La direction du commerce et la Douane à l’assaut des faussaires
Depuis quelque temps, un problème de trafic de déclaration d’importation de produits alimentaires (dipa) pollue l’atmosphère au ministère du commerce. Face à cette situation, les autorités n’excluent pas de porter plainte contre les faussaires dont le cerveau est un agent dudit ministère.
Dans les normes ‘’infalsifiable’’ et ‘’pas monnayable’’, la déclaration d’importation de produits alimentaires (dipa) a pourtant été un gagne-pain pour certains agents de structures en charge de sa délivrance ou de son contrôle. En effet, en mars dernier, trois faussaires de ce document administratif ont été interpellés par la justice. Il s’agit d’un agent du ministère du Commerce et deux autres personnes dont une dame, spécialisés dans l’intermédiation, la manutention et le transit. ‘’Ils s’étaient présentés auprès d’un opérateur économique pour monnayer un service. Il s’agissait de mettre à sa disposition une dipa de sucre d’une quantité de 10 000 tonnes moyennant une certaine somme d’argent. Ils étaient tombés d’accord sur ça et en dernier ressort, l’opérateur économique s’est rendu compte qu’il était en train de faire une erreur’’, confie le chef de division en charge de la Consommation et de la Sécurité des consommateurs, Issa Wade, joint au téléphone par EnQuête.
Selon notre interlocuteur, ce qui a sauvé ce commerçant, c’est le fait que ce n’est pas la période de délivrance de dipa de sucre. Ainsi, ce dernier s’est renseigné auprès de la source à savoir la Direction du commerce intérieur, tout en sachant que celui qui lui offrait ce service était du ministère du Commerce et précisément à la Direction des Petites et moyennes entreprises (Pme). Signalé à l’administration, l’agent du ministère et ses deux complices ont été arrêtés. ‘’Présentement, ces personnes sont déférées et normalement, l’affaire doit être enrôlée cette semaine (aujourd’hui ou demain)’’, poursuit le chef de la Division en charge de la sécurité de la Consommation.
Des faussaires ‘’extrêmement’’ engagés
En dehors de ce groupe, il faut noter que quelques jours avant et notamment le 5 mars dernier, la gendarmerie a saisi des produits alimentaires. Il a été constaté que leur propriétaire ne détenait pas de dipa obligatoire pour l’importation de produit alimentaire au Sénégal. ‘’Une visite effectuée au dépôt a permis de constater que 3 600 cartons de bonbons de Gingembre communément appelé Balla Gaye ‘bégué’ étaient contrefaits. L’unité a également constaté que des aliments destinés à la consommation humaine d’une valeur de 156 800 950 francs CFA soit 37 021 cartons avaient déjà atteint leur date de péremption’’, renseigne la gendarmerie sur son site web.
Pour ce cas, M. Wade explique qu’en réalité, l’importateur d’origine ‘’n’est pas’’ celui qui a mis sur le marché ces produits alimentaires saisis. ‘’Il a aussi falsifié la dipa. Même si le document est sécurisé, il faut noter que quand on pose un jalon, il y a des gens qui sont extrêmement doués pour le surmonter. Donc, lui, il a fait une surcharge du document, à telle enseigne que pour le produit qu’on lui a conféré, il en a amené d’autres. Ce sont des gens qui sont extrêmement engagés et décidés à commettre un forfait’’, regrette-t-il.
Selon le responsable de la Sécurité des consommateurs à la Division du commerce intérieur, ce ‘’commerçant véreux’’ est également en prison. ‘’Même si par ailleurs, c’est un élément de notre ministère, l’autorité nous a dit d’aller jusqu’au bout. Nous avons reçu carte blanche pour non seulement porter plainte, mais aussi faire en sorte que le mis en cause soit véritablement emprisonné. Des sanctions très lourdes vont être prononcées par rapport à ça’’, affirme Issa Wade.
Une combine chronique
Des sanctions sévères sont certes nécessaires pour dissuader ces faux-monnayeurs au sein de l’administration publique sénégalaise et notamment au sein du ministère du Commerce. Au fait, la pratique n’est pas nouvelle. En 2008, deux agents de ce département et un transitaire ont été arrêtés. Ils avaient ‘’dérobé’’ le cachet de la chef de Division du Contrôle de la qualité et de la Répression des fraudes à l’époque, Aïssata Diop, et imité sa signature pour produire des exemplaires de dipa, à en croire M. Wade. En effet, indique ce dernier, la dipa est un document administratif qui ‘’ne se monnaye pas’’ et c’est un élément obligatoire de recevabilité en douane. C’est-à-dire, sans ce document, l’opérateur économique ou l’importateur ne peut pas faire venir ces marchandises alimentaires au Sénégal.
Entre le ministère, le commerçant et la douane
Délivré par le ministère en charge du Commerce, la dipa est un élément obligatoire pour tout processus de dédouanement d’un produit alimentaire. ‘’Sans ce document, normalement, la douane ne doit même pas regarder la marchandise. C’est une pièce maîtresse. Mais les opérateurs sont tellement astucieux qu’ils peuvent passer entre les mailles des filets… C’est des fois très difficile de tout cerner’’, admet le chef de la Division en charge de la Consommation. Et une autre source d’ajouter sous couvert de l’anonymat : ‘’Je peux comprendre qu’un commerçant fasse un subterfuge sur un document scanné. Et dans ce cas, il y a certainement une complicité. Parce que normalement, au départ, ce document n’était pas falsifiable. S’il arrive à faire un faux, c’est entre le commerçant et la douane’’, affirme notre interlocuteur.
Face à une telle accusation, le chef de bureau relation public et communication de la Douane, le Lieutenant-colonel Amadou Gamby Diop lui, a fait savoir qu’en principe, ‘’le problème ne se pose pas au niveau des Douanes’’. ‘’La dipa en tant que telle relève du commerce, c’est un document intrinsèque du ministère. Si les autorités en charge du commerce ne délivrent pas ce sésame, on ne peut pas dédouaner un produit. Mais il y a toujours des faussaires dans le circuit comme pour les cartes d’identité et tous autres documents administratifs’’, renchérit-il.
Pour faire face à ces escrocs, les autorités du ministère du Commerce ont corsé le dispositif de concession de ce document, délivré uniquement dans les normes par la division en charge de la sécurité des consommateurs. ‘’On a entrepris ce travail avec une imprimante de la place pour faire en sorte que le document soit sécurisé dans le fond et dans la forme. Il y a un hologramme, deux signes distinctifs, à savoir, le lion et le baobab colorés. Le document lui-même est sécurisé. C’est-à-dire au contact d’une lampe de détection de fausse monnaie, le papier s’éclaire’’, révèle M. Wade. Si une personne vient se procurer la dipa, ses relevés téléphoniques et sa pièce d’identité sont enregistré. ‘’Donc, c’est sécurisé de bout en bout’’, assure-t-il.
Pas de dipa pour le sucre
Concernant le sucre qui est à l’origine de la plupart des histoires de dipa, Issa Wade a fait comprendre que pour le moment, le ministère du Commerce ‘’n’a pas donné et ne donnera pas de dipa de sucre’’. ‘’Il faut que ça soit clair. On n’a jamais donné une autorisation d’importation de sucre et on ne la donnera pas. On est très soucieux du dispositif mis en place. Ce qui nous a permis d’avoir des résultats probants en termes économiques. La lettre du Premier ministre est venue aussi renforcer ce dispositif. Donc, il n’y a pas de délivrance de dipa de sucre au Sénégal’’, atteste-t-il.
En tout état de cause, explique le vice-président de l’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen), Momath Cissé, un dipa, c’est un produit. ‘’Si on autorise 15 tonnes à un commerçant et qu’il en fait 60, si c’est un produit qui dépend de la régulation, on la dérègle complétement dans ce cas. Et cela impacte négativement sur l’industrie qu’on veut protéger et sur la production locale. Pour le sucre, chaque année, on donne des quotas. On l’estime par rapport à la consommation mensuelle’’, ajoute-t-il.
Il faut noter qu’en dehors du sucre, tous les produits alimentaires de consommation humaine ou animale nécessitent une dipa. C’est-à-dire, tout ce que l’on mange, mâche, boit, fume.
MARIAMA DIEME