Publié le 24 Nov 2018 - 20:04
CINEMA ET DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE

La recette de Noureddine Saïl

 

De cinéphile, il est passé à acteur dans le développement du cinéma en Afrique et au Maroc en particulier. Dans les années 1970, Noureddine Saïl a assisté à des ‘’assises’’ du cinéma ici au Sénégal avec les plus grands noms du 7e art de l’époque dont Sembène Ousmane et le Tunisien Tahar Cheria. Ainsi, sa maitrise de ce secteur ne souffre d’aucun doute. M. Saïl a donné la leçon inaugurale des Rencontres cinématographiques internationales de Dakar (Recidak) hier à Magic Land. Pour lui, il ne peut exister une cinématographie sans celle nationale et pour cela, il faudrait que les Etats africains s’impliquent davantage dans la production et le financement du cinéma.

 

‘’Ne regardez surtout pas le Nigéria’’. C’est le conseil que donne l’ancien directeur du Centre cinématographique marocain (CNC) et président de la Fondation du festival du cinéma Africain de Khouribga, Noureddine Saïl. Il a prononcé la leçon inaugurale des 10e Rencontres cinématographiques internationales de Dakar hier. C’était à l’ouverture du colloque qui a pour thème ‘’Cinéma et développement’’ organisé dans le cadre des Recidak au Magic Land.  Quand on parle de cinéma et développement ou encore économie, aujourd’hui en Afrique, l’on a tendance à se tourner vers le Nigéria. Nollywood est très souvent donné en exemple. Ce que récuse totalement M. Saïl. ‘’J’ai toujours refusé la ‘’nigérianisation’’ du cinéma. Le Nigéria ne fait pas de cinéma même si sa production existe dans le PIB. Il fait de la consommation sur place de VCD qui sont obsolètes au bout d’un mois. Ils coûtent très peu et rapportent beaucoup parce que n’oublions pas que c’est un pays qui compte 140 ou 150 millions d’habitants. Au bout d’un mois, l’investissement a été amorti et on produit un deuxième film’’, a-t-il indiqué.

‘’J’ai connu des acteurs et actrices au Nigéria qui tournaient 5 films en même temps. C’est en travaillant beaucoup qu’ils arrivaient à gagner de l’argent et non pas parce que les cachets étaient très élevés’’, a-t-il fait savoir. ‘’Au Nigéria, on fait mille films par an et on n’en retient pas un. Il donne le parfait mauvais exemple à nos dirigeants qui commencent à dire regardez le Nigéria. Ne regardez surtout pas le Nigéria’’, a-t-il une fois encore martelé. ‘’Pourquoi devrait-on être condamné à faire du flexible, éphémère et rapide ?’’, se demande-t-il. Ce n’est pas de cette manière qu’on pourra avoir une industrie du cinéma. Avec ce modèle on est dans un ‘’leurre’’, pense M. Saïl.

‘’Aucune décision sérieuse n’a été prise en Afrique ces 60 ans dernières années’’

Que faudrait-il alors faire pour faire du cinéma un art et une industrie en Afrique. ‘’Rien ne sera fait aujourd’hui en Afrique, avec 60 ans de retard, si les Etats de nos pays ne s’impliquent pas directement et financièrement dans la production cinématographique. Il ne faut pas qu’ils pensent que c’est un investissement à perte. Non, c’est un investissement sur l’avenir’’, défend Noureddine Saïl. Aussi, aux dires  de l’ancien directeur du CNC marocain, ‘’aucune décision sérieuse n’a été prise en Afrique ces 60 ans dernières années dans le secteur du 7éme art’’.

En outre, en parlant d’investissement étatique l’on se dira, en pensant au Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et audiovisuel (Fopica), que l’Etat du Sénégal a compris cela. Seulement, ce n’est pas de ce genre d’engagement dont fait référence Noureddine Saïl. ‘’Je suis désolé de le dire mais ce n’est pas avec un milliard ou deux qu’on réglera le problème’’, se contriste-t-il. Il parle en connaissance de cause. Il a tenté l’expérience dans son pays, le Maroc, alors qu’il était directeur du Centre cinématographique. Aujourd’hui, le Royaume chérifien est passé de la production de deux longs métrages par an à plus d’une vingtaine. Les gouvernants africains, à défaut de mettre directement les finances dans la production pourraient le faire autrement. Qu’ils prennent exemple sur les Européens. ‘’Un producteur français n’amène même pas le 10e du coût réel de son film. Il y a en France un système qui est tellement sanglé de règles et de lois qui fait que quand vous avez un projet, que le producteur est crédible, il a ses connections, il a de droit  en achat à TV5, à Canal+, à France Télévision, une aide du CNC (Centre national cinématographique), etc. les producteurs de cinéma ont des avantages financiers et au niveau des impôts’’, informe M. Saïl. L’Afrique doit avoir son propre système et modèle pour en faire autant. Les Etats pourraient pousser, par exemple, les chaines d’Afrique à acheter directement les longs métrages des réalisateurs. Ensuite, ‘’l’Etat peut rattraper ces chaines en défiscalisant ces investissements. Personne n’a réfléchi à ce modèle, nous avons rendu les armes’’, se désole-t-il. Mais comme il aime si bien le dire ‘’quand toutes les preuves s’effondrent, je tiendrais une salve d’avenir’’. L’espoir est encore permis. Mais tout de même il faudrait que les pays africains s’y mettent maintenant afin de créer une cinématographie africaine.

‘’ Le jour où l’on pourra parler de cinéma africain’’

En effet, pour Noureddine Saïl, il n’existe pas de cinéma africain. Si aujourd’hui, on parle de cinéma européen par exemple, c’est grâce à la somme des cinémas Belge, Allemand, Français, etc. Les cinéastes africains devraient donc se battre pour avoir des cinématographies nationales avant de prétendre à une africaine. ‘’Le jour où on aura 50, 60 ou 100 films par an dans des pays africains on pourra parler de cinéma africain’’, selon lui. Donc, il faut produire et beaucoup produire tel que le catéchisait Sembene Ousmane dans les années 1970.

‘’Tout pays africain qui va commencer à produire des films en quantité suffisante ou à  arriver à une sorte de minimum garanti, aura l’obligation, la nécessité biologique de créer des salles de cinéma pour montrer ses films’’, renchérit  Noureddine Saïl. A juste titre. Après la production en quantité les Etat doivent se tourner vers la la construction de salles de cinéma ou mieux, selon l’auteur de la leçon inaugurale des 10e Recidak,  il faut faire des multiplex. ‘’Quand vous avez 14 multiplex à Saint-Louis par exemple, vous avez 14 différents programmes à proposer’’, pense-t-il. L’on doit alors comprendre que faire de beaucoup de productions ne signifie pas en faire que de bons. Il faut s’attendre à en avoir un minimum correct et beaucoup qui seront médiocres.

‘’Il est possible d’avoir des produits géniaux. Avec  Sembène cela  a été possible tout comme avec Souleymane Cissé. Mais cela ne règle rien. Sur les 250 films que produit la France annuellement, moi j’en retiendrai 5, 6 ou 7. Les Usa font 600 films par an, dans le monde on en connait que 30 qui circulent. On ne voit pas les 360 qui restent en consommation domestique’’, fait savoir M. Saïl. Par conséquent, ‘’le problème c’est comment faire un cinéma qui puisse s’autofinancer grâce au public et aux écrans et garantir la pérennité de la créativité nationale pour qu’il ait un Cheikh Omar Cissokho (brillant réalisateur malien) avec un très beau film et qu’il ait 20 films maliens médiocres qui vont dans les salles et qui auront un public. Voilà le plus important. Pour parler pragmatique nous avons besoin d’une quantité signifiante de films pour avoir à côté une quantité mineure de très grands films’’, propose-t-il.  

En sus de toutes ces mesures, poursuit-il, les Etat africains doivent dans leur politique cinématographique faire en sorte que le secteur soit profitable à tous. Que ce qui se passe au Sénégal puisse être ressenti au Mali, en Côte d’Ivoire, en Guinée, etc. D’ailleurs, c’est  ce que le cinéaste marocain  appelle ‘’la collatéralité’’. ‘’Le collatéral, c’est l’essence même de la cinématographie européenne. Aujourd’hui, grâce à l’Europa cinéma, la promotion de bien de films est fait dans des pays européens qui peut être à la base n’était pas forcément intéressé par ces films. ‘’Je rêverais d’Africa cinéma’’,  a conclu Noureddine Saïl.

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OUVERTURE DU VILLAGE DES RECIDAK         

Dynamisme du septième art sénégalais

Les 10e Rencontres cinématographiques de Dakar (Recidak) ont commencé par l’ouverture du Village à travers une procession faite par des enfants et chorégraphiée par la styliste et costumière, Oumou Sy.

 ‘’Je suis confiant pour cette nouvelle édition des Recidak. Confiant parce que celle-ci s’ouvre aujourd’hui sous une note d’espoir. Cette note d’espoir est symbolisée de la façon la plus parfaite par cette innocence qui a paradée, cette insouciance qui caractérise les enfants. Cette insouciance et cette innocence nous permettent de croire  que notre cinéma celui du Sénégal et de l’Afrique est naturellement promu à un bel avenir. Quoi qu’on ait par le passé connu des difficultés certaines, aujourd’hui dans le cas particulier du Sénégal nous osons croire que nous avons engagé une autre étape dans le développement du cinéma’’, a déclaré le ministre de la Culture Abdou Latif Coulibaly venu présider la cérémonie d’ouverture.

Dans son discours, le ministre fait référence au Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Fopica). ‘’S’il n’y avait pas le Fopica, nous n’aurions pas été certainement ici. C’est parce que ce fonds constitue un instrument, un levier qui nous permet de faire face à tous les défis du cinéma que nous sommes là aujourd’hui’’, a-t-il déclaré. Avant de poursuivre : ‘’Je voulais insister sur cet aspect des choses car cela nous parait  essentiel. Nous ne pouvons pas continuer à faire comme si le cinéma n’était pas une valeur économique réelle. Et comme si la culture elle-même devait toujours rester dans une sorte de  nostalgie par rapport à notre identité. Et par rapport à cette  façon de concevoir ce que nous sommes et comment nous le posons par rapport aux autres’’.

Par ailleurs, si depuis 2012, l’Etat du Sénégal a mis 5 milliards de F CFA dans le cinéma, c’est parce qu’il a compris que ‘’le 7éme art occupe une part encore plus importante que dans tous  les autres arts dans ces productions de richesse’’, aux dires d’Abdou Latif Coulibaly.   Sur un autre registre, les Recidak ne sont pas qu’une série de projections de films. La preuve : Il est prévu différents plateaux musicaux au village. ‘’J’invite les cinéphiles et hôtes à venir visiter le village des Recidak où tous les segments du cinéma ont été représentés. Qu’il suffise de citer les  cinéastes, les réalisateurs, les producteurs, les décorateurs, les maquilleuses, les techniciens, les costumiers, les diffuseurs, les acteurs, la gastronomie, la critique’’, a déclaré le Chef du Village, Khalifa Dramé.

 Des stands ont été érigés à cet effet au Magic Land.

BIGUE BOB

 

 

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