine Mbaye Diagne ?
Je suis ému parce qu’il y a vingt ans, précisément le 4 avril 1994, je quittais Mbaye Diagne en l’embrassant et lui souhaitant beaucoup de courage dans la poursuite de sa mission au service de la paix. C’était devant la résidence de notre compatriote Karim Diop qui était le Représentant de la FNUAP au Rwanda. Il était environ 15h et Mbaye avait insisté pour que je renonce à mon départ pour Genève ou je dirigeais la Commission internationale de juristes.
J’entends encore sa voix : «Grand’frère, reste avec nous car nous allons nous retrouver avec nos frères d’Afrique de l’Ouest pour la fête de l’indépendance de notre cher Sénégal.» Bien entendu, je ne pouvais pas rester car à l’époque il n’y avait que la compagnie SABENA qui desservait la ligne Kigali-Bruxelles et les vols n’étaient pas quotidiens. Je lui promis que nous nous retrouverions la prochaine fois que je visiterai le Rwanda. Je ne savais pas que c’était le moment de nos adieux pour l’éternité.
Comment la vie pouvait-elle abandonner ce jeune homme plein de vie ? Le jour ou j’appris sa mort, je fus dévasté – C’était injuste ! Bien des années plus tard, alors que je dirigeais le Tribunal pénal international pour le Rwanda, je fus invité à Londres pour la commémoration du génocide rwandais. C’est là ou j’ai été profondément touché par le témoignage d’un de ses collègues de la MINUAR qui, si j’ai bonne mémoire, était un conseiller politique. Il déclara que le Capitaine Mbaye Diagne, moins d’une demie heure avant sa mort, lui avait confié qu’il est essentiel qu’une vie soit sacrifiée pour que la Communauté internationale daigne assumer sa responsabilité de protéger les populations rwandaises.
Le destin a voulu que ce soit lui, le Capitaine Mbaye Diagne, seul et désarmé qui donna sa vie à Kigali ce 31 mai 1994 pour sauver des centaines de vies. L’année suivante, après Londres, lors d’une cérémonie de commémoration à Addis Ababa, au siège de l’Union africaine, je rappelais cet acte de bravoure du Capitaine Mbaye Diagne en invitant l’Institution panafricaine d’honorer sa mémoire. Cette demande fut répétée à maintes reprises et dans différents foras. La dernière fois, ce fut à Washington lors de la cérémonie Kwibuka 20 organisée par l’Ambassade du Rwanda.
Vous comprendrez alors le sens des larmes que j’ai versées lors de l’adoption à l’unanimité de la résolution 2154 (2014) du Conseil de sécurité. Je voudrais, ici et maintenant, remercier bien vivement mon ami, le Prince Zeid Ra’ad Zeid Al-Hussein, Représentant permanent du Royaume hachémite de Jordanie auprès des Nations Unies. C’est lui qui a pris l’initiative, au nom de la Jordanie, de présenter un texte visant à instituer une «Médaille des Nations Unies» qui porterait le nom de Mbaye Diagne, à la mémoire de cet officier qu’il a qualifié de «plus grand héros des Nations Unies». Oui, le Capitaine Mbaye Diagne, comme je le rappelai là la RTS, lors de mon dernier passage au Sénégal, est le symbole du courage exceptionnel. Le nom du Capitaine Mbaye Diagne est désormais synonyme de «Jambar».
Comme l’a si bien dit le Représentant permanent du Rwanda, mon frère Eugène-Richard Gasana, le Capitaine Mbaye Diagne avait compris mieux que quiconque en quoi consistait sa mission. Les leaders de ce monde ont attendu Septembre 2005 pour adopter le Principe de la «Responsabilité de protéger» par lequel les Etats s’engagent à protéger les populations qui pourraient être victimes de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et nettoyage ethnique.
Le Capitaine Mbaye Diagne a montré que tout individu a également la responsabilité de protéger son semblable lorsque celui-ci court le risque d’être victime de l’un de ces crimes atroces. Le Capitaine Mbaye Diagne devra figurer en bonne place dans l’Histoire du Sénégal dont les militaires sont et demeurent une fierté pour ceux qui les croisent sur les terrains des opérations de maintien de la paix, pour ne se référer qu’à cet aspect de leur mission.
Ayons tous une pensée pieuse pour notre cher disparu, trop tôt arraché à notre affection. Que son âme repose éternellement en paix !
Dakar, le 31 mai 2014
Adama DIENG
Secrétaire général adjoint des Nations unies
Conseiller spécial pour la prévention du génocide