Publié le 5 Jul 2012 - 20:01
MUSIQUE - PAPE FALL, CHANTEUR DE SALSA

 ''Ce que l'ambassade de France m'a fait. . .''

 

Le salséro sénégalais Pape Fall fête cette année le 17e anniversaire de son groupe L’African Salsa, samedi à la Maison de la culture Douta Seck. Le maestro compte pour ce coup-ci innover en organisant une ''grande nuit de la salsa'' en invitant tous les salséros sur scène. Dans cet entretien avec EnQuête, Pape Fall analyse notamment l’évolution de la musique salsa au Sénégal. Il revient également sur les désagréments que lui a causés l'ambassade de France au Sénégal.

 

 

 

L’actualité de Pape Fall, c’est ''la grande nuit de la salsa'' que vous comptez organiser dans le cadre du 17e anniversaire de votre groupe. Qu'en sera-t-il ?

 

Cette ''grande nuit de la salsa'' est organisée en l’honneur du dix-septième anniversaire de L’African salsa. Mais on a voulu innover et sortir du carcan des anniversaires. Lat Ndiaye, mon manager, est mieux placé pour en parler. Tous les salséros sont invités. Et je présenterai mon nouveau répertoire ce soir-là.

 

Vous avez presque vingt ans de carrière solo et plus de trente ans dans la musique. Un bref bilan...

 

L’African salsa est né au mois de juillet 1995 à Dieupeul [un quartier de Dakar]. La première année, nous avons sorti notre première cassette : Teunguedji. Cette production nous a fait connaître. Il y a eu d’autres productions par la suite ponctuées des tournées internationales. Ainsi, nous avons représenté le Sénégal au festival "Nene africa" d’Amsterdam. Nous sommes allés récemment au Brésil à l'invitation du consul du Sénégal, Madiagne Diallo. Nous y avons tenu des concerts à Sao Paolo, Santos et Rio. Moi, personnellement j’ai eu à faire des compilations avec de grands noms de la musique salsa.

 

Où en est aujourd’hui la musique salsa au Sénégal ?

 

Cela progresse. Nous sommes juste freinés par la piraterie. Il n’y a plus de producteurs à cause de ce phénomène d’ailleurs. On a même peur de l’autoproduction. Il y a quelques années, on a mis en place la brigade de répression mais cela n’a rien donné. Les vendeurs de cassettes piratées sont des criminels pour moi. On n’a malheureusement plus aussi l’occasion d’aller à Paris ou Toulouse pour faire des enregistrements ; l’ambassade [de France au Sénégal] nous refuse le visa et nous prend notre argent.

 

C’est inadmissible, c’est du vol. Nos autorités ont une part de responsabilité dans ça. Chez Bongo [au Gabon], cela ne se faisait pas. J’ai suivi la présidentielle française et les socialistes s’étaient plaints du traitement réservé aux artistes et sportifs au niveau des ambassades. Nous espérons qu’ils vont sévir et changer les choses.

 

Vous aussi avez été victime, comme Thione Seck et d'autres, d'un refus de visa à l’ambassade de France au Sénégal ?

 

Oui, c’était courant 2010-début 2011, je crois. On m’a refusé le visa. Aucune raison ne m’a été donnée.

 

Quel était l’objet de votre voyage ?

 

Je devais aller pour des concerts et en même temps enregistrer. Il y a un Français du nom de Serge Betsen, qui jouait dans l’équipe française de rugby avant de devenir producteur, et qui a fait un film sur moi. Je devais aller là-bas pour des compléments avec une série de concerts.

 

Le Pr grammairien et écrivain, Oumar Sankharé a également été victime de cela. Les acteurs culturels sénégalais comptent manifester leur indignation. Allez-vous y participer ?

 

Bien sûr que je vais participer, il le faut vraiment. On parle à chaque fois de la coopération franco-sénégalaise, cela ne doit pas être des mots vains. Les autorités doivent sévir, et faire du œil pour œil, dent pour dent.

 

 

Vous êtes de ceux qui réclament la réciprocité ?

 

Oui et je pense que nos autorités devaient le faire depuis très longtemps. On est indépendant. On n'est plus sous la colonisation. [le défunt président Omar] Bongo l’avait dit aux Français.

 

Revenons à la musique. La salsa a-t-elle encore son aura des années 1970 ?

 

La musique salsa s’est développée maintenant. Il y a beaucoup plus d’orchestres et la relève est assurée. Il nous manque juste une certaine visibilité. Nous devons faire des productions. Mais c’est difficile avec la piraterie.

 

De manière générale quel regard portez-vous sur le monde de la musique sénégalaise ?

 

La piraterie encore ! Elle nous pourrit la vie. Il y a autre chose également dont j'ai discuté récemment avec Jimmy Mbaye [chanteur et guitariste]. On se rend compte que les rythmes sont tous les mêmes, il n’y a que les voix qui changent. Prenez l’exemple de la salsa, il y a des artistes qui s’illustrent dans la salsa-mbalax, d’autres font de l’afro-cubaine, etc. Mais le mbalax n’est pas varié. La musique est vaste, certains artistes peuvent remédier à cela.

 

Pape Fall pense-t-il à la retraite ?

 

(Rires) Bien sûr que oui. Mais je ne sais pas encore quand. Je me sens bien dans ma peau. Je sais juste que ce n’est pas pour sitôt. Dieu seul sait, mais la voix est encore là, la force est là, l’inspiration aussi. J’ai envie de continuer.

 

Des artistes se retrouvent souvent dans le dénuement total au crépuscule de leur carrière. Que pensez-vous de cette situation ?

 

Je peux dire que c’est la faute aux artistes. Ils ont une part de responsabilité dans cela. On a tenu sur la question et à maintes reprises des réunions avec d’autres acteurs culturels à la Maison de la culture Douta Seck. En fait, c’est la cotisation des artistes qui faisait défaut, il n’y a jamais de suivi. Et pourtant, on leur demandait de cotiser juste 1000 francs Cfa. Récemment, une autre réunion s’est tenue à Blaise Senghor lors de laquelle il a été demandé aux artistes de cotiser 50 000 francs Cfa. C’est excessif !

 

Vous avez composé une chanson en hommage à feu Labba Sosseh. Qu’est-ce qui vous liait à l’homme ?

 

Labba Sosseh et moi, c’était comme si nous appartenions à la même famille, de même père et même mère. C’est vers les années 1960 que je l’ai rencontré pour la première fois. A l’époque, il venait de sortir un nouveau disque produit par feu Mandiaye Fall de la RTS. Je suis allé un jour à l’avenue Jean Jaurès payer ce nouvel album pour mon grand-frère.

 

Sur place, j’ai rencontré l’ancien bagagiste de l’équipe nationale de football qui m’a désigné du doigt un homme debout devant une cantine. C’était Labba Sosseh. Je suis allé lui serrer la main ce jour-là et je lui ai montré le disque que je venais d’acheter. Étonné, il m’a demandé mon âge, car il trouvait que j’étais trop jeune pour aimer la musique salsa. A ce moment, je n’avais aucune ambition dans la chanson.

 

Je ne pensais pas m’investir dans ce créneau. Ma famille a toujours refusé que je chante. J’ai par la suite connu l’un des cousins de Labba Sosseh avec qui je me suis familiarisé. Et quand j’ai commencé à chanter, Labba Sosseh est venu me voir chez mes parents à Rufisque. Il m’a encouragé. Il venait de quitter le Star Band. Il m’a dit qu’il allait au Mali et qu’il voudrait à son retour que je travaille avec lui. Il est revenu deux ou trois ans après, on a commencé à travailler, mais malheureusement son matériel a été saisi.

C’est à ce moment-là que ses problèmes ont commencé, même s’il s’en sortait pas mal. C'est alors qu'il a rejoint mon groupe. Il a eu le premier disque d’or africain ainsi que plein d’autres prix qu’il a tenu secrets. En 2001, quand on est parti à La Havane, les grands musiciens nous ont dit que si Labba n’était pas sénégalais, il aurait eu plus de consécrations. C'était un génie, il était unique dans son genre. Quand j’étais à Abidjan et que j’ai su que sa femme est tombée malade j’ai voulu la voir, mais ses enfants ont dit non. Lors d’une de ses interviews avec Mass Diallo de la RDV, ce dernier a demandé au Maestro à qui il pensait pour le remplacer. Sans hésiter, Labba a dit : ''c'est Pape Fall''.

 

 

BIGUÉ BOB

 

 

 

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