Publié le 17 Nov 2016 - 17:54
REFORME DE LA COUR SUPREME

La démarche de l’Ums fait débat

 

Après le tollé suscité par le projet de loi relatif à la réforme de la Cour suprême, certains observateurs sont montés au créneau, pour décrier  la démarche de l’Union des magistrats sénégalais (UMS) qui exige un retrait du projet. Le temps  de trouver un consensus.

 

La réforme de la Cour suprême a provoqué une grande polémique dans les rangs de l’Union des Magistrats sénégalais. Cette structure qui défend les intérêts matériels et moraux des Magistrats multiplie depuis lors les sorties pour exiger du gouvernement le retrait du projet de loi, afin d’en faire un nouvel examen pour recueillir toutes les idées et suggestions dans le seul but de le parfaire. Mais d’ores et déjà, bon nombre d’observateurs déplorent la manière dont l’UMS s’y prend pour porter le combat.

Selon le  consultant et analyste politique Samba Kane Torodo, la démarche de l'Union des Magistrats sénégalais est critiquable à plusieurs égards. A l’en croire, l'action que l’UMS est en train de mener présentement est dirigée de manière ‘’inélégante’’ contre l'actuel Premier Président de la Cour suprême qui, lui-même, est membre de l'UMS. Mais selon le président de ladite structure, lui et ses camarades se battent non pas contre une personne mais pour la défense des intérêts matériels, moraux et professionnels des magistrats. ‘’Nous ne nous attardons pas sur les personnes.

L’UMS doit du respect à tous les magistrats mais reste fidèle à sa vocation qui est de prendre en charge les intérêts moraux et matériels des magistrats. Nous n’avons jamais visé une quelconque personne dans le combat que nous sommes en train de mener. D’ailleurs, on se refuse même de personnaliser le débat. On n’a jamais parlé du Premier président de la Cour suprême à qui nous devons beaucoup de respect compte tenu de la place qu’il occupe’’, tient à préciser Magatte Diop. Il ajoute toutefois que son organisation reste à l’écoute des magistrats et ne peut s’orienter que vers la direction dégagée par ces derniers. ‘’Nous nous refusons de verser dans des calomnies ou dans des querelles crypto personnelles’’, a-t-il lâché.

Ces gages du président de l’UMS ne semblent point convaincre Samba Kane Torodo. Car ce dernier est d’avis, ‘’qu’en lieu et place de cette levée de boucliers, l'UMS devait d’abord rencontrer le Premier Président de la Cour Suprême pour discuter avec lui sur les tenants et les aboutissants de la réforme, étant donné que le linge sale se lave en famille’’. Mieux, l’analyste politique  pense même que la structure dirigée par Magatte Diop aurait pu faire davantage en demandant une audience au président de la République pour lui faire des suggestions sur la réforme.

‘’Discrédit sur la justice sénégalaise’’

Mais de l’avis de Samba Kane Torodo, ‘’contre toutes les règles de bienséance caractérisant la famille judiciaire, l’UMS a préféré se donner en spectacle au point d'accroître le discrédit sur la justice sénégalaise pour avoir tenté de traîner dans la boue l’une des plus emblématiques autorités judiciaires’’. Ce faisant, ‘’elle a versé dans une sorte d’exercice d’une pression aux relents d'un inacceptable chantage contre le gouvernement’’. Car, ‘’en endossant publiquement la résolution du comité de juridiction de la Cour suprême qui exige du gouvernement un retrait sans condition du projet de réforme portant sur la Cour Suprême, l'UMS a agi en véritable syndicat, en parfaite violation des dispositions du statut des magistrats, sortant ainsi ses membres de la réserve et de la dignité que leur impose leur serment’’, a-t-il estimé. Soutenant ainsi que la réflexion à tirer de toute cette polémique est que l'UMS ne raisonne que pour le court terme.

Ces réformes, à en croire le consultant Kane, vont donner aux jeunes et aux futurs magistrats plus de possibilités d’une meilleure carrière avec la limitation de la durée d'occupation de certains postes de responsabilité. Elles vont survivre, selon lui, à la personne de l’actuel Premier Président de la Cour Suprême et ‘’à ceux qui lorgnent avec une envie peu orthodoxe son poste’’. C’est pourquoi il pense que l’UMS doit revoir profondément sa démarche car étant une organisation d’élites de la Fonction publique qui contribuent principalement à l’exercice du pouvoir judiciaire, duquel doivent émaner une certaine gravité et une certaine solennité, sans lesquelles l’institution judiciaire perdrait de sa crédibilité. ‘’L’UMS ne doit pas s’autoriser une posture digne d’un syndicat de routiers. Cela ne peut pas aller de paire avec la dignité qui s’attache à l’appartenance de ses membres à l’illustre corps des magistrats. Elle devrait plutôt favoriser une concertation à l’interne et entretenir un dialogue responsable avec le pouvoir exécutif’’, a-t-il soutenu.

Les critiques de la démarche de l’UMS ne viennent pas seulement de l’extérieur. Certains magistrats ne partagent pas non plus cette démarche. C’est le cas du magistrat Mame Ndianco Ndiaye. Ce dernier, dans une contribution parue dans les colonnes de EnQuête, prévient que le réveil risque d’être brusque et trop tard si l’on se garde d’aller au-delà du focus sur la mandature pour comprendre les tenants et les aboutissants de l’adoption très ‘’précipitée’’ des projets de réforme sur le statut des magistrats de l’ordre judiciaire. Selon lui, aucune des réactions n’a jusqu’à présent démontrer le contraire de ce que la loi 2008-35 portant création, compétences, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême est moins parfaite que celle qui l’abroge et la remplace. Pour lui, ce qui est regrettable pour les pourfendeurs de ce texte avec des réactions aussi bruyantes qu’éloquentes sur leur subjectivisme, c’est de prêter aux textes de par leur nature impersonnelle et générale une volonté pour le gouvernement de maintenir ou de proroger l’âge de retraite du Premier Président de la Cour Suprême et le Procureur Général près la haute Cour, actuellement en fonction : un populisme, mêlé au concert de cris venant de l’extérieur, peut être un précédent dangereux pour la  justice.

Cependant, en attendant que le gouvernement confirme ou infirme les supputations faites sur les volontés que les magistrats lui prêtent, le juge Ndiaye objecte objectivement à ce projet de nouveau texte de loi organique sur la Cour Suprême pour au moins deux raisons : l’absence de volonté de concertation et l’éparpillement des textes.

‘’Le retrait du projet de loi, un signe de faiblesse’’

Au-delà des débats sur la mandature du magistrat Mamadou Badio Camara, il regrette que le curseur d’idées se déplace dans un débat sur l’éthique et la déontologie avec comme sujet ‘’les chefs de la justice comme dans la guerre des écuries’’. C’est pourquoi il appelle le gouvernement à surseoir à l’adoption du projet par l’assemblée nationale en attendant de trouver un consensus.

Poussant la réflexion plus loin, le président de l’UMS, Magatte Diop, estime que pour parer à toute éventualité, il est plus souhaitable de retirer le texte afin d’en faire un nouvel examen pour recueillir toutes les idées et suggestions dans le seul but de le parfaire. Mais pour Samba Kane Torodo, le retrait du projet de loi adopté par le gouvernement, lors du conseil des ministres du 2 novembre 2016, suite à la sortie  médiatisée de l'UMS, installerait une crise d'autorité fatale pour le gouvernement et les autres institutions de la République. A cet égard, il estime que ‘’l'État ne doit pas montrer des signes de faiblesse. Sans quoi, cela serait le début de la fin de la République’’.

ASSANE MBAYE

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