Défendons nos champions
L’hivernage de cette année est très pluvieux donc favorable à une bonne campagne agricole. Le ciel a ouvert ses vannes arrosant abondamment l’ensemble du territoire national comme l’avait annoncé les météorologues. Il faut en savoir gré au Maître des Cieux pour sa grande générosité.
Dans cette torpeur hivernale dans laquelle baigne tout le pays avec ces parfums de vacances, n’eût été la houle maritime ravageuse qui a frappé la Petite Côte causant une forte érosion côtière et, illustrant de manière inquiétante le réchauffement climatique qui sévit sur toute la planète, on aurait pu croire vivre un hivernage ordinaire ou disons, classique. Pourtant le pays vit bien une période de rupture et les changements s’opèrent certes avec lenteur, mais la dynamique semble bien installée.
Le Président Abdou Diouf disait que « rien ne serait plus comme avant ». Le Président Abdoulaye Wade soutenait que « les injustices allaient être réparées ». Le Président Macky Sall, lui, pose des actes qui semblent aller dans le même sens.
Alors que traditionnellement, le Président de la République du Sénégal pour ses vacances, se rendait en Normandie pour Senghor, à Palma de Majorque pour Diouf ou au pays basque ou en Suisse pour Wade, l’actuel locataire du palais de la République a choisi la résidence présidentielle de Popenguine pour des vacances studieuses où l’économie a été au centre de ses études hivernales. Ce petit changement dans l’agenda des vacances du Président de la République va avoir, à terme, une très grande influence sur le comportement de nos élites qui, depuis l’époque coloniale, assimilaient vacances à séjour hors du pays.
Il nous faut relever que les attentes sont grandes au Sénégal. Que l’impatience est le sentiment le mieux partagé, tout comme la frénésie des années Wade nous manque. Le style Macky n’est pas clinquant, ni bruyant. Manifestement, la personnalité de l’ingénieur, Macky Sall abhorre le bruit et la fureur. Faisant même dire à certains comme la talentueuse et polissonne Oumou Wane, que son management n’est pas si sexy que ça.
Certes, pour un pays comme le Sénégal où les joutes verbales constituent le socle de visibilité sociale des leaders d’opinion, ne pas être polémiste ou refuser de jouer au tribun, comme Me Wade, peut apparaître comme une grosse faiblesse aux yeux d’une opinion qui raffole d’entendre les anathèmes voler et de voir des acteurs publics se donner en spectacle. Le volume de paroles permet souvent à certains acteurs maladroits ou incompétents d’y noyer leur absence de profondeur, de masquer leur indolence au travail ou leur incapacité à assumer les responsabilités dont ils sont délégataires.
L’hivernage de 2015 est bien un tournant pour le Sénégal et pour toutes ses composantes. Tous les projets politiques futurs seront découverts à partir de 2017, mais leurs contours se dessineront dès cette année 2015. Cela rend nerveux beaucoup d’acteurs du jeu politique, mais tel est le fait de la marche de tout pays se trouvant à la croisée des chemins. C’est dans ce contexte que deux ou trois faits récents apparus sur la place publique ont tendance à me faire penser qu’il y a une montée de l’intolérance et de la police de la pensée au Sénégal. Si dans tout débat public, la parole est libre et que les idées sont les seuls instruments de confrontation, il faudrait alors jeter aux orties les attaques « ad-nominem » en ne cédant pas à la personnalisation des critiques. Ainsi, une juriste, aussi éminente soit-elle, enseignant à l’université, ayant accepté les fonctions de conseiller à la Présidence de la République doit-elle respecter les règles ayant cours dans cet endroit. Dans un amphithéâtre, un enseignant parle haut et fort à ses étudiants. Dans l’atmosphère feutrée de l’Etat, un conseiller n’a que le devoir de donner son avis ou son opinion à son supérieur et de s’en tenir là. La retenue, la discrétion et l’effacement y sont des valeurs de compétence. Seul l’élu choisi par les suffrages a le droit de prendre les décisions. Un conseiller utile est celui qui l’assiste dans cette charge. Ni plus, ni moins. La place publique n’est pas le lieu d’expression d’un conseiller pouvant aller jusqu’à y étaler ses émotions et ses états d’âme.
Abdou Latif Coulibaly vient de publier un nouvel ouvrage intitulé « Le Sénégal Sous Macky Sall ». Journaliste à ses débuts, ce qui lui a valu de se faire connaître et de se faire apprécier dans l’espace public, ce juriste de formation est entré en politique depuis lors. Intellectuel engagé, il a soutenu une bataille frontale contre le Président Abdoulaye Wade et son système. Avec courage et détermination comme avant lui, des écrivains comme Emile Zola, André Malraux, Ousmane Sembène, entre autres, il a eu une plume engagée contre un opposant arrivé au pouvoir et tenté par la dévolution monarchique. Une trilogie de sa plume lui a suffi pour s’opposer avec force et véhémence à Wade, père et fils. Et au passage un de ses essais contribuera, en partie, à la chute de mon ami Idrissa Seck alors Premier ministre. Assumant sa liberté et son engagement politique, Abdou Latif Coulibaly est devenu aujourd’hui un collaborateur du Président Macky Sall. C’est son droit et c’est sa responsabilité. Ayant été au front pour se battre contre ce qu’il considère comme des injustices, il s’est donné les moyens de ses libertés. Et donc, aujourd’hui, le droit légitime de changer de position pour devenir un intellectuel organique, comme aurait pu le qualifier Gramsci. Tout comme d’autres ont eu le droit de ne pas partager ses convictions d’hier contre Wade. D’aucuns ont aussi le droit de ne pas avoir les mêmes opinions que lui sur Macky Sall. Mais, de là à émettre sous forme de lettre ouverte, comme l’ont fait deux jeunes et brillants polémistes, un mot d’ordre d’interdire ou de refuser de lire le nouvel ouvrage de Latif consacré à Macky Sall, je pense que c’est fortement regrettable car cela traduit une intolérance inqualifiable.
Au passage d’ailleurs, le politicien Latif ne pouvait rêver de meilleure publicité que cet anathème des deux polémistes qui ne font qu’attirer l’attention sur son livre et aiguiser l’intérêt sur son contenu.
Personnellement, je ne pense pas que dans une anthologie de la littérature sénégalaise, les œuvres de Abdoul Latif Coulibaly vont y faire de l’ombre à celles de Birago Diop, Mariama Ba, Aminata Sow Fall, Boubacar Boris Diop ou Ken Bougoul. En revanche, dans les annales de la politique sénégalaise, un chapitre sera forcément consacré à Latif pour son apport dans le combat politique pour l’alternance et le changement.
Débattons ! Que bruisse le choc des idées et des opinions ! Mais de grâce qu’il n’y ait pas de ségrégation dans la distribution des expressions. Car comme on le disait en Chine durant la Révolution Culturelle que « Mille jardins fleurissent, que cent écoles naissent… ». De la discussion jaillira toujours la lumière, mais pas d’ostracisme ou de police de la pensée unique. Il ne faut croire qu’à la force de ses idées et non aux forces pour imposer ses idées.
Un sénégalais du nom de Mamadou Diagna Ndiaye vient d’être élu au Comité Exécutif du CIO où il rejoint un prince du Qatar, un prince de Monaco, un vice-président de la Federal Reserve des USA, entre autres membres. Son élection s’est faite en Malaisie, le pays de Mohamed Mahatir, un simple médecin de quartier qui a fait de la Malaisie, grâce à la Finance Islamique et aux investissements américains et japonais un pays émergent. Le principal conseiller et partenaire de Mahatir dans les performances de la Malaisie est un juif du nom de Fisher. Il avait pour mission d’attirer les flux d’investissements à Kuala Lumpur. Et pourtant, Dieu sait que Mahatir, un musulman orthodoxe, n’a jamais caché son ressentiment pour les juifs et sans concession.
Ce pays de Sandokan, le tigre de la Malaisie capitalise une tradition millénaire pour le commerce. Ce qui a fait du golfe de Malaka un centre névralgique des échanges en Asie avec le passage des caravanes maritimes, ancêtres des porte-conteneurs actuels. Comme le Sheikh Al Makhtoum de Dubaï l’a fait, lui aussi, en s’appuyant sur les traditions commerçantes qui ont fait du Golfe persique le point de rencontre entre les caravanes chargées d’épices venant d’Asie que les Occidentaux venaient acheter dans le souk du bazar des commerçants arabes. Dubaï comme la Malaisie sont des exemples mais pas des modèles à reproduire in extenso.
Tout de même, l’émergence des pays du Sud-Est asiatique a comme soubassement la politique américaine du « containment » déployée par Washington à partir des années 1970. Celle-ci a favorisé les délocalisations industrielles américaines et nippones et l’afflux des dollars du grand capital américain pour tenter de contenir l’URSS de l’époque et la Chine de Mao, défenseurs du communisme et tenants de la guerre froide contre l’Occident.
Tout comme la Corée du Sud ou la Thaïlande ou Taïwan, aucun tigre asiatique n’est parvenu à l’émergence sans l’afflux de capitaux et d’investissements internationaux. Aussi est-il plus judicieux pour une homme politique au pouvoir de passer 15 heures avec un homme ayant les capacités et les relations pouvant attirer les investisseurs au Sénégal que de passer seulement 15 minutes avec un de ses collaborateurs pour une séance de travail où ce dernier reçoit des directives du Président ou alors il passe en revue avec lui les dossiers qu’il juge prioritaires. Ce sont aujourd’hui des hommes de talent, des entrepreneurs audacieux et des créateurs de richesses qu’il faut au Sénégal. Le Président Macky Sall devrait avoir plus souvent à son desk des hommes comme Jean-Claude Mimran, Bille Gates, Bernard Arnault s’il veut faire affluer le maximum de flux financiers et attirer des investisseurs au Sénégal.
Il n’y a pas de mystère, les capitalistes ne cherchent que des opportunités pour en tirer profits. Ne dit-on pas qu’on n’attrape pas de mouches avec du vinaigre. L’homme ne va que là où il trouve son intérêt. Et un investisseur satisfait est la meilleure promotion qu’on puisse faire pour faire venir un autre investisseur.
Si la Chine communiste des héritiers de Mao et de Deng Xiao Ping a adopté et appliqué cette ligne de conduite, pourquoi devrions nous refuser d’être réalistes et pragmatiques comme eux ? Tout pays doit être fier de ses enfants ayant du talent et de ses ressortissants qui ont su se faire un nom hors du pays natal. Et il y en a à foison au Sénégal. Il faut qu’on arrête de passer le temps à casser nos idoles. Toutes les religions ayant déjà été révélées, il n’y a plus de place pour de nouveaux prophètes porteurs de vertu et passant leur temps à jeter des anathèmes et à ex-communier leurs semblables.
Quand je pense que de Nouakchott à Luanda dans le secteur des bâtiments et travaux publics, seuls des entrepreneurs sénégalais, comme les groupes CSE, CDE, Talix sont les seuls africains à se faire une place face aux multinationales. Mieux, on ne trouve dans ce secteur ni des compagnies du Nigéria, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Congo Démocratique ou de l’Angola, des pays économiquement plus puissants que le Sénégal. De même dans le trading des produits pétroliers, Itoc du Sénégal est la seule société francophone à jouer dans la cour des grands avec des Nigérians et des Angolais, alors que le Sénégal n’est pas encore un pays producteur de pétrole.
Soyons fiers de notre pays et défendons nos champions. Et nous en avons !
Un très grand parmi eux vient de nous quitter, Doudou Ndiaye Coumba Rose. Je m’incline devant sa mémoire et le donne en exemple. Vox populi, Vox dei.
Abdoulaye Bamba DIALLO
Editeur
Post scriptum : Le Président Macky Sall vient de confier à un éminent historien, le Professeur Iba Der Thiam la coordination d’un groupe de travail pour la rédaction de notre histoire. Il a raison et son choix est judicieux. Il nous faut réécrire notre histoire. C’est pire qu’une démission, c’est même une trahison que de laisser l’étranger nous raconter notre mémoire et nos valeurs.
Je demeure convaincu que le groupe de travail autour du professeur Iba Der Thiam va nous raconter nos faits d’histoire et les actes de bravoures de nos ancêtres.