Les plus beaux scandales de la Croisette
Tout commence forcément par une histoire de starlette. En 1954, le Festival de Cannes fleure encore bon la province, on donne des interviews dans les bistrots, les acteurs se rendent aux projections à pied et les séances photo ont lieu en décor naturel, sur les plages ou les balcons des hôtels. Le rituel s'installe: les jeunes actrices prennent la pose devant les habitants amusés. Cette année-là, l'actrice Simone Silva, un peu pompette, décide d'enlever le haut et cache ses seins avec ses mains devant l'acteur américain Robert Mitchum, hilare. Le cliché fait le tour du monde, le scandale est énorme, les deux fanfarons sont priés de rentrer fissa aux États-Unis où les ligues de vertu ne décolèrent pas. Du jour au lendemain, le monde entier connaît la Croisette, ce nouveau lieu de perdition situé sur la Côte d'Azur. Stars et photographes s'y donneront tous rendez-vous : la légende de Cannes naît dans le soufre.
Après le show des starlettes, les salles obscures prennent vite le relais. Le public cannois est réputé frondeur et la bataille se joue désormais devant le grand écran. En 1960, on s'étripe pour L'Avventura du réalisateur Antonioni : l'équipe est copieusement sifflée et reçoit même des jets de tomates ! La même année, décidément faste, La dolce vita de Federico Fellini déclenche la polémique et s'attire les foudres de l'Église catholique qui menace d'excommunier les fidèles allant reluquer les cuisses et l'opulente poitrine d'Anita Ekberg. Peut-on rêver plus belle publicité pour la sortie d'un film, qui obtiendra d'ailleurs la Palme d'or ? En mai 1968, François Truffaut et Jean-Luc Godard mettent le feu en montant sur scène fermer le rideau par solidarité avec les ouvriers qui font grève. Le festival capote avant son terme, une première... et une dernière.
Doigt d'honneur
Dès lors, les années 70 restent celles de tous les excès et de toutes les passions. En 1973, deux films provoquent un torrent d'insultes : La maman et la putain et La grande bouffe. Pour le premier, le réalisateur Eustache sort de la projection sous la protection de ses acteurs tant les menaces sont réelles ! Pour le second, Marco Ferreri fait front en envoyant des baisers à des journalistes et à un public outrés par un film qu'ils jugent "immonde et scatologique". Même scénario en 1987 quand Maurice Pialat décroche la Palme d'or avec Sous le soleil de Satan : il lève le poing devant la salle et lance sous les sifflets : "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je ne vous aime pas non plus !" Une réaction bien tempérée comparée à celle de Quentin Tarantino, sept ans plus tard, lorsqu'il fait un doigt d'honneur à une partie du public contestant sa palme pour Pulp Fiction. Dans l'arène de Cannes, tous les coups sont permis et le festival s'habitue finalement à ces broncas qui font le sel de sa légende, comme pour le film Crash de David Cronenberg, ou encore, plus récemment, Antichrist de Lars Van Trier, la violence de certaines scènes ayant fini par vider une partie de la salle.
"Une bonne polémique permet à un film de sortir du lot, reconnaît François-Pier Pelinard Lambert, journaliste au Film français. Quand il y a vingt-deux longs métrages en compétition, et plus d'une trentaine présentés en parallèle, un bon échauffement médiatique - attendu d'ailleurs par la presse chaque année - peut déboucher sur un succès en salle et assurer des ventes à l'international. Même si faire scandale aujourd'hui reste compliqué : le cinéma a presque levé tous les tabous."
Le sein de Sophie Marceau
En revanche, pas de répit du côté des stars. Pendant quelques jours, les voilà extrêmement stressées, épiées et mitraillées par des dizaines de photographes... Le dérapage incontrôlé peut virer rapidement à l'esclandre. Et les portes des palaces ont beau rester solidement fermées, les plus gros scandales finissent toujours pas courir la Croisette. Dans le rôle des amants terribles, Johnny Depp et le mannequin Kate Moss, qui dans les années 90 se font remarquer à l'Eden Roc, le palace le plus chic de la région. Le premier traîne une réputation de "casseur" de chambre, la deuxième est priée de faire ses valises après des nuits décidément trop bruyantes pour la clientèle.
Plus grave, le scandale s'immisce jusqu'au sein même du jury, parfois manipulé ou forcé dans son vote. En 1979, la romancière François Sagan, qui vient de présider la compétition, révèle le pot aux roses : selon elle, la direction a poussé les votes en faveur d'Apocalypse Now, qui n'avait pas sa préférence. Résultat : on refuse de lui régler ses notes de frais colossales pour l'époque, près de 15 000 francs, dont 2 500 uniquement pour le téléphone, la plus grosse facture jamais encore présentée - record depuis largement battu.
Évidemment, tout cela fait tache sur le tapis rouge... qu'il convient de toujours grimper avec une prudence de Sioux. Isabelle Adjani en fait l'amère expérience en 1983, lorsqu'elle monte les marches sans aucun crépitement de flash : tous les photographes ont décidé de la boycotter pour avoir refusé de prendre la pause avec l'équipe de L'été meurtrier quelques heures plus tôt. Elle ne sera pas la seule à connaître un grand sentiment de solitude sur le tapis de la Croisette... La dernière qui fit sensation reste Sophie Marceau, lorsque l'un de ses seins sortit de sa robe devant la presse du monde entier, lors d'un mouvement brusque. Une fois encore, la photo d'une poitrine dévoilée fit le tour de la planète.