Designers et stylistes dessinent leurs maux
Des acteurs de la mode et du design étaient hier les invités de l’institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) et de la Direction des arts. C’était dans le cadre des séminaires sur les politiques culturelles au Sénégal.
Le musée Théodore Monod a reçu hier la 5e rencontre organisée dans le cadre des séminaires de recherche sur les politiques culturelles. Une initiative de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) et de la direction des arts. Hier, c’était au tour des designers et stylistes de parler des problèmes qui minent leur secteur. Tous se sont entendus sur le fait qu’il manque une véritable politique étatique. ‘’Le gouvernement sénégalais n’a aucune vision qui peut porter le design. On a aujourd’hui besoin d’une vision politique et pas de bonne volonté’’, a plaidé l’architecte Annie Jougat.
L’une des conférencières du jour, Joëlle Le Bussy Fall, professeur de design à l’université Gaston Berger de Saint-Louis et spécialiste en meubles et objets en bois précieux d’Afrique, dresse un tableau plus noir. ‘’Le design des meubles et objets est en régression. Dans les années 1990, on avait dans la Biennale des arts (Ndlr Dak’Art) un salon du design. Les designers avaient un espace d’expression. Il y avait une reconnaissance du design mais ce salon n’existe même plus. C’est dommage. Le design manque carrément de visibilité’’, a-t-elle diagnostiqué. A cela s’ajoute le fait qu’il n’y ait pas une véritable industrialisation. Alors que c’est la base même de cette discipline. ‘’On ne fait plus de la filature de coton ni du malikaan. On a tué les menuiseries’’, selon Mme Fall.
La deuxième panéliste du jour, Sadiya Guèye, propose à l’Etat de revoir sa politique. Le design et la mode étant des secteurs transversaux, on ne saurait les cantonner dans un seul ministère. Du moins, c’est l’avis de la styliste. Déjà que ce secteur a du mal à trouver sa véritable place, car associé tantôt au ministère de l’Artisanat tantôt à celui de la Culture, au moment où les acteurs trouvent que le ministère du Commerce ainsi que celui de l’Industrie sont également concernés par ce qu’ils font. Par conséquent, pense Sadiya Guèye, ‘’il faut que l’Etat ait une vision autre ; que tous les ministères qui sont concernés par ce que nous faisons soient impliqués. On a beau parler mais on ne pourra jamais se développer’’.
Mme Fall propose à son tour la création d’une école d’art appliqué. On pourra y enseigner la menuiserie, le tannage, le tissage, la céramique, la sculpture etc. avec un département d’architecture design et un département de recherches.
En attendant que l’Etat réagisse et fasse ce qu’il faut, certains acteurs prennent leur destin en main. ‘’Tous les designers sénégalais se produisent à l’international, que cela soit à Paris ou à New-York. Ils le font par leurs propres moyens. Il n’y a aucune vision globale de la part du gouvernement et c’est bien dommage parce que c’est un vecteur de croissance économique’’, s’est désolée Joëlle Le Bussy Fall. Seulement, la majorité des stylistes et designers n’ont pas cette opportunité d’explorer le marché international. ‘’Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas ces possibilités. Ils ne peuvent pas voyager et trouver des partenaires. Il nous faut nous unir. Séparément, nous ne pouvons rien faire. Nous vivons au jour le jour. Et c’est dommage. Le Burkina, l’Ethiopie, commencent à avancer dans leurs secteurs. Ces gens copient ce que nous faisons. Ils avancent et nous non’’, s’est désolée Sadiya Guèye.
Comme si tous ces écueils ne suffisaient pas, vient s’ajouter une difficulté pour protéger les œuvres créées. ‘’J’ai la possibilité de protéger mes modèles, même si après je n’ai pas le temps de suivre. La protection est importante. Sans cela, on ouvre les portes aux Chinois qui vont tout nous prendre. Il faut que l’Etat accompagne les créateurs. Il faut que les gens vivent de leur art’’, a appelé Mme Guèye.
BIGUE BOB