Un art pas toujours rentable
Selon l’enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Abdoulaye Niang, ‘’le hip hop doit sa vitalité à sa capacité d’adaptation’’. Il a tenu ses propos, hier, au cours de la première conférence de Jotayu hip hop initiée par Africulturban.
Le hip hop sénégalais a un impact et sur le jeu politique et sur la conscience des gens. Cela est prouvé de plusieurs manières. Tout le monde sait l’impact que ce mouvement a eu sur la première alternance de 2000 et le rôle que ses acteurs ont joué dans la seconde en 2012. La question qui mérite donc, maintenant, d’être posée est : est-ce que les hip hoppeurs vivent de leur art ? Surtout, tel que rapporté par le rappeur Keyti, lors de la première session de Jotayu hip hop reçue mercredi soir par le Goethe Institut, Awadi disait, un jour, qu’il n’investissait plus dans ce mouvement en espérant des retombées. Car, considère le patron du Studio Sankara, qui est le plus grand label dans ce domaine, ‘’il n’y a rien à récupérer’’. On ne peut donc espérer y faire des bénéfices. Awadi fait partie de la première génération de rappeurs sénégalais.
D’après l’enseignant chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, qui coanimait ce premier Jotayu hip hop, Abdoulaye Niang, ceux qui ont initié cette activité au Sénégal, en 1988, disaient n’être pas intéressés par le gain. Ils disaient tous ne pas considérer le rap comme un métier. Ce qui fait qu’au début, beaucoup étaient dans ce mouvement pour dénoncer l’injustice, pour s’opposer à un système. Ce qui rendait peut-être bien certains d’entre eux téméraires. Ils n’avaient l’air d’avoir peur de rien. Leur réussite sociale ne dépendait pas de leur richesse.
Seulement, depuis, les choses ont changé. La raison de vivre est devenue le moyen de vivre, semble dire le Pr. Niang. Et ‘’quand ça devient un métier, les enjeux changent’’. Ils l’ont compris et ont commencé à se formaliser, à se structurer. Ils sont en train de créer eux-mêmes les conditions de leur existence, en acceptant d’investir dans leur domaine. Aujourd’hui, on a des artistes qui sont des rappeurs, des producteurs et des entrepreneurs, tel qu’indiqué par l’enseignant chercheur à la faculté des Lettres et sciences humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Ibrahima Wane. Il était le deuxième invité d’AFriculturban qui organise ces Jotayu hip hop tout le long de l’année 2018, dans le cadre de la célébration des 30 ans de ce mouvement.
En effet, on compte actuellement, dans le paysage musical sénégalais, la poussée de labels hip hop. Les bases d’une industrie sont en train d’être jetées. N’entendant pas les autorités locales, les boss de ces structures vont chercher des fonds étrangers. Ce que d’aucuns trouvent contradictoire. Comment ceux qui luttent pour que les dirigeants africains s’affranchissent de la tutelle occidentale peuvent-ils accepter des financements d’institutions ou d’organismes internationaux ? C’est un processus normal. Car, d’après le Pr. Niang, ‘’les hip hoppeurs n’échappent pas au contexte culturel sénégalais’’. Aussi, comme le souligne le Dr Wane, si celui qui reçoit ces soutiens juge que les ressources reçues ne compromettent pas son activité, il peut se le permettre.
Ainsi, ce sont des décisions à prendre à un niveau individuel et l’on ne saurait traiter de ‘’fake’’ ceux qui les acceptent. Au boss de Guédiawaye hip hop, Malal Talla alias ‘’Fou Malade’’, de préciser dans ce sens que si ceux qui les soutiennent pensent qu’avec l’argent qu’il leur donne ils peuvent avoir un impact sur ce mouvement, c’est ne pas le connaître. ‘’Le baromètre, dans le hip hop, c’est l’underground’’, affirme-t-il. Quoi qu’il en soit, relève le rappeur Fou Malade, ce choix de chercher des financements étrangers était leur réponse aux autorités locales qui ne voulaient investir dans leur domaine. ‘’C’était notre manière à nous de dire à nos dirigeants que vous n’êtes pas capables de nous comprendre, mais l’Amérique et la France sont capables de comprendre l’énergie du hip hop. Nous souhaitions ainsi les pousser à nous prêter une oreille plus attentive’’. Ils ont gagné ce combat, avec la mise en place du Fonds de développement des cultures urbaines (Fdcu). ‘’C’est la première fois qu’on a un fonds destiné à un sous-secteur de la musique’’, s’est félicité d’ailleurs le Dr Wane, pour dire l’importance de ce mouvement.
BIGUE BOB