Absatou Kane Diop (Presidente sunu diaspora)
Présidente de Sunu Diaspora, une structure qui œuvre pour le bien-être des Sénégalais de l’extérieur, Absatou Kane Diop a voyagé un peu partout en Europe, en Afrique et aux Usa. Dans cet entretien, elle dénonce le nombre élevé de cas de sénégalais tués à l’étranger. Et appelle l’État à protéger davantage ses citoyens vivant et travaillant à l’extérieur. Elle n’a pas, non plus manqué de donner son point de vue sur la gestion du pays ainsi que sur l’élection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis d’Amérique.
En tant que présidente de ‘’Sunu diaspora’’, comment analysez-vous le dernier accord signé entre le Sénégal et l’Union Européenne pour lutter contre l’émigration clandestine ?
Ce n’est pas la première fois qu’on signe un accord de ce genre. L’Union européenne a déjà décaissé 16 millions d’euros qu’elle allouait aux migrants. Si je ne m’abuse, on avait donné 17 milliards au Sénégal. Je crois que la somme n’a pas été reversée aux ayants droit. Ces derniers étaient rapatriés d’Espagne en 2007. On leur avait donné 10 000 F CFA et un sandwich. Et depuis lors, nul ne sait où on a mis cet argent. Pour la présente allocation estimée à 60 milliards, ce qui nous intrigue, c’est que depuis sa signature, il y a des gens qui se signalent pour gérer ce Fonds. Seulement, on ne veut pas que ces 60 milliards soient gérées comme les 17 premiers. Il faut vraiment que l’Etat fasse tout pour donner cet argent aux ayants droit, sinon le phénomène va persister.
Etes-vous d’avis que ce financement vise à faire revenir les émigrés clandestins vivant en Europe au Sénégal ?
Si l’UE a décaissé cet argent, c’est parce qu’elle prépare des choses. Il y a un dessein derrière. Je souhaite juste que cet accord marque une rupture et qu’on remette ces 60 milliards aux ayants droit et qu’on ne les utilise pas à d’autres fins.
De plus en en plus, des Sénégalais sont tués à l’étranger. Comment expliquez-vous cette situation ?
J’ai vécu aux Usa mais j’ai aussi visité beaucoup de pays africains et européens. Cette situation est très difficile à vivre. La dernière victime en date s’appelle El Hadji Ndiaye. Il a connu une mort atroce à Pampelune en Espagne, il y a de cela moins de deux semaines. On l’a étranglé et il criait jusqu’à en perdre le souffle. Tout ceci, c’est la faute de l’Etat qui ne fait rien pour protéger ses citoyens. Il y a un an et demi, un autre Sénégalais du nom de Mor Sylla a été assassiné à Salou, toujours en Espagne. Ce crime est resté impuni. C’est trop facile. On les tue, après on les accuse de vente de drogue, de produits contrefaits et autres parce qu’ils savent que le défunt ne peut plus se défendre. L’Etat ne s’occupe pas des problèmes des Sénégalais vivant à l’étranger.
Donc, vous considérez que l’Etat n’apporte aucun soutien juridique aux Sénégalais vivant hors du pays ?
Ceux à qui on a confié ce travail ne le font pas bien. Ceux qui gèrent les Sénégalais de l’Extérieur ne font pas leur travail parce qu’on continue de tuer nos compatriotes comme des mouches et l’Etat ne fait rien pour mettre un terme à cette hécatombe. Ils sont vraiment très fatigués, les Sénégalais de la diaspora. Pourtant, les consulats sont là pour les Sénégalais de l’extérieur. Sans nous, ils n’existeraient pas mais ils ne font pas leur travail. Rien que voir un consul pose problème. Après, tu les entends dans les médias raconter des choses qui ne sont pas du tout exactes.
Nos compatriotes n’ont-ils pas eux aussi une part de responsabilité dans cette situation ?
Les responsabilités sont partagées. Quand il y a mort d’homme, c’est le pays de la victime qui doit soutenir en premier cette dernière. J’insiste sur le cas de Mor Sylla qui habitait à Mbour et qui vivait en Espagne. Quand on le tuait, on l’a trouvé dans son appartement à 5h du matin. Il y a une heure à laquelle personne ne doit venir chercher quelqu’un chez soi, quoi qu’il puisse faire. Ce n’est pas normal. Les policiers espagnols n’avaient pas ce droit-là. L’Etat ne nous soutient pas assez. Pour moi, on ne prend en compte les Sénégalais de l’extérieur que dans le cadre des transferts d’argent.
La crise économique continue de sévir en Europe et aux Usa. Dans ces conditions, est-ce que partir est toujours la solution pour tous ces jeunes Sénégalais qui rêvent d’un avenir meilleur ?
La jeunesse a besoin d’être soutenue. On parle des cas de meurtre dans certains pays européens et en Amérique mais il y a beaucoup d’autres morts dans le désert dont personne ne parle. Ce sont tous ces jeunes qui veulent traverser le désert pour rallier la Libye. Et ils sont nombreux à périr en cours de route. Récemment, quand je suis allée en Italie, j’y ai rencontré certains de nos compatriotes pris en charge par le gouvernement italien parce que le Consulat sénégalais avait refusé de leur délivrer des cartes d’identité. Car les autorités consulaires ne les considèrent pas comme des Sénégalais alors que certains d’entre eux viennent de la région de Tambacounda. Parmi ces Sénégalais, il y en a qui m’ont raconté qu’au cours de leur périple dans le désert, ils ont souffert de beaucoup d’exactions. Il faut que certains voyagent, c’est vrai. Mais que ceux qui partent aient au moins un métier ! Si tu vas dans un pays étranger sans avoir une profession bien définie, tu risques de ne rien faire. Ce qui pousse certains à s’adonner à des activités illicites. Ce que ne supportent pas les Occidentaux et ils ont raison. Il y va de l’image de leur pays. Les Sénégalais doivent prendre cela en compte. L’Etat doit soutenir les jeunes en créant des emplois afin qu’ils restent ici pour travailler.
Que pensez-vous des actions du Fonds d'appui à l'investissement des Sénégalais de l'extérieur (Faise) ?
Personnellement, j’ai vu une personne qui a été financée grâce à ce fonds. Elle avait reçu 1500 euros mais une fois, en discutant, elle m’a dit que quand on lui a donné l’argent, son mari était tombé malade. Il avait des problèmes psychiques et elle a utilisé cet argent pour le soigner. Ce qui fait qu’elle ne pouvait pas rembourser. L’Etat ne doit pas gérer ce financement. Mieux vaut confier cela à des privés.
Le candidat Macky Sall avait promis de faire de la diaspora la 15e région du Sénégal. A-t-il tenu parole après son élection à la tête de l’Etat du Sénégal ?
Les Sénégalais de l’extérieur ont été les premiers à croire en Macky Sall. Nous avons été les premiers à le soutenir. Comme les Américains avaient fait avec Obama, nous aussi nous nous sommes cotisés pour l’appuyer à ses débuts. Il nous avait promis de faire de la diaspora la 15e région du Sénégal. Je pense qu’après le Hcct, il va penser à la 15e région. Nous n’attendons que cela. D’ailleurs, nous espérons qu’avant la fin de l’année 2017, il concrétisera notre vœu.
En attendant, le référendum dernier a officialisé la présence de députés de la Diaspora à l’Assemblée nationale…
Les Sénégalais de l’extérieur se sont toujours pris en charge et les régimes qui se sont succédé au pouvoir ont toujours politisé leurs actions au niveau de la Diaspora. Etre député à l’Assemblée nationale et ne pas prendre en compte les souffrances des Sénégalais n'est pas le vœu des Sénégalais de la Diaspora. Nous avons une autre culture du développement car nous vivons dans des pays où la politique politicienne est bannie. En réalité, la présence de députes issus de la Diaspora a l'Assemblée n'est pas une affaire nouvelle mais le concept doit être différent. Le plus important est de s'attaquer aux vrais problèmes des Sénégalais de l’extérieur. Il y a trop de meurtres, d'assassinats, d’abus et de viols de nos sœurs, surtout dans les pays arabes. Et leur seul tort, c’est de chercher à fuir les difficultés quotidiennes au Sénégal. Mais j’ai l’impression que l’Etat n’a pas de programme cohérent pour les Sénégalais de l’extérieur.
Comment appréciez-vous la gestion du régime actuel ?
Pour moi, les choses marchent bien au Sénégal. Quand on a l’habitude de voyager, l’on se rend compte que le Sénégal est dans l’émergence, ce sont les Sénégalais qui ne suivent pas. Il y a à manger et à boire mais ce qui fait marcher le mieux un pays, c’est son peuple et les Sénégalais ne sont pas à la hauteur de la marche du pays. Je m’explique : on peut aller quelque part pour chercher des documents, celui qu’on y trouve peut nous le faire sur le champ mais il préfère nous faire attendre. Ce sont des choses comme ça qui retardent le pays. On est 14 millions de Sénégalais ; si on essaie de travailler autant que le Président Macky Sall, le Sénégal se portera à merveille. On doit changer nos mentalités et nos habitudes. Il ne faut pas qu’on bloque les gens par-ci et par-là parce qu’ils ne sont pas avec nous. Il faut rompre avec cette mentalité.
Contre toute attente, Donald Trump a été élu 45ème président des Usa. Quel commentaire vous-en faites ?
Il faut dire que les Sénégalais à l'instar du monde entier se sont réveillés sous le choc. Nous sommes tous tristes. Donald Trump a battu campagne avec un discours raciste, xénophobe, misogyne. Quelqu'un qui ose déclarer devant toutes les télévisions du monde qu'il va construire un mur entre le Mexique et les USA aux frais des Mexicains ne mérite pas de diriger les Etats-Unis. Quiconque aurait fait campagne avec un discours aussi grave se verrait retirer de la course à la présidentielle. Je pense que les Américains ont dévoilé leur vrai visage.
Et comme disait l’autre, the gloves are off, autrement dit : les masques sont tombés. Trump a du pain sur la planche. Des questions importantes l’attendent. Qu’il suffise de citer le conflit israélo-palestien, sa position sur le Brexit et l’UE, l’Iran, l'Etat Islamique, la guerre en Syrie. En outre, la lune de miel avec ses amis républicains sera de courte durée. Osons croire que son discours était simplement électoraliste. Mais il faut reconnaître qu’il a eu le courage de faire campagne sur des thèmes sur lesquels les Américains l'attendaient le plus.
Ibrahima Khalil Wade