Guy Marius, contestataire primaire
Il est toujours au taquet pour défendre ses positions contre ce qu’il considère comme un nouvel impérialisme d’ordre économique. Guy Marius Sagna, figure de proue du collectif ‘‘France Dégage’’, enchaîne contestations, manifestations et interpellations pour son idéal : libérer l’Afrique de la domination.
‘‘J’ai plutôt l’impression que les résistants n’en font pas suffisamment pour l’édification d’une organisation du peuple chargée de libérer le Sénégal et l’Afrique.’’ A la question de savoir s’il n’en fait pas trop dans la défense de ses thèses anti-impérialistes, Guy Marius Sagna n’a ni l’engagement feint, ni les exigences modestes. Si les autorités actuelles doivent maudire sous cape ce trublion d’activiste saisissable mais ingérable, elles peuvent se consoler de savoir qu’il n’est peut-être pas au meilleur de lui-même. Les ‘‘libéraux’’ du Pds ont vu pire. Le règne finissant de Wade, en 2012, a aiguisé les extrêmes des tenants du pouvoir aussi bien que des opposants.
Dans ses revendications civiles, Guy, alors coordonnateur du M23 Tambacounda, découvre ce qu’il en coûte de s’opposer à un régime en place, dans le lointain Sénégal Oriental. En prélude à un meeting de Me Wade en campagne électorale, les jeunes du parti le poursuivent, le bastonnent, prennent son ordinateur portable, son appareil photo numérique puis le pourchassent, à bord de leurs véhicules, dans les rues de la commune. Ironie du sort, il ne devra son salut qu’à un endroit qu’il ne connaît que trop bien : la prison.
Le commissaire de la zone, qui n’avait pas assez d’éléments pour assurer sa sécurité, l’invite tout bonnement à y passer la nuit. Depuis, ce natif d’Etomé (Ziguinchor) semble avoir signé un contrat à séjour irrégulier au violon. Au moment où ces lignes étaient rédigées d’ailleurs (mercredi 16 mai), Guy Marius séjournait derrière les barreaux après un mouvement de soutien apporté pour la énième fois aux animateurs polyvalents qui exigeaient la concrétisation d’une formation devant leur permettre d’intégrer l’Education nationale. Avant cela, il a été interpellé moult fois : lors de la manifestation contre l’autoroute à péage ; pour avoir brûlé la bâche de la ‘‘profanation’’ contre la place de l’Europe à Gorée ; lors du vote contre la loi sur le parrainage ; pris dans le panier à salade de la police pour avoir tenu une manif interdite de son front anti-APE ; malmené lors du vote sur le parrainage électoral ; rudoyé par les forces de l’ordre lors de l’expulsion de Kémi Seba... Lui-même se perd dans ses statistiques : ‘‘Waouh, plus d’une quinzaine de fois depuis l’expulsion de Kémi’’. Des interpellations intermittentes et des réunions incessantes qui ont d’ailleurs motivé son désir de nous répondre par courriel au lieu d’une habituelle entrevue.
La contestation est congénitale malgré les boursoufflures répressives qu’il trimballe courageusement. Il y a bientôt 40 ans que ce ‘‘trublion’’, marié et père d’un enfant, voyait le jour dans le sud avec un désir de contestation congénital. La faute peut-être à l’absence de l’autorité paternelle, ‘‘absent pour cause de boulot’’, et d’une mère très tôt arrachée à son affection. A la préadolescence, les figures de substitution sont les idéologues de la gauche radicale. A 11 ans, il raisonne comme Mélenchon puisqu’il est déjà ‘‘marqué par une formation politico idéologique, des influences, des organisations anti impérialistes, anti capitalistes, anti libérales, marxistes léninistes qui nécessairement secrètent un engagement contre toutes les oppressions. Celles des impérialistes contre les peuples, les nations dominées et les travailleurs exploités ; celles des féodalités, des bourgeoisies bureaucratiques… contre l’écrasante majorité de la population ; celles des hommes sur les femmes… Quoi de plus normal après que de dire non aux APE, au franc CFA…’’, détaille-t-il.
Déjà formaté à s’opposer radicalement, son cursus scolaire s’en trouvera bouleversé. Après un parcours élémentaire à ‘‘Cathédrale’’, il est exclu du Lycée Lamine Guèye en 1ere C (il voulait faire A) malgré le soutien de son prof de français. L’année suivante, une mention assez bien au baccalauréat sauvera les meubles aux ‘‘Pédagogues’’, mais à l’université, il ne dépassera guère la 2e année de Droit à l’Ucad. Une admission au concours de l’école nationale de développement sanitaire et social (Endss) sera l’issue pour lui, mais frise encore l’expulsion en y ‘‘séquestrant’’ le directeur, les enseignants, et un certain Diène Farba Sarr à l’époque DAGE du ministère de la Santé et de l’Action sociale. ‘‘C’est le gouverneur de Dakar, Saliou Sambou accompagné des éléments de Brigade d’Intervention Polyvalente qui a dispersé les étudiants. Je fus envoyé en conseil de discipline. Le soutien des élèves et de mes professeurs m’a sauvé’’, raconte-t-il. Le sort en est jeté, il sera finalement assistant social d’Etat.
De la contestation politique à l’anti-impérialisme économique
Forte tête, Guy rappelle immanquablement Barthélémy Dias au teint clair, mais aussi et surtout de par la hauteur de son verbe. Seul un gabarit plus imposant le différencie du maire de Mermoz Sacré-Cœur. Pratiquement toujours en tenue de combat, blue jean et tee-shirts floqués ‘‘France Dégage’’, son nouveau leitmotiv militant, ou ‘‘Je vote non’’ contre le référendum de 2016, ou encore ‘‘Y’en a marre’’, l’activiste n’a pas le temps de faire concession à la coquetterie. Affecté dans un centre de promotion et de réinsertion sociale de Fass depuis 2014, sa conception de la révolution souffre peut-être d’un lyrisme idéaliste mais certainement pas d’authenticité dans l’engagement. Très tôt connecté aux idéaux de grands combattants de la libération africaine dans ses lectures (‘‘Les figures africaines de la révolution, de Kenyatta à Sankara’’ de Saïd Bouamama, et ‘‘Frantz Fanon, une vie’’ de David Macey), son empreinte idéologique ne pouvait que friser une radicalité de type communiste. Les ‘‘Rouges’’ sont d’ailleurs ses références dans la lutte, les seuls qui trouvent grâce à ses yeux ‘‘car ils sont les seuls à être anti impérialistes pour ne pas opprimer les autres à leur tour une fois la souveraineté acquise’’.
Dans son entendement donc, ‘‘la ‘‘révolution’’ est la transformation radicale de la situation d’un peuple. Dans le cas du Sénégal, et même de l’Afrique, c’est passer de la situation néocoloniale actuelle à la situation d’un Sénégal libéré de la domination impérialiste, dans une Afrique également émancipée de cette même oppression’’. Après les collectifs politiques M23 et ‘‘Y’en a marre’’, son engagement évolue et bifurque sur un terrain plus économique. Le diktat de la puissance tutélaire, les institutions de Bretton Woods, l’adhésion du Maroc à la Cedeao... deviennent les cœurs de cible de sa contestation. Les accords de partenariat économique (Ape) sont dénigrés et motivent la création d’une coalition nationale en 2014 avant d’élargir le front deux ans plus tard et d’y adjoindre la lutte contre la monnaie CFA, histoire de fédérer les organisations panafricaines et élargir les problématiques prises en charge. Pour lui, comprendre la domination de l’Afrique passe obligatoirement par la lecture du fait économique.
‘‘Si les APE pouvaient être considérés comme une porte d’entrée à l’éveil des consciences africaines sur la problématique centrale de l’impérialisme, il est clair que nous ne pouvions pas ne pas évoluer rapidement vers la dénonciation des autres outils d’asservissement’’, clame-t-il. Pour les modalités de la lutte, Guy estime que c’est une éternelle reprise de la lutte des classes qui se joue, et que la libération devra se payer au prix fort. ‘‘La liberté s’arrache car les classes exploiteuses ne changeront jamais de gaieté de cœur. Elles peuvent faire des concessions. Et même celles-ci sont momentanées. Mais les changements structurels que la situation du Sénégal et de l’Afrique exige demandent une révolution. Cette révolution, pour être durable, se fait avec le peuple. D’où l’intérêt d’avoir une organisation révolutionnaire nationalement implantée.’’
La présence remarquable et remarquée de grandes enseignes de l’économie française au Sénégal a le don de particulièrement irriter ce militant. L’accident ayant coûté la vie à Papis sur l’Autoroute de l’avenir a radicalisé son discours davantage contre Eiffage, alors qu’Auchan, Orange et Total en avaient déjà pris pour leur grade. Le mouvement ‘‘France Dégage’’ ne se prive pas de casser le sucre sur le dos de ces entreprises. Le collectif ‘‘contribue à éveiller les consciences à l’impérialisme, à organiser et mobiliser les citoyens afin de créer le rapport de forces nécessaire à la réalisation des ruptures souhaitées. Mettre au cœur du débat politique les questions de souveraineté économique et de souveraineté démocratique. C’est cela qui détermine mon engagement dans France Dégage. Et de ce point de vue, avec les toutes les autres organisations membres et les camarades, nous y contribuons lentement mais sûrement’’, avance-t-il.
Politicien non masqué
Au lendemain de la deuxième Alternance, les Sénégalais se sont rendu compte que la dénonciation du ‘‘système’’ est une facilité démagogique utilisée le plus souvent par ceux qui vivent de cela. Guy Marius Sagna prend les devants avant d’être pris en défaut. ‘‘Je suis membre d’une formation politique, Yoonu askan Wi’’, fait-il savoir. Une évolution politique, à gauche de l’échiquier bien sûr, qui a connu une trajectoire aussi instable que son cursus scolaire et son parcours professionnel. Membre du Rassemblement des travailleurs africains/Sénégal (Rtas), il a été exclu du parti de Momar Samb. Une fusion dans Yoonu Askan Wi/ Mouvement pour l’Autonomie du peuple, avec des doyens du PAI, marquera sa nouvelle demeure et sa nouvelle identité politique.
Dans la logique de Guy, directeur de campagne d’Ousmane Sonko lors des dernières Législatives, tout tourne autour de la politique. Cette dénégation contre les puissances est d’essence politique. ‘‘Quel que soit le domaine dans lequel le citoyen intervient, il est souhaitable qu’il y ait un engagement politique. Ceci étant le résultat de la compréhension que tout est politique. L’amour, la musique, le sport…sont politiques. La question étant : engagement politique au service de qui ? Des classes exploiteuses ou des classes opprimées ?’’ déclare-t-il. Coïncidence, ce contestataire n’a pas froid aux yeux quand il évoque le précédent historique d’il y a un demi-siècle. Il se veut l’avatar, le dépositaire légal d’un combat déclenché par ses devanciers révolutionnaires du temps de Senghor. ‘‘Je suis un des héritiers de tous nos dignes prédécesseurs d’avant, pendant et après mai 1968’’. Prétentions sans doute un peu immodestes pour ce feu follet d’une nouvelle génération. Mais qu’importe, quand on est engagé, on ne se retient pas.
OUSMANE LAYE DIOP